vendredi 21 juillet 2017

Circulez, il n'y a rien à voir. Résumé d'une folle semaine dans la Défense


La Défense Nationale vient de vivre l'une de ses plus folles semaines sous la Vème République, dont le point d'orgue aura été la démission du Chef d'Etat Major des Armées, le général Pierre de Villiers. Retour sur une séquence qui aura déchaîné les passions, et pas de la manière la plus constructive malheureusement...

A l'image: jeudi 20 juillet à Istres, Emmanuel Macron (en tenue), le général Lecointre (au centre) nouveau CEMA, et la Ministre Florence Parly.
Tentons également d'égayer ce post avec quelques caricatures parues dans la presse ces jours-ci. Pour le coup, le sujet des équipements revient comme un véritable marronnier.


Ce billet de vulgarisation dont le but est de résumer les événements des dix derniers jours, sera ponctué de quelques liens. En effet, il y a beaucoup à lire (et à dire) parmi les nombreuses publications qui ont fleuri sur les blogs et dans la presse.


Après la lune de miel, déjà le divorce ? Revenons il y a dix jours donc. Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes Publics, lance l'offensive. Ça va mal du côté du déficit public et 7 milliards doivent être économisés cette année pour rester sous le seuil des 3%. 7 milliards... dont 850 millions que l'on demande à la défense. La facture la plus salée est pour le Ministère des Armées, qui de surcroît est sous la menace d'un gel de 1,9 milliards d'euros.
Ces millions correspondent au surcoût des OPEX (normalement budgétées à hauteur de 450 millions) et devaient logiquement être assumées en interministériel.

Comme d’habitude dira-t-on, Bercy s'en prend aux armées. Et comme d'habitude, la communauté de la défense se mobilise dans les médias. On sent cependant que cette fois, le ton est plus vif comme en témoigne ce billet du colonel Goya "Merci Bercy", ou cet article pour le moins agressif paru sur Atlantico. Extrait: "Faut-il supprimer Bercy? Question, donc: Bercy joue-t-elle le rôle de la cinquième colonne, abaissant systématiquement les moyens de la Défense pour affaiblir le pays dans la perspective d'un conflit? Au vu des arbitrages rendus depuis plusieurs années, la question mérite d'être posée."

Il faut dire, peut-être, que personne ne s'attendait à ce qu'après des attentats si meurtriers sur le sol français, et des engagements opérationnels intenses de nos armées, la question budgétaire revienne sur la table. Rappelez vous, la dernière fois c'était en 2013, quand fut braqué face aux exigences de Bercy (et son fameux "plan Z") l'argument du "déclassement stratégique" qui nous menaçait. Jean-Yves Le Drian avait alors su obtenir en sa faveur l'arbitrage de François Hollande, président martial.

A ce stade, Gérald Darmanin devient l'ennemi public numéro 1 mais on se rassure en attendant l'arbitrage présidentiel qui pourrait tomber pile pour le 14 juillet. Quoi de plus propice ?


Le 13 juillet, le CEMA Pierre de Villiers, en poste depuis 2014, est auditionné par la - nouvelle - commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée Nationale, toute fraîchement constituée. C'est là que la crise va prendre un nouveau tournant.

Personne n'a pu passer à côté de LA petite phrase: "Je ne me ferai pas b..... par Bercy !". On comprend bien l'humeur du CEMA, qui doit déjà faire face à des problème structurels profonds. A partir de là les choses vont s'enchaîner, et pas dans le bon sens.

Le Président de la République est alors occupé à recevoir Angela Merkel (avec qui il parle défense européenne et annonce des travaux sur un avion de combat du futur), puis surtout Donald Trump, invité d'honneur du défilé du 14 juillet.

Tout cela mobilise l'attention des médias, et dans la communauté défense, on attend impatiemment  la traditionnelle réception du soir à l'hôtel de Brienne, où Emmanuel Macron tiendra un discours aux armées.
Mauvaise surprise, alors qu'on était habitué à un François Hollande arbitrant systématiquement en faveur des militaires, Emmanuel "Jupiter" Macron n'apprécie guère le ton du Chef d'Etat Major des Armées, et le fait savoir. Sèchement, devant audience: "Il ne m’a pas échappé que ces derniers jours ont été marqués par de nombreux débats sur le budget de la Défense. Je considère, pour ma part, qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n’ai à cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire".



Le ton est dur, voire même inélégant. Le Président de la République, qui avait réalisé un sans faute auprès des militaires depuis son investiture, se pose là en véritable paratonnerre de son ministre des comptes publics (une pratique managériale n'est ce pas ?). Dans la communauté défense, c'est la fronde. Le Président a manqué de respect au CEMA devant ses hommes, on parle d'autoritarisme. 

Le défilé se passe comme prévu, Donald Trump est lui ravi.

Le soir même, et c'est peut-être là selon moi que tout bascule vraiment, le général de Villiers publie une lettre ouverte sur Facebook (une habitude chez lui), qu'il conclut de la sorte: « Parce que la confiance expose, il faut de la lucidité. Méfiez-vous de la confiance aveugle; qu’on vous l’accorde ou que vous l’accordiez. Elle est marquée du sceau de la facilité », écrit ainsi le général de Villiers.
Parce que tout le monde a ses insuffisances, personne ne mérite d’être aveuglément suivi, la confiance est une vertu vivante (...). Elle doit être nourrie jour après jour, pour faire naître l’obéissance active, là où l’adhésion l’emporte sur la contrainte. »


Subtilité bonjour ! D'autant plus que dans la foulée, le devoir de réserve (nous allons y revenir) va largement être mis à mal, notamment par le biais des community managers de l'EMA ou en régiment. Tout le week-end, des posts comme celui-ci sur Twitter (ci-dessous) vont fleurir sur les réseaux. Ici, une référence directe au Président, hélitreuillé quelques jours plus tôt par la Marine sur un SNLE.


Ma question est la suivante: était-ce bien nécessaire ? Car si ce "buzz" reste encore cantonné à la communauté défense, qui comprend tout de même militaires, industriels, presse spécialisée et diverses blogueurs ou experts de plateau TV, le débat est ultra passionné, et l'incendie attisé.

Où est le mal me direz-vous ? Il est bien normal de défendre l'institution, les intérêts de la Défense National au sens large. J'en suis le premier convaincu. Cependant, on a à ce stade perdu de vue le débat de fond.

La démission du CEMA mercredi finira d'attirer l'attention, des élus notamment. La majorité chez ces derniers se rangera derrière le général de Villiers, y compris au sein d'un parti LREM qui cherche encore ses marques. C'est bien la première crise du mandat d'Emmanuel Macron.

La fronde est plus alors passionnée que jamais, ce qui n'est jamais bon.

La ministre Florence Parly va par exemple en prendre pour son grade, avec des interpellations sur son utilité, et remarque parfois sexistes bien mal placées... Celle-ci doit alors se demander dans quel pétrin elle a bien pu mettre les pieds. L'héritage de Jean-Yves Le Drian paraît bien difficile à assumer.

D'autre part des critiques seront notamment adressées aux industriels, coupables selon certains de ponctionner des fonds qui pourraient revenir aux militaires sur le terrain. Un non sens bien sûr, tant les matériels font partie intégrante des missions des armées. La BITD française contribue avant tout à l'exercice de la souveraineté, le commerce des armements, l'export, arrivent en complément.

Et les citoyens français ? Qu'en pensent-ils ? Forte de ses 80% de soutien chez les français, l'armée peut-elle compter sur l'opinion publique pour la défendre face à l'exécutif ? Rien n'est moins sûr, de rapides enquêtes démontrent que dès qu'il s'agit de budget, les corporatismes refont surface. Des milliards pour la défense ? Et pourquoi pas pour l'Education, la justice, les hôpitaux ? Les militaires ne peuvent descendre dans la rue, et au cœur de l'été, personne ne semble prêt à le faire en leur nom.


Bien heureusement, quelque uns vont s'évertuer à tenter de ramener les questions de fond en première ligne. Lire par exemple ces excellents papiers sur les blogs Mars Attaque et Guerre et Influences. On y rappelle notamment que la question du budget doit fondamentalement tourner autour de l'adéquation entre les moyens et la mission, ou encore que la sortie de général de Villiers est intelligente en ce qu'elle pose le CEMA en martyr, et va attirer l’œil de médias sur ces questions de fond justement, au prix de son sacrifice.

Aussi, est posée la problématique du devoir de réserve, par Jean Marc Tanguy sur Le Mamouth, ou chez mon camarade du Fauteuil de Colbert. Parler en commission parlementaire, comme l'a fait le CEMA est-il encore possible ? Une vraie question.
Je ne peux toutefois m'empêcher de penser que de nos jours, tout est amené a fuiter. Ce sont des élus qui ont retranscrit dans la presse et sur les réseaux sociaux la fameuse tirade du CEMA en commission de la défense. Celui-ci ne pouvait décemment pas ignorer que ses propos ne resteraient pas entre les murs de l'Assemblée. Il y a durant cette folle semaine un véritable exercice de communication de sa part.

Mais avec Emmanuel Macron versus Pierre de Villiers, nous sommes bien là devant une crise de gouvernance, dont les ressorts nous amènent à repenser les relations sous la Vème République


La crise arrive donc à son paroxysme mercredi 19 juillet, avec, comme on pouvait le redouter, la démission du général de Villiers. Cela est fort dommageable, c'est un précieux commandant qui s'en va. Il quittera le "balargone" entouré d'une inédite et impressionnante haie d'honneur.
Arrivé à la limite d'âge de sa fonction, il avait été prolongé d'un an dès l'arrivée d'Emmanuel Macron. Il s'agit aujourd'hui de se demander s'il n'aurait pas directement fallu nommer son successeur au mois de mai, question de cohérence.

Pour le remplacer, l'Elysée, qui avait anticipé, nomme le général François Lecointre au poste de CEMA, un terrien à la carrière brillante. Les armées étant ce qu'elles sont, c'est à dire loyales, nul doute que ce dernier bénéficiera de toute l'adhésion qu'il mérite. Bonne chance et bon courage au général Lecointre.

Je passe sur l'épisode "Vélo Club", où durant sa visite sur le Tour de France, Emmanuel Macron énonce qu'il ne revient pas au CEMA - mais à la ministre - de défendre le budget. C'est à débattre.


Epilogue: en déplacement sur la base aérienne 125 d'Istres, centre important des Forces Aériennes Stratégiques), Emmanuel Macron part jeudi 20 juillet en opération reconquête accompagné de la Ministre et du nouveau CEMA. L'ambiance est bonne et il y rappelle les mêmes engagements que la semaine passée: un budget 2018 augmenté à 34,2 milliards d'euros, en appuyant bien cette fois sur le fait que le MinArm sera le seul ministère dont le budget augmentera. Il s'engage à porter le budget de la défense à 2% du PIB en 2025.
Pour les médias, pour le grand public, la crise se termine ici, et on va par exemple pouvoir se concentrer sur des choses sérieuses, comme le transfert de Neymar. Dans les armées en revanche, surtout chez les officiers, la cicatrisation demandera plus de temps. Mais nous parlons de professionnels dévoués.

Pédagogie toujours, le Ministère publie également ce jour une explication de évolutions budgétaires.



(MAJ) Scène post-générique: ce matin, vendredi 21 juillet, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner, charge une dernière fois le CEMA de Villiers, le qualifiant de "poète revendicatif'. Là encore, était-ce bien nécessaire...


1 commentaire:

  1. Il est vrai que cette tendance à s'imposer de Macron s'est prise un rude coup. Et ce n'est sans doute pas le premier, le politique y jouant d'ordinaire plus que le militaire, les suivants pourraient bien venir de l'assemblée disparate constituant LREM.
    Hollande en était à la crise politique à partir de sa mi-mandat. Macron pourrait bien faire mieux, tant le vernis craque vite! Certains et pas des moindres ont évoqué l'Erdoganisme. On pourrait même dire que ce dernier avait même été au départ plus subtil face à ceux à qui, a force de leur casser progressivement les reins par les purges, il a échappé d'un code transpondeur usurpé l'année dernière.

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