mercredi 13 décembre 2023

[France 2030] Le spatial français est en ordre de bataille


Pour le second anniversaire du plan d'investissements France 2030, le discours d'Emmanuel Macron prononcé à Toulouse lundi 11 décembre a eu une forte résonnance, en particulier pour ce qui concerne le volet spatial. Le président a en effet évoqué la division européenne et les ambitions françaises dans ce qu'on appelle déjà une "guerre". Dans la foulée, HyPrSpace annonçait à Bordeaux le déblocage de 35 millions d'euros pour son programme de micro-lanceurs. Toujours à Bordeaux, dans le transport spatial, c'est The Exploration Company qui se démarque une nouvelle fois.

Ci-dessus: vue d'artiste du futur micro-lanceur des bordelais d'HyPrSpace.

Le secteur spatial fait partie de ces rares milieux où l'on s'offre encore le luxe de tout faire pour garder des rapports cordiaux entre acteurs (Etats, Agences, grands groupes, start-up, labo…), du dirigeant à l'ingénieur, jusqu'au chercheur. Un constat qui n'est jamais aussi vrai que dans la sphère européenne, ou l'Agence spatiale européenne fait tout ce qu'elle peut pour maintenir les liens. C'est ainsi qu'un sommet comme celui de Séville en novembre dernier, qui sifflait pourtant le départ de la mise en concurrence des acteurs français, allemands et -surtout- italiens (sortie de Vega du catalogue Arianespace), et de facto la fin de l'union sacrée, fut considéré comme un "succès" puisque les membres se sont accordés sur leur(s) désaccord(s). 

Mais comme le rappelle souvent l'illustre Isabelle Sourbès-Verger, l'Europe stratégique du spatial n'existe que par la collaboration. Il s'agit de son ADN, à la fois sa plus grande force et sa plus grande faiblesse. Un accord, même mauvais, reste un accord, et donc un succès. Il y a ceci dit, encore une chance que de la désunion naisse une émulation économique et industrielle qui in fine, profitera à l'Europe. C'est en tout cas ce sur quoi table aujourd'hui l'ESA: une vraie "révolution copernicienne". 

Le secteur spatial fait partie de ces rares milieux où l'on s'offre encore le luxe de tout faire pour garder des rapports cordiaux (oui je me répète). Mais ça, c'était donc jusqu'à maintenant. Cela fait des mois, peut-être même deux ou trois ans, que les dirigeants d'entreprises françaises ne sont plus dupes, et qu'ils annoncent les volontés allemandes et italiennes de faire cavalier seul, attirées par des perspectives de marché que l'on annonce gargantuesques (cela reste à préciser). En réalité la volonté de contester le leadership industriel français, avec en premier lieu Ariane.

Des alertes que l'Elysée, Matignon ou Berçy, qui tentent à tout prix de préserver l'unité européenne (conformément à leur projet politique), refusaient publiquement de valider. Et c'est bien pourquoi ce lundi 11 décembre 2023 fera date. Le jour où le Président de la République française a confirmé les divisions, et a annoncé que la France relèverait ce défi: « On s'est battu pendant des mois et des mois pour dire que la souveraineté européenne c'est l'unité (face aux acteurs internationaux. EM cite l'Inde, la Chine, les USA). Malheureusement, certains de nos partenaires historiques ont dit préférer être des compétiteurs. Dont acte, on va se battre et au carré ». (…) « On va se battre, on sera les meilleurs et on reconsolidera autour de nous. Sur les lanceurs comme les constellations. Autant être clair. » 

C'est une vraie rupture, les tabous semblent avoir sauté, et il sera très intéressant de voir comment nos compétiteurs européens, dont le pouvoir est nettement moins centralisé rappelons le, pourront répondre à cette mise en ordre de bataille. Les Italiens ont de grandes ambitions, mais moins de ressources. Ils sont surtout englués dans de graves difficultés techniques, avec assez de fierté pour repousser les propositions d'aide française (Avio vs Ariane Group/Maïa Space), si l'on en croît les déclarations du DG de Safran Olivier Andriès. Les Allemands eux, visent avant tout la rentabilité, et leurs entreprises -dans les lanceurs- ne se sont pas vues signer de chèque en blanc. Elles devront prouver, ou disparaitre. 

Ce qui nous ramène à France 2030, un plan d'investissement très bien reçu par l'industrie nationale dans son ensemble, et qui doit pousser au développement de solutions de rupture. La plan consacrera en tout 1,5 milliards d'euros au spatial. C'est à la fois beaucoup, et bien peu. Nous sommes loin des chiffres nécessaires au développement de programmes stratégiques (une petite station spatiale couterait aujourd'hui 10 milliards selon le Directeur du CNES), mais premièrement, ce n'est pas le but, et deuxièmement, ces dizaines de millions d'euros que peuvent tenter de toucher chaque start-up demeurent un formidable marchepied avant d'aborder le marché. Dans la bataille qui s'annonce, France 2030 constitue donc un atout non négligeable. Après deux ans, 163 millions d'euros ont été distribués à 340 projets dans le secteur spatial, lanceurs et satellites compris.


Avec HyPrSpace et The Exploration Company, Bordeaux en profite très largement

Venons y donc, au marché, et au développement de nos entreprises. Sélectionnée dès la première phase du plan d'investissements sur le segment micro-lanceurs (l'objectif France 2030 et d'avoir au moins un micro-lanceur national en 2026. Il y a 6 à 8 projets crédibles en France), HyPrSpace est une startup bordelaise qui a été créée en 2019 sur la base d'une innovation de rupture brevetée, la propulsion hybride solide-liquide. Elle profite donc des deux ans de France 2030 pour confirmer sa campagne d'essais qui s'étendra jusqu'au printemps 2026 avec le démonstrateur suborbital "Baguette One" (tiré depuis DGA Biscarrosse ?), puis le lanceur "Orbital Baguette 1": OB-1 (à prononcer Obi Wan).

Sur le blog: HyPrSpace testera bientôt son moteur "Terminator" à Bordeaux


HyPrSpace dirige pour cela un consortium avec Telespazio France (très présente à Toulouse ainsi que Bordeaux) et CT Ingénierie qui obtient un financement de 35 millions d’euros, soit 60% du coût total des développements, pour le projet Projet Agile de Développement d’Accès à l’espace 1: "PADA1" (à prononcer Padawan, vous avez saisis !). Les entreprises partenaires fourniront un support à la start up, Telespazio gérant le segment terrestre et les opérations, tandis que CT Ingénierie aura à charge l'ingénierie système et la conception des lanceurs.


Notons que si HyPrSpace sort pour l'instant grand vainqueur du plan France 2030, la compétition reste ouverte à d'autres entreprises concevant un micro-lanceur. En vérité, la quasi totalité ont candidaté pour les prochaines étapes, y compris la plus avancée en France sur le sujet, Latitude
Mais un avertissement a néanmoins été donné par l'administration: la compétition est certes ouverte, mais tout échec technique, notamment moteur, peut entrainer un retrait des financements de départ. Il y aura des échecs, probablement bien d'avantage que de succès, mais c'est la méthode vantée par l'Elysée. Startup nation. 

Un sujet qui nous amène précisément à l'autre annonce majeure faite par le président à Toulouse lundi: « On ne peut pas se satisfaire d'un monde où toutes les sociétés de demain pour s'attaquer à l'aventure spatiale sont américaines ou chinoises. Nous devons nous lancer dans cette compétition des cargos spatiaux ». Il y a en effet deux sujets majeurs, avant même d'évoquer l'exploration spatiale ou même l'économie en orbite. Ces sujets sont l'accès à l'espace, garanti par une famille de lanceurs dits "souverains", avec à leur tête Ariane 6, et le transport spatial. Ce dernier ouvrira peut-être un jour la porte au vol habité européen, via une politique "des petits pas" prônée par tous les acteurs (The Exploration Company, ArianeGroup, et même Dassault Aviation !) lors du récent Forum Innovation Défense à Paris, mais il s'agira d'abord de disposer d'une capacité de cargo, propice à diverses utilisations.  


C'est dans cette optique que l'Etat va apporter son support à la florissante start up The Exploration company, basée à Munich et Bordeaux (Mérignac en fait, chez Technowest), qui développe un programme de capsules pour la deuxième partie de cette décennie. Pas plus de détails sur ce soutien (le développement d'un moteur ?) a priori, mais jusqu'à maintenant, Hélène Huby, la fondatrice, pouvait se targuer d'avoir entièrement bâti son projet sur fonds privés, tout en s'imposant déjà sur le marché (lire ci-dessous). 



Mais pour la France, l'intérêt semble de pouvoir préparer au mieux la compétition qui démarre au sein de l'ESA pour l'élection et le vol en 2028 d'un cargo commercial. Sur ce sujet précis, il faudra notamment regarder de près quelle stratégie décident d'adopter les grands groupes qui regardent vers le transport spatial, tel qu'Ariane et Dassault. 

Se battre, s'imposer, et reconsolider autour de nous. Tel est le mantra désormais. 


2 commentaires:

  1. Il était temps que la France ouvre les yeux devant la volonté de l'Allemagne de saper, à son profit, les points forts de la France : industrie militaire, espace, ...
    Que le meilleur gagne. La France ne manque pas d'atouts. C'est l'état de ses finances qui risque de l'handicaper. Que le meilleur gagne.

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    1. Le soucis de l’Allemagne pour l’instant est le nombre d’ingénieurs dont elle dispose. La digitalisation du pays n’est pas très avancée pour cette raison. Ils ont de vastes secteurs industriels et le rythme d’innovation est déjà lent. Je ne comprends donc pas très bien leur approche, sauf s’ils prévoient de relancer la natalité.

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