vendredi 10 octobre 2025

Dark éteint la lumière en sortant


La start-up Dark a annoncé mercredi 8 octobre l'arrêt de ses activités. Elle développait une solution complète de désorbitation pour la défense. En manque de financements, et faute de contrat, l'aventure s'arrête ici, au bout de 4 ans. Dark avait prévu de s'installer sur l'aéroport de Bordeaux-Mérignac.

Images : vues d'artiste -©Dark.


Fondée en 2021 par deux anciens de MBDA,Guillaume Orvain et Clyde Laheyne, Dark faisait partie des quelques start-up françaises du spatial qui se sont lancées dans la tâche difficile de concevoir et commercialiser un micro-lanceur de souveraineté. Le produit complet, Interceptor, devait s'appuyer sur un ensemble de systèmes intégrés allant de l'avion porteur, au lanceur aérolargué, en passant par le radar et un module terminal doté de capacités robotisées et de guidage algorithmique pour capturer les objets en orbite. Dans la stratégie de Dark, il était d'abord question de nettoyer l'orbite de débris hors de contrôle, avant que celle-ci évolue en 2024 -avec une communication très calquée sur la vague new defense américaine- vers des missions de désorbitation des objets menaçant, et cela explicitement dans le cadre de missions pour la défense. 

En cinq ans, l'entreprise avait avancé sur plusieurs systèmes et notamment sur la conception d'un moteur auprès du DLR en Allemagne [oui c'est un peu antinomique avec la phrase précédente] dont les dernières images avaient été dévoilée en cette rentrée 2025. Dark avait aussi signé en 2023 un partenariat avec l'aéroport de Bordeaux-Mérignac pour ses futures opérations, et obtenu des contrats d'études comme fin 2024 avec l'Agence pour l'innovation de défense (AID), autour du logiciel de simulation "Salazar" de l'entreprise.  

Mais ces derniers -et probablement trop peu lucratifs- contrats et les quelques 10,5 millions d'euros levées n'auront clairement pas suffi à réaliser les grosses ambitions de la start-up, qui, sans "ancrage", comme elle le nomme dans le communiqué final, n'avait pas les reins pour continuer de fonctionner. Il aurait fallu a minima faire partie des heureux élus du plan France 2030.

La "fin" de Dark était ainsi pressentie/connue depuis des mois, et ses dirigeants ont d'ailleurs bien soigné leur sortie, avec des équipes (une quarantaine d'employés) qui ont pu préparer leur rebond de carrière. Le dernier communiqué cite aussi une propriété industrielle qui demeure protégée en France. 

Problème, l'échec de Dark, même s'il ne rencontre pas un écho considérable, a provoqué cette semaine quelques réactions outrées de la part des milieux "business" et plus généralement de l'écosystème start-up. Y compris de la part d'anciens hauts gradés de l'institution militaire. La faute serait celle d'un modèle français d'innovation et/ou d'investissement bien trop prudent, probablement pas aussi riche que l'on aimerait, et surtout de l'Etat et en particulier de l'armée, qui soit ne soutiendrait pas ses "pépites", soit ne disposerait pas de la doctrine ou culture volontariste -et tendant si possible à la privatisation des capacités- nécessaire aux temps agitées que nous vivons (avec souvent l'exemple, vraiment très mal choisi, des Etats-Unis). 
Ce raisonnement apparait pourtant bel et bien biaisé. Premièrement, car Dark a fait un choix de design risqué dès l'origine, en optant entre autres pour le lancement réactif par aérolargage, technologie complexe (voir du côté de la faillite de Virgin Orbit) qui n'aura probablement pas aidé à gagner la confiance des investisseurs ou clients… d'autant plus qu'il fallait se doter d'un avion porteur. Deuxièmement, le brusque virage opéré d'un système dédié aux opérations visant à maintenir la durabilité des orbites, dont les perspectives de marché sont aujourd'hui quasiment réduites à néant (ont-elles jamais existé ?), vers les marchés militaires était un peu radical, ou du moins bien trop avant-gardiste pour la doctrine qui découle de la stratégie spatiale de défense de 2019, qui ne conçoit jamais la défense des capacités en orbite autrement que par la défense active, et le "découragement" (un autre mot pour dissuasion). Troisièmement, faut-il rappeler que ce n'est pas le marché qui décide du besoin des armées ? Disposant de ressources contraintes, le Commandement de l'espace a été assez limpide sur ses besoins prioritaires, et cela dans diverses sorties publiques qui ont notamment servi, plus ou moins directement, à éliminer quelques pistes technologiques… qu'on les juge nécessaires ou non. 


Le communiqué de Dark, signifiant la fin de ses activités (en anglais)

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Souhaitons évidemment aux créateurs et employés de Dark de poursuivre leur aventure professionnelle de la meilleure des manières, et de continuer à contribuer aux reflexions et innovations, en particulier dans les secteurs stratégiques. L'idée était belle, et la solution globale du lancement réactif reste une problématique de fond pour une puissance comme la France. 

Un dernier mot enfin sur l'aéroport de Bordeaux, qui après le déménagement d'Hynaéro, finalement parti poursuivre son projet d'avion bombardier d'eau à Istres, perd ici son autre grand projet d'implantation. Comme trop souvent, responsables et médias locaux avaient vite fait de se féliciter des "500 emplois" qui viendraient avec une start-up. 
La donnée inquiétante est que la conjoncture, en particulier du côté des financements et de la maturation des projets des uns et des autres, laisse penser que Dark n'est ni la première, ni la dernière des prometteuses start-up à vocation stratégique nées en France ces dernières années à disparaitre prématurément. Plusieurs des projets dont ce blog a fait l'écho ont d'ailleurs d'ores et déjà disparu dans le plus grand silence ces derniers mois. Sans surprise, il se peut donc que l'on ait entamé le cycle des défaillances, un cycle dont émergeront pourtant de rares et précieux vainqueurs. 

Heureusement diront certains, il reste encore à l'Aquitaine sa baleine blanche.  



Pour la postérité, les images qui illustraient les ambitions de Dark :




mercredi 8 octobre 2025

Dassault Aviation a livré son 300ème Rafale

Dassault Aviation a annoncé ce 7 octobre que le cap des 300 Rafale produits venait d'être franchi il y a quelques jours. Critiqué à ses débuts, le fleuron de l'aéronautique de défense française se dirige doucement mais sûrement vers une carrière opérationnelle et commerciale qui placera sa réussite au dessus de son prédécesseur, le Mirage 2000. Car les perspectives sont encore prometteuses !


Issu d'un programme lancé il y a maintenant près de 40 ans, le Rafale a entamé sa carrière opérationnelle dans les forces françaises en 2004 dans la Marine Nationale (puis 2006 dans l'armée de l'Air). Son premier contrat export est lui remporté en 2015, en Egypte. Les tous derniers appareils livrés pourraient justement l'avoir été à l'Egypte, si l'on en croit les images qui nous arrivent aujourd'hui de Mérignac. Les premiers appareils destinés à l'Indonésie ont également été aperçus il y a quelques jours. 

A ce jour, 533 Rafale ont été commandés fermes par la France et huit pays clients export. 233 exemplaires restent donc à assembler à Mérignac et à livrer, avec des cadences de production qui sont prévues pour augmenter jusqu’à quatre appareils par mois.

Tout ou presque a déjà été dit sur ce blog depuis 2013 sur la success story du Rafale, mais notons comme Dassault Aviation le rappelle dans son communiqué que le programme fédère 400 entreprises françaises, et qu'il demeure donc un des programmes absolument majeurs à l'échelle de l'industrie nationale, tous secteurs confondus. 

L'avenir concerne désormais le standard F-5 prévu pour le milieu de la décennie 2030. Il s'agira d'une évolution très importante pour l'avion en tant que système d'armes avec notamment une possible remotorisation (M-88 T-Rex), et l'arrivée de drones accompagnateurs (programme UCAS... et autres ?). 

Concernant l'export, si quelques marchés sont à surveiller (Grèce de nouveau ? Portugal ?), ce n'est visiblement toujours pas en Europe que les choses vont s'emballer. Le dantesque marché indien à venir pour 116 appareils fera bien sûr l'objet d'une attention particulière dans les prochains mois. 

Et pour ce qui est de son successeur, le "NGF" (Next Generation Fighter), pierre angulaire du SCAF (système de combat aérien futur), la situation semble aujourd'hui totalement paralysée entre les partenaires français, allemands (surtout) et espagnols, au point que l'on évoque publiquement l'éventualité de faire un chasseur de nouvelle génération en solo
Quoiqu'il en soit, il s'agira de ne pas perdre trop de temps, car Américains et Chinois ont déjà pris une véritable avance. Quant aux autres "challengers", ceux-ci semblent tout de même moins avancés qu'ils ne le laissent croire dans les opérations marketing. 

Enfin, et puisque l'on oublie trop souvent le Falcon (là, il y une sacrée différence avec les débuts de ce blog, puisque la gamme représentait il y a 10/15 une grosse majorité du chiffre d'affaires de l'avionneur. C'est aujourd'hui l'inverse, en faveur du Rafale), sachez que la Direction Générale de l’Armement a notifié le 26 septembre dernier la commande de cinq Falcon 2000 Albatros à Dassault Aviation, dans le cadre du programme d'Avions de Surveillance et d’Intervention Maritimes (AVSIMAR), programme qui vise à se doter dans un premier temps de 12 de ces appareils. 


lundi 1 septembre 2025

[Parution] Dossier New Defense dans Deftech magazine n°14

Après le New Space, au tour du New Defense ? Le complexe militaro-industriel américain subit depuis quelques années une offensive inédite de nouveaux acteurs, issus du monde de la tech. Les Palantir ou autre Anduril ont rapidement construit leurs conquêtes, et bénéficient aujourd'hui d'une puissance financière impressionnante. D'autant plus qu'ils ont su orienter l'échiquier politique dans le sens de leurs projets. La Maison Blanche désormais acquise à leur cause, ils regardent maintenant vers l'Europe et l'Asie

Ci-dessus : un écran publicitaire Anduril Industries à Washington - crédit Anduril sur Instagram.



Comme post de rentrée, j'ai le plaisir de signaler la sortie en kiosque du Deftech #14 où je signe le dossier sur la mouvance "New Defense" (certains parleront aussi de Defense Tech), ou comment la Silicon Valley est partie à l'assaut des marchés du Pentagone face aux "big five" (Lockheed, Boeing, Northrop, RTX, General Dynamics...) du complexe militaro industriel. Une offensive technologique, reposant sur une fondation idéologique aujourd'hui puissamment ancrée.  

Derrière Elon Musk, qui n'est que le sommet ultramédiatisé de l'iceberg, ces acteurs, vous les connaissez déjà pour certains: il s'agit de Palantir TechnologiesAnduril Industries et quelques autres à la valorisation boursière déjà impressionnante. Ils arrivent avec la promesse -très marquée politiquement, et nourrie par les courants libertariens- de révolutionner le secteur, en bouleversant les cycles d'innovation (ils apportent avec eux l'IA), mais aussi et surtout de production. Ils entendent pour cela briser l'influence des géants de l'armement à Washington, et changer la culture d'acquisition -défaillante- du Département de la Défense. Un combat qu'ils ont en partie remporté en se rangeant derrière Donald Trump pour son second mandat, et en infiltrant patiemment les cercles militaires.


Ce dossier ayant été préparé durant tout le premier semestre 2025, les annonces récentes (au Bourget en juin notamment) concernant leur appétit sur le marché européen et les accords passés dans certains pays, comme l'Allemagne, confirment que ce train à grande vitesse est lancé, et bien lancé. Dépourvus de puissance financière comparable, certains acteurs français et européens, comme Helsing (sorte d'héritier spirituel d'Anduril), s'inscrivent dans cette stratégie et tentent de prendre le wagon (entretiens disponibles sur ces questions dans le magazine, avec HyPrSpace et Turgis Gaillard !), mais la lutte semble déjà inégale sur un continent où la notion d'indépendance stratégique est loin d'être partagée et comprise de la même manière.

Un dossier qui augure donc un suivi de long cours sur cette question.

Bonne lecture !