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lundi 23 juin 2025

Salon du Bourget 2025, l'édition du signalement stratégique ?


L'édition 2025 du Salon international de l'aéronautique et de l'espace, mieux connu sous le nom de Salon du Bourget (le 55ème), aura été marquée par une curieuse sensation. Celle d'être devenu un salon de défense.

Images - Thomas Schumacher / @paxaquitania, MINARM, industriels.   


Le pesant parfum de la poudre flottait -ou plutôt soufflait vu la puissance nécessaire pour climatiser cette chaude semaine- dans les larges allées du Salon du Bourget 2025. Etonnant ? Oui en fait, car même en 2023, lors de l'édition qui suivait le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine un an plus tôt, et bien que les sujets défense soient dans toutes les discussions à l'époque déjà, nous n'avions d'une part, pas le même niveau de maturation des systèmes, et d'autre part, pas ce constat d'isolement stratégique de l'Europe résultant de l'élection de Donald Trump. 

Certains parmi les 300 000 visiteurs (record absolu) l'auront d'ailleurs amèrement regretté ce climat, y compris chez les professionnels, et en particulier dans le Paris Space Hub, espace géant exclusivement dédié au spatial, mais c'est tout simplement le signe des temps (ajoutons l'ambiance délétère qui régnait autour de la présence d'armes "offensives" [sic] sur les stands israéliens).  

Cette année, les projets (je n'ai pas dit programmes, mais on sent tout de même de la maturité) se présentent également de façon différente, avec une propension à l'auto-financement qui, de façon limitée attention (d'autant plus que ce n'est pas possible pour tout le monde), semble inaugurer un retour à la prise d'initiatives, et donc de risques. Ou au coup politique, on peut le voir comme ça. 

Problème, même en ces temps de crises et de promesses de budget géant pour la défense, l'Etat reste avare… et se contente souvent d'observer avec une prétendue bienveillance. Il faudra bien enclencher un jour attention, sous peine de casser la machine à innover, et de voir certaines idées partir à l'étranger. Cela serait bien dommage à l'heure où le catalogue à notre disposition se remplit considérablement, et de façon parfois étonnante. Il y avait en effet sur cette édition du Bourget des propositions dont les forces françaises n'auraient pas imaginé rêver il y a quelques années à peine.  


Un tour en quelques grands points 👇

  • Dassault Aviation maître en sa demeure (sauf pour le futur AWACS)
Pour ce Bourget 2025, l'avionneur de Saint-Cloud, qui à en constater la longue file d'attente pour monter à bord des Rafale ou Falcon, reste sans conteste la star du salon, et a choisi ses priorités. Ces dernières sont énumérés dans les sorties presse du PDG Eric Trappier, et se ressentent sur les exhibitions. Pour le court terme donc, c'est le Rafale F5 (2030+). Pour le moyen terme, le drone UCAS (héritier du Neuron en 2035), et pour le long terme un appareil de combat de sixième génération un avion spatial : VORTEX !

Dassault Aviation est enfin sorti du bois sur ce sujet. L'avion spatial habité, ici en héritage direct de feu la navette européenne Hermes, c'est le grand -et prestigieux- rêve du groupe à horizon 2050, mais l'Etat (CNES, DGA, armée de l'Air), qui manque de moyens, ne semble pas totalement convaincu par cet appareil à tout faire qu'il juge très complexe, bien qu'injectant symboliquement 30 millions d'euros dans les études de développement. Dassault devrait donc aussi aller chercher du soutien du côté de l'Agence spatiale européenne, et tenter de fonctionner par étapes (la fameuse méthode itérative du new space ?!?), avec à court terme plusieurs démonstrateurs de taille réduite, puis un drone. Nous aurons l'occasion d'en reparler, car quoiqu'on en pense, le dossier est relancé !

L'Etat apporte un soutien au projet Vortex de Dassault Aviation - Photo MINARM


Concernant le Rafale, nous avons déjà un peu tout dit sur le standard F5, mais le motoriste Safran confirme s'engager dans la remotorisation de l'avion avec le M88 T-REX (9 tonnes de poussée), et Thales prépare un pod de guerre électronique. Les réservoir conformes de 1 200 litres qui donnent un look différent au Rafale étaient visibles, non pas chez Dassault Aviation, mais sur le stand du ministère des Armées, ce qui est une nuance importante. Il n'est pas dit, que pour des questions de maintenance, cette idée n'aille beaucoup plus loin que le bricolage pour la photo. 

Le Rafale avec réservoirs conformes sur le stand MINARM, et la bombe AASM XLR - Photo TS.


Mais le standard F5, c'est aussi un drone de combat partenaire de mission, l'UCAS, qui selon la maquette 1:1 dévoilée est une évolution parfaite du démonstrateur Neuron. Un Neuron "durci", "lourd", si l'on veut. Ce drone furtif fera approximativement la taille d'un Mirage 2000, et sera doté d'un seul moteur, le M88 du Rafale, ainsi que du train d'atterrissage de ce dernier. Il pourra être navalisé, mais seulement à bord du porte-avions de nouvelle génération, qui disposera de catapultes électromagnétiques.

Pour la France qui manque clairement de capacités furtives, ce programme apparaît comme structurant pour nos forces aériennes et leur capacité d'entrée en premier, notamment après les démonstrations réalisées en Iran par Israël, puis par les USA.

UCAS : unmanned combat air system - photo TS 


Un mot également sur le futur des AWACS de l'armée de l'Air et de l'Espace. Comme pressenti, cela se fera bien avec le système Global Eye de Saab (sur avion porteur Bombardier), la déclaration d'intention est signée depuis le 18 juin pour quatre appareils, dont deux fermes. Probablement davantage au cours de la LPM suivante
Je plaidais ici même il y a deux ans pour une intégration de la solution Saab sur le Falcon 10X, et il semble bien que Dassault ait eu son mot à dire avant le choix définitif de la DGA. Cette dernière n'a toutefois pas été convaincue par la proposition, car les E3 Sentry de l'armée de l'Air épuisent leur potentiel à vu d'œil. Bref, il ne fallait pas tergiverser, et l'industrie française a tergiversé. Il en ressort un beau geste de la France envers l'Europe, et pour la Suède, qui fournit en capacité d'alerte avancée une puissance nucléaire, c'est un coup absolument magnifique. 


Communication politique, en France puis la réponse suédoise. 


  • L'espace en force, et la force dans l'espace
Au delà du Vortex de Dassault, l'espace était assurément l'un des grands points du Bourget 2025, avec pour la première fois, l'imposant Space Hub, mais pas seulement puisque l'armée de l'Air et de l'Espace avait aussi son showroom dédié. Le Space Hub réunissait bien sûr le CNES et l'ESA (pour son cinquantième anniversaire), ains que les start-up qui y bénéficiaient d'une visibilité accrue. Un lieu où tout ce que le spatial européen a de personnalités est venu faire un coucou. Sauf l'astronaute française Sophie Adenot, en formation à Houston, qui assisté en visio à la révélation du nom et du logo de sa mission de 2026 ("Epsilon"), lors de la venue d'Emmanuel Macron le vendredi 20 juin, visite durant laquelle le Président de la République a tenu, au sein du Space Hub, son seul discours officiel du salon, entièrement consacré au spatial donc, et à la teneur très stratégique. S'il faudra finalement attendre octobre pour avoir la nouvelle stratégie spatiale nationale (résolument orientée vers une convergence avec les alliés que sont l'Allemagne, l'Italie, l'Inde, les Emirats, et le Royaume-Uni), le sujet central sera resté celui du spatial comme "jauge de puissance". Une formule présidentielle qui restera.   



Au Paris Space Hub, derrière les Agences, on pouvait trouver le stand très central d'ArianeGroup, où en plus du produit emblématique Ariane 6, l'industriel ne se gênait pas pour promouvoir sa filiale MaïaSpace bien sûr, mais aussi de façon beaucoup plus surprenante, son futur missile balistique conventionnel MBT, sa fusée sonde Sylex capable d'emporter le planeur hypersonique V-MAX, ainsi que… le missile stratégique M-51. On ne se cache plus donc. 

Mais les start-up de micro-lanceurs (qui comptent bientôt quasiment 100 employés chacune) n'étaient pas en reste, la bordelaise Hyprspace présentant même une maquette de son lanceur suborbital OB-1 adaptée à la flexibilité des missions de défense. Mais nous en reparlerons.  

A deux pas, Eutelsat pouvait se targuer d'avoir été complètement rattrapé dans sa chute financière par l'Etat français, qui monte à 30% au capital afin de sanctuariser la constellation de connectivité One Web, que Paris considère comme la seule alternative souveraine au Starlink d'Elon Musk. Eutelsat se voit d'ailleurs offrir 10 ans de contrat militaire avec les forces françaises.  

A noter également que le Commandement de l'Espace lançait au Bourget le 19 juin le "cercle de confiance Espace", cadre de discussion privilégié avec les entreprises du secteur, avec l'idée que l'offre et la demande se rencontrent plus directement, pour ne plus perdre de temps. 

Emmanuel Macron a enfin annoncé que la France organiserait début 2026 son premier "Space Summit", afin de mobiliser, dans son sens on le devine, les partenaires internationaux. 
  
  • Le salon de l'aéronautique aérobalistique
Présenter une munition a pour avantage que l'on peut se déplacer indifféremment tous les ans à un grand salon français: le Bourget ou Eurosatory (le salon de l'armement terrestre). Et les munitions ne manquaient pas cette année, à commencer par la Hammer 250 XLR de Safran (photo plus haut), une AASM turbopropulsée par microréacteur Roxel, ce qui permettra à la célèbre bombe de précision française de porter jusqu'à 150 km en 2028 quand elle sera tirée depuis un Rafale, contre 50 à 70 aujourd'hui avec son booster à poudre. 

Très médiatisée, mais difficilement accessible sur stand, la fameuse munition de saturation One Way Effector (OWE) de MBDA, était présentée comme le Shahed français, ce drone iranien désormais utilisé par les Russes et qui terrorise la population ukrainienne.
OWE, développée avec un droniste, devra être produite en masse (1 000 exemplaires par mois, grâce à l'industrie automobile ?), n'être pas trop chère, et agir en essaim pour découvrir, saturer, et si possible traiter les capacités de défense aérienne adverses jusqu'à 500 km de distance grâce à une charge explosive de 40 kg. Tout cela sans être brouillée grâce au savoir faire de MBDA dans la navigation et le ciblage dynamique.  

Sur le même segment ou presque des munitions téléopérées, Eos Technologie (qu'on a autrefois connu chez nous à Mérignac) montrait sa gamme à microréacteur Veloce, qui est désormais intégrée au catalogue de KNDS. La Veloce 330 va entrer en phase de test au sein des forces françaises, tandis qu'Eos travaille sur "Rodeur" pour plus de portée (500 km) et d'autonomie (8h). 



MBDA dévoilait aussi une maquette de lanceur à 4 silos pour la version terrestre de son missile de croisière naval, le MDCN devenu MDCT. On parle ici de longue portée pour ce missile de 2 tonnes capable de parcourir 1 000 km en subsonique. Campagne de tir prévue à Biscarrosse chez DGA EM d'ici 2 ans et demi. 



Et puisque l'on parle de lanceur, Turgis & Gaillard , qui avait fait sensation avec le drone Aarok en 2023, est de retour pour combler les trous de la raquette française avec un véhicule lanceur de roquettes, dont le démonstrateur a une fois de plus été financé sur fonds propres, sur la base d'un châssis 6x6 Renault Trucks. Le système se veut rustique, aérotransportable, et surtout agnostique de missiles. Un rapport parlementaire récent préconise l'achat de 48 lanceurs

Le lanceur Foudre de Turgis & Gaillard - Photo TS. 


Je le mentionnais avec ArianeGroup, c'est le retour potentiel des capacités balistiques conventionnelles. Ariane se différencie là de l'offre MBDA, que l'on parle de missiles de croisière ou drones comme le OWE. Chez Ariane, on mise en effet avec MBT (missile balistique tactique) sur l'extra atmosphérique comme facteur différentiant, afin de ne pas être interceptée. Cela vient donc compléter l'offre des munitions endoatmosphériques de très longue portée… où Ariane développe son démonstrateur stratosphérique V-MAX, qui lui aussi est théoriquement impossible à abattre en raison de sa vitesse et de sa manœuvrabilité. Complémentaire, ou alternatif ? Cela dépendra du portefeuille, forcément conséquent, que l'Etat décidera d'allouer à ces capacités de frappe dans la profondeur. 


Pour conclure, l'on notera quelques éléments, en retrait, voire carrément absents : 
  • le SCAF bien sûr, avec une maquette de NGF -déjà vieille de 6 ans- placée en retrait, chose remarquée avec un certain étonnement par les Européens présents (je vous le traduis : cela veut dire "pas en bien"). Dassault Aviation et son PDG Eric Trappier veulent imposer une pression monstre à Airbus Defence & Space au moment de négocier la phase de développement d'un démonstrateur de futur avion de combat dont la date du premier vol semble une nouvelle fois avoir glissé (2030 aujourd'hui). Un pari osé, très critiqué par les observateurs, mais qui je l'imagine, pourrait s'avérer payant si Airbus se retrouve poussé dans les cordes. D'autant plus qu'en Allemagne, le géant Rheinmettal multiplie les coups de couteau dans le dos, enchainant les accords de production sous licence avec les Américains de Lockheed Martin (fuselage F-35 entre autres) et Anduril (drone de combat Fury). Airbus serait désormais en quête d'alliances. 

Combat collaboratif. Et le NGF, en retrait… symboliquement - Photo Thomas Schumacher  

  • Les commandes !?! Où sont les commandes ??? Chez Embraer ! Plus sérieusement, on pouvait espérer a minima 20 Rafale Air et 10 Marine pour les forces françaises, comme cela avait été suggéré dans la presse ce printemps. Et l'accord avec la Suède et Saab pour le Global Eye n'est pas encore au stade de la commande ferme (cela viendra dans les prochains mois). Sur les drones et munitions terrestres, il s'agira aussi de vraiment accélérer, afin que l'armée de Terre s'exerce. 
  • Concernant les retards, comme je le disais plus haut, la publication de la stratégie spatiale nationale est décalée, ce sera pour octobre à Toulouse lors de l'inauguration des nouvelles installations du Commandement de l'Espace. Et si la stratégie pour la THA (très haute altitude) a bien été présentée par le ministre Sébastien Lecornu, le fameux tir sur ballon atmosphérique qui devait se dérouler en ce mois de juin n'avait toujours pas été réalisé au moment du salon. [MISE A JOUR : succès de plusieurs tirs sur ballons en THA annoncé ce lundi 23 juin !]
  • Eté toujours, où l'on attend le premier vol du drone Aarok de Turgis & Gaillard. Cela s'est joué à peu pour une annonce au Bourget, mais la météo en a décidé autrement à la date prévue début juin. Une question de semaines désormais, le temps de tout remettre en place. Là encore, j'attends plus d'engagement de la part de l'Etat, T&G ne pourra pas tout faire sur fonds propres. Mais le Aarok continue bien de surfer sur la hype générée en 2023, pendant que l'Eurodrone (Airbus) et le Patroller (Safran) se montraient bien timides une fois de plus. A juste titre…   
  • Les "territoires" : difficile en effet d'exister pour la province quand les questions qui dominent concernent la géopolitique, et donc Paris, ses centres de décisions et ses sièges sociaux. On notera d'ailleurs que les start-up ou PME qui font le plus parler sont celles qui ont été prises sous l'aile du ministère des Armées ou d'un grand groupe. Difficile également sans argent public disponible au niveau régional. Difficile enfin quand on a subi la désindustrialisation, et que ce sont des capacités de production dont on a désormais besoin (par exemple : on ne parle pas cette année de faire financer et construire des usines, mais plutôt d'utiliser celles des géants de l'automobile). A oui au fait… l'Aquitaine et Bordeaux-Mérignac ont perdu Hynaero et son projet de bombardier d'eau Fregate F-100, qui filent à Istres. Mais comme dirait l'autre: "Ce n'est pas grave on va faire des dirigeables !". Heureusement il y a Eurenco, qui signe des accords structurants avec Saab en Suède, et FN Herstal en Belgique.  
  • L'envie d'ajouter tout le secteur civil, où le choses vont bien, très bien même, mais clairement pas sous le feu des projecteurs médiatiquement parlant, surtout quand on connait la chute vertigineuse d'attention (ou pire, d'intérêt ?) que connaissent les problématiques de RSE, en premier lieu la décarbonation. Mais dans ce dernier domaine, les choses vont tout de même bon train, en particulier chez Safran. Quant aux taxis volants, il y en a peut-être deux fois moins qu'en 2023. 
  • Les absents: les Falcon de mission dont on parle vraiment trop peu (ce qui a laissé la place au Global Eye, sur Bombardier G6000). Pas de Mirage non plus, mais les verra-t-on encore ? Tout comme les appareils d'ancienne génération comme l'ATL-2 ? Plus étonnant, l'A330 MRTT n'était pas là non plus. Quand à l'actualité hélicoptère, elle était surtout contemplative avec les vols quotidiens du magnifique démonstrateur Racer d'Airbus, que l'on voit tout de même mal trouver un marché…

Le -magnifique- Racer d'Airbus Helicopters - Photo TS

vendredi 7 mars 2025

Succès total pour Ariane 6 et CSO-3


Pour son second lancement depuis juillet 2024, et son premier tir dit "commercial", Ariane 6 a placé le satellite militaire français CSO-3 en orbite basse. Un succès aussi déterminant que rassurant, alors que l'Europe n'a jamais été aussi seule. 

Images : Arianespace, Ariane Group, CNES, arrmée de l'Air et de l'Espace.


 
Tout est bien qui finit bien. Mais cela aura presque été interminable ! Avec plusieurs années de retard (pandémie, retards Ariane 6, guerre en Ukraine) d'abord, et deux reports ces derniers jours (pour raison technique, sur le segment sol), le satellite de renseignement français CSO-3 (composante spatiale optique) a enfin été placé sur orbite basse ce jeudi 6 mars lors du premier lancement commercial d'Ariane 6. 

Une superbe réussite pour les équipes en Guyane et en Europe, notamment à Bordeaux, qui met sur de bons rails la carrière de notre lanceur de souveraineté. En théorie, il y aura cinq nouveaux lancements d'Ariane 6 en 2025, tous au second semestre, et le double en 2026. Un calendrier de montée en puissance très (trop ?) ambitieux. 

Ci-dessous, présentation des capacités CSO du programme MUSIS : 



Inutile de préciser que dans le bouleversement géopolitique des dernières semaines, cette nouvelle capacité française, souveraine, arrive à point nommé. Elle contribuera assurément aux objectifs d'indépendance stratégique de l'Europe (tout comme Ariane 6), à commencer, très probablement, par la contribution au soutien à l'Ukraine. 

Passé au sommet des priorités suite au basculement stratégiquement américain, le renseignement spatial européen devrait largement bénéficier des mobilisations financières engagées sur le continent. 

J'ajoute même un avis personnel : la "trahison" américaine pourrait même bénéficier aux Européens sur le marché international. Sur ordre du président Trump, l'Ukraine a en effet été coupée du renseignement spatial des forces américaines, mais aussi des services commerciaux comme ceux de l'entreprise Maxar... 







mercredi 10 juillet 2024

Ariane 6 - Et soudain, un ange passe


L'histoire retiendra que mardi 9 juillet 2024 à 21h, l'Europe a retrouvé sa capacité autonome d'accès à l'espace. Dix ans après le lancement politique du programme, le lanceur Ariane 6 s'est en effet enfin envolé sans difficulté depuis le Centre spatial guyanais. Un moment d'intense soulagement.  

Images: ESA & armée de l'Air et de l'Espace


Et soudain, tout est oublié. Ariane 6, si longtemps critiquée pour ses retards ou pour son coût (programme à 4 milliards d'euros, ce n'est finalement pas si cher), si longtemps remise en cause quant à son existence même, s'est enfin envolée. La France (qui y contribue à 50%) et l'Europe retrouvent enfin un lanceur lourd dans un contexte où SpaceX impose doucement mais sûrement son monopole commercial, mais où dans le même temps, toutes les grandes puissances spatiales (Russie, Japon, Inde, Chine) ont fait le choix de ne pas renoncer aux lanceurs de souveraineté. 

Tout s'est déroulé de façon "nominale", du moins durant 1h30 puisque le 3ème et dernier rallumage du moteur Vinci en orbite n'a jamais eu lieu. Il faudra plusieurs semaines pour savoir ce qui a cloché sur premier test grandeur nature en zéro-G, ce deuxième étage devant contribuer à ce fameux service en "arrêts de bus" que permet le Vinci sur Ariane 6. 

Mais cela ne devrait a priori avoir aucun impact sur le premier vol commercial, qui se déroulera normalement en décembre, pour l'envoi si important du satellite d'imagerie militaire français CSO-3
Un peu dommage en revanche pour les deux démonstrateurs de capsules de rentrée atmosphérique perdus avec cet échec au 3ème allumage, qui portaient la marque du territoire néo-Aquitain (ArianeGroup pour l'une, The Exploration Company pour l'autre). 

Il y a une donnée qu'il faut nécessairement rappeler: un nouveau lanceur a entre 50% et 70% de chances d'échouer lors de son premier tir. Et quasiment 100% si l'entreprise qui le conçoit débute, il faut s'en souvenir.
Cette réussite d'Ariane 6, qui ne faisait pas vraiment de doutes en réalité tant les responsables s'étaient montrés confiants (confiants, mais humbles), doit nous rassurer sur le formidable héritage sur lequel est assise l'Europe spatiale. Nos félicitations doivent ainsi aller en premier lieu à toutes les équipes qui ont mené ce programme au succès. Programme à qui nous souhaitons une longue vie. Mais sera t-elle si longue que ça ? Ceci est un autre débat. Il faudra avant tout pouvoir tirer 12 Ariane 6 par an d'ici 3 ans. C'est beaucoup, et si peu. 



Mais ce succès si attendu, on peut le regretter, aura été étouffé médiatiquement entre une crise politique historique et divers événements sportifs d'envergure. Il n'a, de plus, étonnement fait l'objet d'aucune retransmission TV en direct (Ariane 5 y avait droit, régulièrement). Cependant, nous aurons pu noter que durant au moins 48h, l'enthousiasme aura refait surface au sein d'un écosystème du spatial européen proche de la déprime complète. 


Ambiance délétère

Car il faut dire que dans un monde.. que dis-je... dans une économie du spatial qui a fondamentalement évolué, les agences (CNES, l'ESA), l'industriel ArianeGroup ou la société de commercialisation Arianespace encaissent les coups de la part d'un écosystème privé jeune et -en apparence- dynamique à qui l'on a à tort ou à raison attribué le titre de "new space européen". On ne compte plus les tribunes dans la presse, les plateaux télé, ou les invectives sur les réseaux sociaux venant contester la légitimité des acteurs historiques, coupables de ne pas avoir vu venir la révolution SpaceX. 
Tout cela sans compter sur le lâchage politique en règle qui se profile du côté de Berlin (dernier épisode: la "trahison" d'EUMETSAT) et Rome. Je préfère sur ce point exprimer le fond de ma pensée dès aujourd'hui: si Ariane a un avenir au delà de 2030, il ne faudra pas avoir peur de le faire en franco-français. Et donc de le financer, mais le prix à payer n'est pas si exorbitant pour un tel instrument de hard et de soft power. La France qui est d'ailleurs bien seule, via la parole de ses dirigeants politiques, à s'exprimer sur le succès de ce vol inaugural 



Face à ces discours, la réplique existe, mais elle est totalement désordonnée, et surtout hors de son temps. 
D'une part, il y a les quelques représentants d'une génération de space boomers, qui de façon mal avisée, nient en bloc, à la fois l'existence d'une économie de l'orbite basse tant vantée par les études de marché (car représentant en théorie des dizaines de milliards de dollars), et les lubies de la réutilisation ou même du vol habité. Il s'agirait donc selon leur raisonnement, de simplement continuer sur la voie -raisonnable- tracée depuis les 50 dernières années en Europe, sans céder aux sirènes du techno capitalisme et des récits patriotiques américains ou chinois. Il m'importe peu ici que l'analyse soit fondée ou pas, mais le fait est que le message envoyé aux jeunes générations est désastreux, dans un monde qui a besoin de scientifiques, d'ingénieurs, de visionnaires, et surtout d'aventures humaines et technologiques.   
D'autre part, il y a la communication totalement confuse des institutions qui se sont récemment mises à douter de leur propre existence (comprendre de leur éventuelle mort imminente). En témoigne la sortie récente de la part de l'ESA, affirmant que SpaceX n'est pas un concurrent. Elon Musk, lui, ne s'est jamais gêné pour déclarer qu'il mettrait à mort tout le secteur, Européens compris… 

Quoiqu'il en soit, Ariane 6 a volé, nous nous sommes ébahis, et l'Europe a retrouvé son accès souverain à l'espace. Mais mercredi matin, la trêve était déjà terminée, quand plusieurs start-up se joignaient l'une à l'autre pour réclamer publiquement à l'ESA et à l'UE un "nouveau paradigme spatial" visant à offrir une alternative souple et surtout compétitive au programme Ariane: il s'agit de Latitude pour la France, Orbex pour le Royaume-Uni, et de Rocket Factory Augsburg (RFA) pour l'Allemagne. Mais avant de s'autoqualifier de relève, il s'agira de suivre l'exemple d'Ariane, et de s'envoler. 



Allez, petit recap en images grâce à l'ESA. On remerciera également l'armée de l'Air et les pilotes de la 4ème escadre de chasse sur Rafale pour les prises de vue historiques : 














mercredi 19 juin 2024

#Eurosatory2024 - Retour en force des missiliers sur le segment terrestre


Le conflit ukrainien tel qu'il se déroule depuis deux ans, combinant des combats de "haute intensité" et l'empêchement du déploiement à plein potentiel de la puissance aérienne, a poussé les armées occidentales à revoir leurs priorités concernant les capacités terrestres de frappe en profondeur. Et sur ce plan, le portefeuille français semble en passe de largement s'étoffer.

Ci-dessus: LRU de l'armée de Terre à la manœuvre avec des HIMARS américains - © EMACOM


Si la mode est aux drones et munitions rodeuses, que nous ne citerons pas dans ce résumé, le retex ukrainien nous montre que les résultats stratégiques sont eux obtenus lors de frappes dans la profondeur du dispositif ennemi, sur les centres de commandement, de logistique, ou de concentration de troupes. Des résultats que nous nous étions, en Occident, habitués à obtenir grâce à la puissance aérienne ou maritime. Or, que se passe t-il quand celles-ci sont empêchées ou absentes ? 

La transition est toute trouvée puisque le missilier MBDA, qui s'impose selon moi comme l'un des exposants les plus en vue lors de cette édition du salon Eurosatory puisque présent sur les munitions rodeuses, les missiles anti-char, la défense anti aérienne, et la frappe en profondeur, a dévoilé une version terrestre de son missile de croisière naval (MdCN).

Le Land Cruise Missile (LCM) repose en effet sur le système MdCN qui équipe (combat proven) les frégates et les sous-marins d'attaque de la Marine nationale française. MBDA insiste sur le fait que l'ensemble du système est intégré et rodé, conserve l'ensemble des ses performances (dont sa portée impressionnante de 1000 km), et peut être embarqué sur une plateforme mobile afin de maximiser sa survivabilité. Le LCM offre également une capacité de frappes simultanées contre une cible unique depuis des plateformes différentes, "comme l’a démontré le tir d’entraînement réalisé par la Marine nationale en avril 2024, avec le soutien de la DGA, depuis une frégate et un sous-marin immergé."

Le LCM, dont le développement n'est pas terminé, devrait permettre de disposer d'une capacité de frappe en profondeur terrestre souveraine à court terme… en attendant la suite.



Deuxièmement, il y a le programme FLT-P : Frappe longue portée terrestre. Durant les combats en Ukraine de l'année 2022, l'arrivée des lanceurs HIMARS en Ukraine est apparue comme une révélation pour les Européens, qui les uns après les autres, ont depuis passé commande auprès des Américains. D'autres, comme l'Espagne, ont temporisé, se penchant sur le marché international. Et comme souvent, la France, elle, a penché pour la solution souveraine au détriment de l'achat sur étagère… c'est le programme FLT-P, inscrit dans la Loi de programmation militaire 2024-2030.

Il s'agira donc de remplacer dans l'armée de Terre ce qu'il reste de la déjà maigre capacité de frappe en profondeur constituée par les lance-roquettes unitaires "LRU", plateforme héritée des années 1980 mais modernisée depuis. 13 lanceurs sont attendus d'ici 2030, ce qui remplace l'actuelle flotte théorique (il en reste en réalité beaucoup moins), ce chiffre passant à 26 en 2035. Les spécifications demandées par la DGA tournent autour d'une portée doublée par rapport au LRU, donc 150 km contre 70 aujourd'hui, et d'une haute précision. 

Pour répondre à ce marché de 600 millions d'euros, le groupe MBDA s'est allié à Safran pour proposer "Thundart", une version terrestre propulsée de la bombe air-sol AASM pouvant être lancée par salve de 12 jusqu'à 150 km dans un environnement électromagnétique dégradé (y compris sans GPS).

Mais sur ce programme, qui avancera dès cette année 2024, la BITD française voit s'avancer d'autres candidats. 

Force de frappe hypersonique terrestre ? 

Face à MBDA & Safran, on connait depuis plusieurs mois l'autre tandem, plus inédit, composé d'ArianeGroup & Thales, qui pour ce programme FLT-P proposent à horizon 2030 une munition balistique pouvant atteindre une cible à 150km à une vitesse avoisinant Mach 3. Ariane hérite du développement de la munition, et Thales de la conception du système de commandement et de contrôle (C2) et du système de guidage. 

A ce stade, s'il est déjà curieux de voir Ariane, surtout connue dans le militaire pour les missiles stratégiques de la force de dissuasion nucléaire, venir tenter sa chance sur le segment conventionnel -ce qu'elle fait déjà en quelques sortes avec le programme de planeur hypersonique V-MAX - le plus intéressant vient ensuite.  

En effet, pour la seconde partie du programme, Ariane et Thales poussent les curseurs en imaginant cette fois une munition pouvant frapper à 1 000 km ! Comme le LCM de MBDA ? Pas tout à fait.  La munition balistique devrait tutoyer la haute atmosphère et atteindre sa cible à Mach 5. Ou autrement dit, à vitesse hypersonique. De telles performances feraient de cette capacité, même si conventionnelle, un argument stratégique car extrêmement difficile à intercepter. 

Pour ceux qui ont un peu de mémoire, cela rappellera peut-être une tribune volontairement polémique rédigée par l'expert des blindés (et en particulier du char Leclerc, avec un ouvrage de référence paru récemment) Marc Chassillan il y a de cela un peu plus d'un an. Dans celle-ci, il ne proposait ni plus ni moins que de supprimer la composante de cavalerie lourde de l'armée de Terre afin de la remplacer par une force de frappe hypersonique… Provocateur, mais en partie prémonitoire ?


Reste la question des porteurs mobiles. Le célèbre M142 HIMARS américain assure sa haute mobilité (le "HIM"de l'acronyme HIMARS) grâce un camion porteur d'origine autrichienne. S'agissant des projets français, nous n'avons vu que des maquettes ou visuels, parfois pour montrer un camion, parfois un blindé chenillé semblable à l'actuel LRU de l'armée de Terre (comme c'est le cas sur le stand MBDA à Eurosatory). A ce stade, aucun choix ne semble avoir été fait, mais des constructeurs comme KNDS et Arquus se sont d'ores et déjà portés candidats depuis plus d'un an.   


Il existe également la solution de la plateforme fixe, Boeing et Saab proposant par exemple un lanceur GLSDB installé dans un container DRY standard.


Enfin, et pour finir ce tour des industriels français, n'oublions pas la discrète Roxel, qui fournit les systèmes de propulsion d'un impressionnant catalogue des missiles (60% du marché en Europe). Elle, dont le chiffre d'affaires augmente avec la demande, et qui investit fortement ces derniers mois sur la R&T (x3), la modernisation de ses sites en France et en Angleterre, et le recrutement, aura nécessairement un rôle à jouer dans ce futur programme FLP-T.


mercredi 27 mars 2024

Lanceurs français: que le(s) meilleurs(s) gagne(nt) !

Emmanuel Macron a annoncé mardi 26 mars lors de son déplacement en Guyane les lauréats de la nouvelle phase du volet spatial du plan France 2030. Ce sont ainsi quatre entreprises qui développent un petit ou micro lanceur 100% national, donc souverain, qui concourront pour l'obtention de financements atteignant au total 400 millions d'euros. La rupture, c'est que cette somme comporte l'attribution de marchés de lancements. 

Ci-dessus: les quatre projets sélectionnés - source, constructeurs. 


Cela commence dimanche soir, ce 24 mars 2024, par des fuites émanant de l'Elysée -où la presse généraliste a été conviée- et des réseaux sociaux de quelques dirigeants. La nouvelle est confirmée dès lundi matin par les entreprises et la presse, avant qu'enfin, Emmanuel Macron n'en fasse l'annonce officielle mardi 26 lors de sa visite au Centre spatial guyanais de Kourou (alors que le sujet principal n'est autre que le lancement prochain d'Ariane 6, désormais annoncé pour "fin juin").

Nous y voilà donc. Comme révélé le 11 décembre dernier, jour fameux puisque celui où la France décidait -enfin- de faire tomber les masques et d'ouvrir la compétition européenne du spatial, le programme d'investissement dans l'innovation "France 2030" passe à la vitesse supérieure en soutenant massivement le développement de la filière des lanceurs franco-français. Si en décembre, on apprenait que les Bordelais d'HyprSpace remportaient la première manche en obtenant un financement de 35 millions d'euros pour leur développement, tout restait encore possible pour les autres acteurs durant les phases suivantes.

Et la phase suivante, la voici: 400 millions d'euros pour quatre entreprises, à savoir HyprSpace, Latitude, Maïaspace, et Sirius space services

Plus précisément, nous parlons ici d'un soutien de l’Etat "pour 4 projets de micro et mini-lanceurs lauréats, pour répondre aux besoins publics d’un accès à l’espace flexible, robuste et disponible pour les petits satellites", selon les mots du communiqué diffusé par le ministère de l'Economie. Quatre projets mais en réalité deux volets:

  • HyPrSpace et Latitude concourront pour une mission en orbite basse (LEO) de lancement de charge utile de 50kg ; 
  • Sirius space services et Maiaspace mèneront la compétition sur une orbite héliosynchrone (SSO) pour la gamme de 800kg et plus. 


Le but de ce concours piloté par le CNES est triple: renforcer le new space français, investir dans les technologies de rupture, et cibler les investissements sur les besoins "avérés" et les marchés porteurs. Ce dernier point est important.

Notons aussi que si le Président cite expressément les lauréats de l'appel d'offres France 2030, il n'oublie pas les autres acteurs du segment lanceur, pour qui la porte reste ouverte. 


Du New Space à la française. Une révolution ?

Permettons nous d'outrepasser cette annonce majeure pour nous arrêter sur la véritable rupture. Avec France 2030, l'Etat cesse d'être un simple soutien, mais devient, à la façon de l'administration américaine depuis la fin des années 2000, un client de ces entreprises, à qui elle achète des lancements (à travers le CNES). C'est exactement ce que réclamaient ces start up depuis des années, "des marchés, pas des subventions !". Et cette décision de l'Etat -stratège ?- semble faire son effet, tant on peut constater depuis dimanche l'excitation palpable qui s'est emparée du secteur. 

Ajoutons en sus qu'il ne s'agit pas là d'un blancs-seing, argent public oblige, mais bien d'une compétition. Il faut en effet comprendre que l'intégralité de ces 400 millions d'euros (à l'échelle française, c'est assez considérable) n'ira pas à ces entreprises en cas d'échec(s) des premiers vols, qui d'ailleurs n'emporteront pas de charge utile stratégique, la prise de risque ayant tout de même ses limites. 

Il n'y aura même en fait, que deux vrais vainqueurs, mais peu importe puisqu'avec des premiers ou seconds lancements assurés pour tous (en 2026 et 2027, le calendrier de chacun semble avoir glissé) depuis Kourou, ces entreprises auront reçu la marque de confiance d'un Etat qui compte parmi les puissances spatiales de haut rang. Cela permet de formaliser les premières étapes d'une feuille de route qui s'inscrit dans le temps long de l'ambition. 

Ambition qui diffère d'ailleurs d'une entreprise à l'autre. A Reims, Latitude vise la flexibilité commerciale et les 50 lancements annuels, quand Maïaspace, spin-off 100% française (à vous de lire entre les lignes) d'ArianeGroup, a clairement des visées plus stratégiques avec le développement puis la montée en gamme dans le lancement réutilisable d'un lanceur dit "léger". Du côté de Bordeaux (Saint-Médard-en-Jalles), HyprSpace entend bien sûr révolutionner la propulsion avec sa technologie hybride. 

Mais en attendant, il y a Ariane 6, qui elle, reste la star en devenir de cette année 2024, et demeure en tant que lanceur lourd absolument stratégique pour notre accès souverain à l'espace, et ce sur toutes les orbites. Les employés du CSG de Kourou ont confirmé au Président -devant les caméras- qu'ils se fixaient l'objectif du premier lancement pour la fin du mois de juin.  

Côté France 2030, d'autres annonces seront faites sur le volet spatial, afin de pousser de nouveaux projets lanceurs, satellitaires (priorité aux constellations), et les services en orbite. 


Les annonces du 26 mars viennent confirmer la stratégie très agressive désormais portée par la France vis à vis de la concurrence européenne naissante. Stratégie qui consacre par ailleurs le rôle fondamental du port spatial de Kourou (là aussi, message à la concurrence), et rappelle que malgré le phénomène de "démocratisation" globale, les puissances historiques partent avec des atouts technologiques et humains primordiaux sur leurs challengers. Et quand cela s'ajoute à la volonté politique… le potentiel est redoutable. 


Ci-dessous: la "famille" des lanceurs français (européen pour Ariane 6) en développement: 



vendredi 27 octobre 2023

Ambitions (et rivalités) dans le spatial européen avant le Sommet de Séville


Les derniers jours ont été rythmés par un flot d'annonces concernant le secteur spatial européen, avec des échéances concernant les court, moyen et long termes. Des annonces qui nous parviennent à dix jours d'un nouveau Sommet de l'Espace qui réunira à la fois l'ESA, et l'UE. On fait le tour en quatre actes. 

Ci-dessus: le démonstrateur SUSIE chez ArianeGroup aux Mureaux  - ArianeGroup. 


Ce 6 novembre à Séville se tiendra le Sommet de l'Espace de l'Agence Spatiale Européenne. Il ne s'agit pas de LA grand messe se déroulant tous les trois ans (la dernière étant celle de novembre 2022) et visant notamment à valider les grandes contributions budgétaires, mais on y attend des signaux encourageants quant aux ambitions futures de l'Europe dans l'espace, à commencer par le vol habité. 
"Les ministres des États membres de l’ESA prendront des mesures décisives pour faire de l’espace un instrument encore plus important dans la gestion du changement climatique. Parallèlement, ESA ouvrira une nouvelle ère de modernisation de la mise en œuvre de ses programmes, en répondant à la commercialisation et à la privatisation croissantes des activités dans l’espace notamment dans les domaines du transport spatial et de l’exploration de l’espace."

Jusque ici, Salon du Bourget 2023 compris, l'ensemble des déclarations émanant de la direction de l'ESA n'incite pas vraiment à l'optimisme, d'autant plus qu'en parallèle, de plus en plus d'acteurs (Etats comme entreprises) nouent des accords avec les différents porteurs de projets américains (là encore, institutionnels comme privés). Les Européens décollent déjà grâce à SpaceX… ils orbiteront peut-être à horizon 2030 dans des stations spatiales privées comme celle d'Axiom

Dès le lendemain, le 7 novembre, Séville se tournera vers l'Union Européenne (d'ailleurs sous présidence espagnole ce semestre) avec une réunion informelle ESA de niveau ministériel, accueillant les ministres "de l'espace" des membres de l'UE. L'ESA n'est pas l'agence de l'UE, mais cette dernière y prend chaque année un peu plus de poids. Mais il s'agit d'un autre débat.
"Des progrès coordonnés seront réalisés pour que l'espace soutienne la transition verte européenne, la durabilité dans l’espace, une commercialisation accrue dans l’écosystème spatial européen et la garantie d’un accès autonome, fiable et rentable à l’espace pour l'Europe."

Comme à l'habitude donc, avant un grand rendez-vous politique, le "hasard" de l'actualité fait que de grandes annonces nous sont fournies par le secteur, avec de bonnes nouvelles, excellentes même, et de moins bonnes. 


  • Avio/Arianespace: le divorce franco-italien
Commençons donc par ce triste constat: la guerre des lanceurs européens est officiellement déclarée. Ce serait déjà un euphémisme de dire qu'elle couvait, mais avec la révélation jeudi 26 octobre par le média La Tribune que l'industriel italien Avio a obtenu de son gouvernement la concrétisation d'une vieille demande de son PDG, il nous est confirmé que le lanceur léger Vega va quitter le catalogue d'Arianespace
Le gouvernement italien devrait en faire la demande à Séville le 6 novembre. S'en suivra très probablement une feuille de route de sortie (un nombre conséquent de lancements étant déjà "vendus" et prévus depuis le Centre spatial guyanais) qui s'étendra sur quelques années. 

Pour Avio, s'affranchir d'Arianespace, sous couvert d'arguments relevant de l'autonomie stratégique et surtout commerciale,  relève du pari risqué, très risqué. En effet, Vega demeure un lanceur attractif, mais dont la cote s'effondre de semaines en semaines à mesure que s'additionnent les échecs.
L'italien ne faisait aucun secret de sa volonté d'émancipation (et il faut regarder dans le même temps le cas allemand) mais il joue désormais sa vie. D'autant plus que désormais, les Français vont enfin pouvoir s'octroyer le droit de se comporter en concurrent. Nous retiendrons que messieurs les Italiens ont tiré les premiers… 

Pour Arianespace, le sujet est complexe, inquiétant même, mais la roue pourrait tourner dans le bon sens: certes, Ariane 5 est à la retraite, Soyouz n'est plus au catalogue car russe, et Ariane 6 n'est pas prête. Mais elle le sera bientôt, et une succession d'essais concluants annoncés cette semaine m'amène à penser que non seulement le retour d'Ariane se fera en grande pompe, mais que d'autres acteurs pourraient venir compenser la perte de Vega au catalogue. 


  • Essais moteur chez ArianeGroup
Dans la suite directe du sujet précédent, une double information: ArianeGroup a mené avec succès des essais à Kourou et à Vernon.

En Guyane, il s'agit bien sûr d'Ariane 6 et d'une séquence de lancement simulée qui a permis de valider le remplissage des ergols du lanceur, la gestion de pannes, ainsi que l'allumage partiel du moteur Vulcain.
La prochaine grande étape, absolument majeure et scrutée, devrait intervenir fin novembre, avec un test longue durée de quasiment 8 minutes du moteur. Celui-ci, qui a pris un peu de retard, sera déterminant pour savoir si Ariane 6 décolle au printemps 2024.

L'autre info concerne un futur un peu plus lointain mais déjà tangible, puisqu'elle concerne les essais sur les démonstrateurs de moteur Prometheus et d’étage réutilisable Themis, menés pour le compte de l’ESA.
Un nouvel essai de 30 secondes a été réalisé avec succès ce 20 octobre sur le site de Vernon. 



Prometheus et Themis sont des programmes stratégiques puisqu'ils permettent d'entrevoir l'avenir du catalogue d'Arianespace. On pense évidemment au futur d'Ariane, mais aussi et surtout, peut-être, au "mini"lanceur (à différencier de micro lanceur) de la filiale d'ArianeGroup, Maïa Space. Car en s'appuyant sur les technologies de sa maison mère, championne de niveau mondial, Maïa, encore qualifiée de start-up, a des reins beaucoup plus solides que ses consœurs européennes. Elle pourrait même à terme, une fois l'étape du mini lanceur franchie (1T de charge utile pour l'orbite basse), venir jouer sur les terres d'Avio et de sa Vega... 


  • Revoilà SUSIE !
Une brève communication jeudi 26 octobre aura suffi à rallumer la flamme dans les yeux des nombreux suiveurs de l'actualité spatiale. 
ArianeGroup a en effet dévoilé un démonstrateur à échelle réduite de son étage supérieur réutilisable SUSIE (Smart Upperstage for Innovative Exploration), dont la révélation du concept avait fait sensation en septembre 2022. Mieux encore, un test d'allumage a été réalisé le 25 octobre sur ce démonstrateur de deux mètres et 100 kilos aux Mureaux.

Le démonstrateur, visiblement développé sur fonds propres, a demandé  neuf mois de conception, et servira à réaliser des tests durant encore deux ans. En priorité il y aura la capacité à développer un système d’atterrissage contrôlé.
Ce n'est encore pas grand chose, mais on commence à voir émerger l'idée d'une communication à l'américaine, avec un usage moins timoré des démonstrateurs, même largement simplifiés. 

SUSIE est un cargo réutilisable qui pourrait potentiellement accueillir des humains, mais il ne s'agit pas là du seul projet européen en matière de vol habité. Nous citerons par exemple The Exploration Company. Dassault Aviation possède également un ou plusieurs concepts dans les cartons. Reste qu'aucune décision n'a encore été prise au niveau politique. 



  • FRAMATOME place enfin la France sur la carte du nucléaire spatial
Je garde volontairement la nouvelle la plus excitante pour la fin. Framatome, entreprise relativement peu connue du grand public mais assurément l'une des plus importantes du pays puisque leader international dans le domaine de l'énergie nucléaire (c'est elle également qui fournit les chaufferies nucléaires de nos sous-marins et porte-avions), se lance dans le spatial avec la création de Framatome Space.

Il s'agit plus précisément de l'enjeu de l'utilisation de réacteurs nucléaires dans l'espace pour l'exploration ou la colonisation. Une éventualité rendue possible aujourd'hui par les progrès faits en matière de miniaturisation et bien entendu de sûreté. 

Certains pourront y voir de la science-fiction mais il faut savoir que les grands acteurs, USA et sa Space Force en tête, sont déjà lancés dans cette course. Les spécialistes du sujet attendaient un signal venue de France depuis plusieurs mois. Voilà qui est fait.




mercredi 4 octobre 2023

Le Canopée, symbole d'un spatial décarboné, en démonstration à Bordeaux


Après le HMS Iron Duke il y a dix jours, c'est maintenant le « Canopée » qui est à Bordeaux pour la semaine ! Ce roulier innovant servira prochainement de cargo dans le convoyage du lanceur Ariane 6 entre l'Europe et le Centre spatial guyanais. 


Pour la seconde fois cette année, le (ou la) Canopée a remonté l'estuaire de la Gironde, cette fois-ci jusqu'à s'amarrer port de la Lune, où il séjourne du 3 au 7 octobre pour son baptême officiel (photo maison. De très belles images du navire passant sous le tablier du pont Chaban Delmas sont disponibles dans les médias, notamment chez Sud Ouest, mais je n'en possède pas les droits de diffusion). 
Durant l'hiver dernier, alors qu'il ne disposait pas encore de son système de "voiles", le Canopée n'avait pas dépassé le port de Blanquefort-Parempuyre, au nord de l'agglomération. Mais c'est bien de là, et non des quais populaires et touristiques de Bordeaux, qu'il emportera les composantes du lanceur Ariane 6 vers la Guyane française. 


Le Canopée est un roulier de 121 mètres de long pour 22 mètres de large, la particularité du navire étant sa propulsion hybride gazole/gaz naturel liquéfié, et surtout quatre voiles, ou ailes, articulées de 37 mètres (moins que les 51m annoncés en 2019 ?). Ces ailes doivent permettre d’économiser jusqu’à 7200 tonnes de CO2 par an, selon le constructeur (chiffres de 2019 également).

Les essais du navire semblent terminés. Il a même déjà réalisé une traversée de l'Atlantique. Pour le lanceur Ariane 6 en revanche, il faudra attendre encore (un peu). Cette belle épopée devrait débuter courant 2024.


"Ariane 6 on board" peut-on lire sur la coque du Canopée. Une inscription qui rappelle forcément la barge Airbus A380 que les bordelais ont vu remonter le fleuve durant des années. Le Canopée s'inscrit donc en quelques sortes dans cette tradition, véritable symbole de nos industries d'excellence. 

Un symbole à double vertu. En effet, le choix stratégique qu'a fait ArianeGroup avec ce cargo "à voiles" emporte avec lui un bel engouement. 
Pour Bordeaux, ville écologiste, c'est évidemment l'opportunité d'un affichage politique, d'autant plus que les curieux sur les quais font rapidement la distinction avec les habituels et plutôt mal-aimés paquebots de croisière que l'on voit défiler durant la belle saison devant les façades du XVIIIème siècle.
Pour Ariane, il y a l'image bien sûr, mais c'est aussi bien plus que cela, alors que l'industriel fait feu de tout bois pour améliorer la durabilité de ses activités. Il s'agit justement de rappeler que dans le secteur spatial -comme dans le secteur aéronautique d'ailleurs- la très grande majorité du carbone émis l'est du fait, non des lancements de fusée, mais bien de celui des segments production et logistique.