L'histoire retiendra que mardi 9 juillet 2024 à 21h, l'Europe a retrouvé sa capacité autonome d'accès à l'espace. Dix ans après le lancement politique du programme, le lanceur Ariane 6 s'est en effet enfin envolé sans difficulté depuis le Centre spatial guyanais. Un moment d'intense soulagement.
Images: ESA & armée de l'Air et de l'Espace
Et soudain, tout est oublié. Ariane 6, si longtemps critiquée pour ses retards ou pour son coût (programme à 4 milliards d'euros, ce n'est finalement pas si cher), si longtemps remise en cause quant à son existence même, s'est enfin envolée. La France (qui y contribue à 50%) et l'Europe retrouvent enfin un lanceur lourd dans un contexte où SpaceX impose doucement mais sûrement son monopole commercial, mais où dans le même temps, toutes les grandes puissances spatiales (Russie, Japon, Inde, Chine) ont fait le choix de ne pas renoncer aux lanceurs de souveraineté.
Tout s'est déroulé de façon "nominale", du moins durant 1h30 puisque le 3ème et dernier rallumage du moteur Vinci en orbite n'a jamais eu lieu. Il faudra plusieurs semaines pour savoir ce qui a cloché sur premier test grandeur nature en zéro-G, ce deuxième étage devant contribuer à ce fameux service en "arrêts de bus" que permet le Vinci sur Ariane 6.
Mais cela ne devrait a priori avoir aucun impact sur le premier vol commercial, qui se déroulera normalement en décembre, pour l'envoi si important du satellite d'imagerie militaire français CSO-3.
Un peu dommage en revanche pour les deux démonstrateurs de capsules de rentrée atmosphérique perdus avec cet échec au 3ème allumage, qui portaient la marque du territoire néo-Aquitain (ArianeGroup pour l'une, The Exploration Company pour l'autre).
Il y a une donnée qu'il faut nécessairement rappeler: un nouveau lanceur a entre 50% et 70% de chances d'échouer lors de son premier tir. Et quasiment 100% si l'entreprise qui le conçoit débute, il faut s'en souvenir.
Cette réussite d'Ariane 6, qui ne faisait pas vraiment de doutes en réalité tant les responsables s'étaient montrés confiants (confiants, mais humbles), doit nous rassurer sur le formidable héritage sur lequel est assise l'Europe spatiale. Nos félicitations doivent ainsi aller en premier lieu à toutes les équipes qui ont mené ce programme au succès. Programme à qui nous souhaitons une longue vie. Mais sera t-elle si longue que ça ? Ceci est un autre débat. Il faudra avant tout pouvoir tirer 12 Ariane 6 par an d'ici 3 ans. C'est beaucoup, et si peu.
Mais ce succès si attendu, on peut le regretter, aura été étouffé médiatiquement entre une crise politique historique et divers événements sportifs d'envergure. Il n'a, de plus, étonnement fait l'objet d'aucune retransmission TV en direct (Ariane 5 y avait droit, régulièrement). Cependant, nous aurons pu noter que durant au moins 48h, l'enthousiasme aura refait surface au sein d'un écosystème du spatial européen proche de la déprime complète.
Ambiance délétère
Car il faut dire que dans un monde.. que dis-je... dans une économie du spatial qui a fondamentalement évolué, les agences (CNES, l'ESA), l'industriel ArianeGroup ou la société de commercialisation Arianespace encaissent les coups de la part d'un écosystème privé jeune et -en apparence- dynamique à qui l'on a à tort ou à raison attribué le titre de "new space européen". On ne compte plus les tribunes dans la presse, les plateaux télé, ou les invectives sur les réseaux sociaux venant contester la légitimité des acteurs historiques, coupables de ne pas avoir vu venir la révolution SpaceX.
Tout cela sans compter sur le lâchage politique en règle qui se profile du côté de Berlin (dernier épisode: la "trahison" d'EUMETSAT) et Rome. Je préfère sur ce point exprimer le fond de ma pensée dès aujourd'hui: si Ariane a un avenir au delà de 2030, il ne faudra pas avoir peur de le faire en franco-français. Et donc de le financer, mais le prix à payer n'est pas si exorbitant pour un tel instrument de hard et de soft power. La France qui est d'ailleurs bien seule, via la parole de ses dirigeants politiques, à s'exprimer sur le succès de ce vol inaugural
Lire sur blog: France 2030 - Le spatial français est en ordre de bataille
Face à ces discours, la réplique existe, mais elle est totalement désordonnée, et surtout hors de son temps.
D'une part, il y a les quelques représentants d'une génération de space boomers, qui de façon mal avisée, nient en bloc, à la fois l'existence d'une économie de l'orbite basse tant vantée par les études de marché (car représentant en théorie des dizaines de milliards de dollars), et les lubies de la réutilisation ou même du vol habité. Il s'agirait donc selon leur raisonnement, de simplement continuer sur la voie -raisonnable- tracée depuis les 50 dernières années en Europe, sans céder aux sirènes du techno capitalisme et des récits patriotiques américains ou chinois. Il m'importe peu ici que l'analyse soit fondée ou pas, mais le fait est que le message envoyé aux jeunes générations est désastreux, dans un monde qui a besoin de scientifiques, d'ingénieurs, de visionnaires, et surtout d'aventures humaines et technologiques.
D'autre part, il y a la communication totalement confuse des institutions qui se sont récemment mises à douter de leur propre existence (comprendre de leur éventuelle mort imminente). En témoigne la sortie récente de la part de l'ESA, affirmant que SpaceX n'est pas un concurrent. Elon Musk, lui, ne s'est jamais gêné pour déclarer qu'il mettrait à mort tout le secteur, Européens compris…
Quoiqu'il en soit, Ariane 6 a volé, nous nous sommes ébahis, et l'Europe a retrouvé son accès souverain à l'espace. Mais mercredi matin, la trêve était déjà terminée, quand plusieurs start-up se joignaient l'une à l'autre pour réclamer publiquement à l'ESA et à l'UE un "nouveau paradigme spatial" visant à offrir une alternative souple et surtout compétitive au programme Ariane: il s'agit de Latitude pour la France, Orbex pour le Royaume-Uni, et de Rocket Factory Augsburg (RFA) pour l'Allemagne. Mais avant de s'autoqualifier de relève, il s'agira de suivre l'exemple d'Ariane, et de s'envoler.
Aussi sur le blog: Lanceurs français: que le(s) meilleurs(s) gagne(nt) !
Allez, petit recap en images grâce à l'ESA. On remerciera également l'armée de l'Air et les pilotes de la 4ème escadre de chasse sur Rafale pour les prises de vue historiques :
Il n'y a pas un système unique (lire SpaceX) qui s'appliquerait sans nuance à l'Europe. Ariane a encore sa place pour peu que l'on abandonne la règle imbécile du juste retour.
RépondreSupprimerIl se trouve à côté de la place pour des lanceurs privés. Mais dans ce dernier cas, il faut bien avoir à l'esprit que l'Allemagne y voit là un moyen d'evincer la France de sa position en Europe dans le domaine de l'espace. Et, par ailleurs, il ne faut pas oublier que le moteur des Falcon de SpaceX a été développé par la NASA. Et que par ailleurs, l'administration américaine subventionne largement Sp3X en "sur payant" les lancements institutionnels américains, permettant ainsi une part de dumping pour les ventes des Falcons aux clients privés. Cette remarque n'enlève rien à la performance de SpaceX en matière de réutilisation des lanceurs et à sa performance industrielle
On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif...
Supprimerhttps://www.lefigaro.fr/vox/societe/espace-disposer-d-un-lanceur-c-est-bien-restaurer-l-unite-europeenne-c-est-mieux-20240715
La mise en orbite de CSO-3 attendra encore un peu...
RépondreSupprimerhttps://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/07/09/la-fusee-europeenne-ariane-6-a-decolle-pour-la-premiere-fois_6248271_1650684.html
Elon MUSK peut dormir sur ces deux oreilles avec de tels concurrents...
Supprimerhttps://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/iris-airbus-et-thales-veulent-se-retirer-du-consortium-spacerise-1002315.html
Il me semble avoir entendu parler le français ( au leu de l English ) dans la salle de lancement à Kourou !
RépondreSupprimerN' est il pas ? C est incroyable !
Si l espace est une découverte russo ( sous le système soviètique ) et allemand ( sous les nazis) la France peut être fière d être en pointe dans la technologie aérospatiale.
SupprimerVous aviez suivi les tractations "échange fusées SOYOUZ contre satellites anglais" après "l'opération spéciale" de la Russie en Ukraine : les relations internationales sont faites pour se raconter de belles histoires, la réalité est toujours plus complexe (de même que la récupération des scientifiques nazis par les vainqueurs de la seconde seconde guerre mondiale à laquelle vous faites allusion).
https://www.lefigaro.fr/societes/bras-de-fer-autour-des-fusees-soyouz-a-kourou-20230123
En 2026, Maiaspace aura comblé le vide laissé par SOYOUZ:
Supprimerhttps://www.usinenouvelle.com/article/en-recuperant-le-pas-de-tir-des-fusees-soyouz-a-kourou-maiaspace-prend-un-avantage-sur-les-autres-minilanceurs-europeens.N2219324
L'espace ne tolère pas l'erreur!
RépondreSupprimerhttps://www.lefigaro.fr/societes/spacex-les-fusees-falcon-9-clouees-au-sol-apres-le-rare-echec-d-une-mission-20240713
L'armée de l'air et de l'espace comme vous ne l'avez pas encore lue...
RépondreSupprimerSuper boulot (en complément de ce bel article de notre hôte).
https://theatrum-belli.com/bases-aeriennes-et-sites-de-lancement-carnets-de-vol-145/
On parlera bientôt plus des pseudo-satellites!
RépondreSupprimerhttps://satelliteobservation.net/2024/07/17/progress-on-pseudosatellites/
Pourtant chez THALES à Toulouse, on liquide les compétences dans les satellites...
RépondreSupprimerhttps://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/764-postes-sur-la-sellette-chez-thales-a-toulouse-on-nous-explique-qu-il-n-y-a-pas-d-avenir_61616911.html