La start-up Dark a annoncé mercredi 8 octobre l'arrêt de ses activités. Elle développait une solution complète de désorbitation pour la défense. En manque de financements, et faute de contrat, l'aventure s'arrête ici, au bout de 4 ans. Dark avait prévu de s'installer sur l'aéroport de Bordeaux-Mérignac.
Images : vues d'artiste -©Dark.
Fondée en 2021 par deux anciens de MBDA,Guillaume Orvain et Clyde Laheyne, Dark faisait partie des quelques start-up françaises du spatial qui se sont lancées dans la tâche difficile de concevoir et commercialiser un micro-lanceur de souveraineté. Le produit complet, Interceptor, devait s'appuyer sur un ensemble de systèmes intégrés allant de l'avion porteur, au lanceur aérolargué, en passant par le radar et un module terminal doté de capacités robotisées et de guidage algorithmique pour capturer les objets en orbite. Dans la stratégie de Dark, il était d'abord question de nettoyer l'orbite de débris hors de contrôle, avant que celle-ci évolue en 2024 -avec une communication très calquée sur la vague new defense américaine- vers des missions de désorbitation des objets menaçant, et cela explicitement dans le cadre de missions pour la défense.
En cinq ans, l'entreprise avait avancé sur plusieurs systèmes et notamment sur la conception d'un moteur auprès du DLR en Allemagne [oui c'est un peu antinomique avec la phrase précédente] dont les dernières images avaient été dévoilée en cette rentrée 2025. Dark avait aussi signé en 2023 un partenariat avec l'aéroport de Bordeaux-Mérignac pour ses futures opérations, et obtenu des contrats d'études comme fin 2024 avec l'Agence pour l'innovation de défense (AID), autour du logiciel de simulation "Salazar" de l'entreprise.
Mais ces derniers -et probablement trop peu lucratifs- contrats et les quelques 10,5 millions d'euros levées n'auront clairement pas suffi à réaliser les grosses ambitions de la start-up, qui, sans "ancrage", comme elle le nomme dans le communiqué final, n'avait pas les reins pour continuer de fonctionner. Il aurait fallu a minima faire partie des heureux élus du plan France 2030.
La "fin" de Dark était ainsi pressentie/connue depuis des mois, et ses dirigeants ont d'ailleurs bien soigné leur sortie, avec des équipes (une quarantaine d'employés) qui ont pu préparer leur rebond de carrière. Le dernier communiqué cite aussi une propriété industrielle qui demeure protégée en France.
Problème, l'échec de Dark, même s'il ne rencontre pas un écho considérable, a provoqué cette semaine quelques réactions outrées de la part des milieux "business" et plus généralement de l'écosystème start-up. Y compris de la part d'anciens hauts gradés de l'institution militaire. La faute serait celle d'un modèle français d'innovation et/ou d'investissement bien trop prudent, probablement pas aussi riche que l'on aimerait, et surtout de l'Etat et en particulier de l'armée, qui soit ne soutiendrait pas ses "pépites", soit ne disposerait pas de la doctrine ou culture volontariste -et tendant si possible à la privatisation des capacités- nécessaire aux temps agitées que nous vivons (avec souvent l'exemple, vraiment très mal choisi, des Etats-Unis).
Ce raisonnement apparait pourtant bel et bien biaisé. Premièrement, car Dark a fait un choix de design risqué dès l'origine, en optant pour le lancement réactif par aérolargage, technologie complexe (voir du côté de la faillite de Virgin Orbit) qui n'aura probablement pas aidé à gagner la confiance des investisseurs ou clients… d'autant plus qu'il fallait se doter d'un avion porteur. Deuxièmement, le brusque virage opéré d'un système dédié aux opérations visant à maintenir la durabilité des orbites, dont les perspectives de marché sont aujourd'hui quasiment réduites à néant (ont-elles jamais existé ?), vers les marchés militaires était un peu radical, ou du moins bien trop avant-gardiste pour la doctrine qui découle de la stratégie spatiale de défense de 2019, qui ne conçoit jamais la défense des capacités en orbite autrement que par la défense active, et le "découragement" (un autre mot pour dissuasion). Troisièmement, faut-il rappeler que ce n'est pas le marché qui décide du besoin des armées ? Disposant de ressources contraintes, le Commandement de l'espace a été assez limpide sur ses besoins prioritaires, et cela dans diverses sorties publiques qui ont notamment servi, plus ou moins directement, à éliminer quelques pistes technologiques… qu'on les juge nécessaires ou non.
Souhaitons évidemment aux créateurs et employés de Dark de poursuivre leur aventure professionnelle de la meilleure des manières, et de continuer à contribuer aux reflexions et innovations, en particulier dans les secteurs stratégiques. L'idée était belle, et la solution globale du lancement réactif reste une problématique de fond pour une puissance comme la France.
Un dernier mot enfin sur l'aéroport de Bordeaux, qui après le déménagement d'Hynaéro, finalement parti poursuivre son projet d'avion bombardier d'eau à Istres, perd ici son autre grand projet d'implantation. Comme trop souvent, responsables et médias locaux avaient vite fait de se féliciter des potentiels "500 emplois" qui viendraient avec une start-up.
La donnée inquiétante est que la conjoncture, en particulier du côté des financements et de la maturation des projets des uns et des autres, laisse penser que Dark n'est ni la première, ni la dernière des prometteuses start-up à vocation stratégique nées en France ces dernières années à disparaitre prématurément. Plusieurs des projets dont ce blog a fait l'écho ont d'ailleurs d'ores et déjà disparu dans le plus grand silence ces derniers mois. Sans surprise, il se peut donc que l'on ait entamé le cycle des défaillances, un cycle dont émergeront pourtant de rares et précieux vainqueurs.
Heureusement diront certains, il reste encore à l'Aquitaine sa baleine blanche.
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