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lundi 23 juin 2025

Salon du Bourget 2025, l'édition du signalement stratégique ?


L'édition 2025 du Salon international de l'aéronautique et de l'espace, mieux connu sous le nom de Salon du Bourget (le 55ème), aura été marquée par une curieuse sensation. Celle d'être devenu un salon de défense.

Images - Thomas Schumacher / @paxaquitania, MINARM, industriels.   


Le pesant parfum de la poudre flottait -ou plutôt soufflait vu la puissance nécessaire pour climatiser cette chaude semaine- dans les larges allées du Salon du Bourget 2025. Etonnant ? Oui en fait, car même en 2023, lors de l'édition qui suivait le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine un an plus tôt, et bien que les sujets défense soient dans toutes les discussions à l'époque déjà, nous n'avions d'une part, pas le même niveau de maturation des systèmes, et d'autre part, pas ce constat d'isolement stratégique de l'Europe résultant de l'élection de Donald Trump. 

Certains parmi les 300 000 visiteurs (record absolu) l'auront d'ailleurs amèrement regretté ce climat, y compris chez les professionnels, et en particulier dans le Paris Space Hub, espace géant exclusivement dédié au spatial, mais c'est tout simplement le signe des temps (ajoutons l'ambiance délétère qui régnait autour de la présence d'armes "offensives" [sic] sur les stands israéliens).  

Cette année, les projets (je n'ai pas dit programmes, mais on sent tout de même de la maturité) se présentent également de façon différente, avec une propension à l'auto-financement qui, de façon limitée attention (d'autant plus que ce n'est pas possible pour tout le monde), semble inaugurer un retour à la prise d'initiatives, et donc de risques. Ou au coup politique, on peut le voir comme ça. 

Problème, même en ces temps de crises et de promesses de budget géant pour la défense, l'Etat reste avare… et se contente souvent d'observer avec une prétendue bienveillance. Il faudra bien enclencher un jour attention, sous peine de casser la machine à innover, et de voir certaines idées partir à l'étranger. Cela serait bien dommage à l'heure où le catalogue à notre disposition se remplit considérablement, et de façon parfois étonnante. Il y avait en effet sur cette édition du Bourget des propositions dont les forces françaises n'auraient pas imaginé rêver il y a quelques années à peine.  


Un tour en quelques grands points 👇

  • Dassault Aviation maître en sa demeure (sauf pour le futur AWACS)
Pour ce Bourget 2025, l'avionneur de Saint-Cloud, qui à en constater la longue file d'attente pour monter à bord des Rafale ou Falcon, reste sans conteste la star du salon, et a choisi ses priorités. Ces dernières sont énumérés dans les sorties presse du PDG Eric Trappier, et se ressentent sur les exhibitions. Pour le court terme donc, c'est le Rafale F5 (2030+). Pour le moyen terme, le drone UCAS (héritier du Neuron en 2035), et pour le long terme un appareil de combat de sixième génération un avion spatial : VORTEX !

Dassault Aviation est enfin sorti du bois sur ce sujet. L'avion spatial habité, ici en héritage direct de feu la navette européenne Hermes, c'est le grand -et prestigieux- rêve du groupe à horizon 2050, mais l'Etat (CNES, DGA, armée de l'Air), qui manque de moyens, ne semble pas totalement convaincu par cet appareil à tout faire qu'il juge très complexe, bien qu'injectant symboliquement 30 millions d'euros dans les études de développement. Dassault devrait donc aussi aller chercher du soutien du côté de l'Agence spatiale européenne, et tenter de fonctionner par étapes (la fameuse méthode itérative du new space ?!?), avec à court terme plusieurs démonstrateurs de taille réduite, puis un drone. Nous aurons l'occasion d'en reparler, car quoiqu'on en pense, le dossier est relancé !

L'Etat apporte un soutien au projet Vortex de Dassault Aviation - Photo MINARM


Concernant le Rafale, nous avons déjà un peu tout dit sur le standard F5, mais le motoriste Safran confirme s'engager dans la remotorisation de l'avion avec le M88 T-REX (9 tonnes de poussée), et Thales prépare un pod de guerre électronique. Les réservoir conformes de 1 200 litres qui donnent un look différent au Rafale étaient visibles, non pas chez Dassault Aviation, mais sur le stand du ministère des Armées, ce qui est une nuance importante. Il n'est pas dit, que pour des questions de maintenance, cette idée n'aille beaucoup plus loin que le bricolage pour la photo. 

Le Rafale avec réservoirs conformes sur le stand MINARM, et la bombe AASM XLR - Photo TS.


Mais le standard F5, c'est aussi un drone de combat partenaire de mission, l'UCAS, qui selon la maquette 1:1 dévoilée est une évolution parfaite du démonstrateur Neuron. Un Neuron "durci", "lourd", si l'on veut. Ce drone furtif fera approximativement la taille d'un Mirage 2000, et sera doté d'un seul moteur, le M88 du Rafale, ainsi que du train d'atterrissage de ce dernier. Il pourra être navalisé, mais seulement à bord du porte-avions de nouvelle génération, qui disposera de catapultes électromagnétiques.

Pour la France qui manque clairement de capacités furtives, ce programme apparaît comme structurant pour nos forces aériennes et leur capacité d'entrée en premier, notamment après les démonstrations réalisées en Iran par Israël, puis par les USA.

UCAS : unmanned combat air system - photo TS 


Un mot également sur le futur des AWACS de l'armée de l'Air et de l'Espace. Comme pressenti, cela se fera bien avec le système Global Eye de Saab (sur avion porteur Bombardier), la déclaration d'intention est signée depuis le 18 juin pour quatre appareils, dont deux fermes. Probablement davantage au cours de la LPM suivante
Je plaidais ici même il y a deux ans pour une intégration de la solution Saab sur le Falcon 10X, et il semble bien que Dassault ait eu son mot à dire avant le choix définitif de la DGA. Cette dernière n'a toutefois pas été convaincue par la proposition, car les E3 Sentry de l'armée de l'Air épuisent leur potentiel à vu d'œil. Bref, il ne fallait pas tergiverser, et l'industrie française a tergiversé. Il en ressort un beau geste de la France envers l'Europe, et pour la Suède, qui fournit en capacité d'alerte avancée une puissance nucléaire, c'est un coup absolument magnifique. 


Communication politique, en France puis la réponse suédoise. 


  • L'espace en force, et la force dans l'espace
Au delà du Vortex de Dassault, l'espace était assurément l'un des grands points du Bourget 2025, avec pour la première fois, l'imposant Space Hub, mais pas seulement puisque l'armée de l'Air et de l'Espace avait aussi son showroom dédié. Le Space Hub réunissait bien sûr le CNES et l'ESA (pour son cinquantième anniversaire), ains que les start-up qui y bénéficiaient d'une visibilité accrue. Un lieu où tout ce que le spatial européen a de personnalités est venu faire un coucou. Sauf l'astronaute française Sophie Adenot, en formation à Houston, qui assisté en visio à la révélation du nom et du logo de sa mission de 2026 ("Epsilon"), lors de la venue d'Emmanuel Macron le vendredi 20 juin, visite durant laquelle le Président de la République a tenu, au sein du Space Hub, son seul discours officiel du salon, entièrement consacré au spatial donc, et à la teneur très stratégique. S'il faudra finalement attendre octobre pour avoir la nouvelle stratégie spatiale nationale (résolument orientée vers une convergence avec les alliés que sont l'Allemagne, l'Italie, l'Inde, les Emirats, et le Royaume-Uni), le sujet central sera resté celui du spatial comme "jauge de puissance". Une formule présidentielle qui restera.   



Au Paris Space Hub, derrière les Agences, on pouvait trouver le stand très central d'ArianeGroup, où en plus du produit emblématique Ariane 6, l'industriel ne se gênait pas pour promouvoir sa filiale MaïaSpace bien sûr, mais aussi de façon beaucoup plus surprenante, son futur missile balistique conventionnel MBT, sa fusée sonde Sylex capable d'emporter le planeur hypersonique V-MAX, ainsi que… le missile stratégique M-51. On ne se cache plus donc. 

Mais les start-up de micro-lanceurs (qui comptent bientôt quasiment 100 employés chacune) n'étaient pas en reste, la bordelaise Hyprspace présentant même une maquette de son lanceur suborbital OB-1 adaptée à la flexibilité des missions de défense. Mais nous en reparlerons.  

A deux pas, Eutelsat pouvait se targuer d'avoir été complètement rattrapé dans sa chute financière par l'Etat français, qui monte à 30% au capital afin de sanctuariser la constellation de connectivité One Web, que Paris considère comme la seule alternative souveraine au Starlink d'Elon Musk. Eutelsat se voit d'ailleurs offrir 10 ans de contrat militaire avec les forces françaises.  

A noter également que le Commandement de l'Espace lançait au Bourget le 19 juin le "cercle de confiance Espace", cadre de discussion privilégié avec les entreprises du secteur, avec l'idée que l'offre et la demande se rencontrent plus directement, pour ne plus perdre de temps. 

Emmanuel Macron a enfin annoncé que la France organiserait début 2026 son premier "Space Summit", afin de mobiliser, dans son sens on le devine, les partenaires internationaux. 
  
  • Le salon de l'aéronautique aérobalistique
Présenter une munition a pour avantage que l'on peut se déplacer indifféremment tous les ans à un grand salon français: le Bourget ou Eurosatory (le salon de l'armement terrestre). Et les munitions ne manquaient pas cette année, à commencer par la Hammer 250 XLR de Safran (photo plus haut), une AASM turbopropulsée par microréacteur Roxel, ce qui permettra à la célèbre bombe de précision française de porter jusqu'à 150 km en 2028 quand elle sera tirée depuis un Rafale, contre 50 à 70 aujourd'hui avec son booster à poudre. 

Très médiatisée, mais difficilement accessible sur stand, la fameuse munition de saturation One Way Effector (OWE) de MBDA, était présentée comme le Shahed français, ce drone iranien désormais utilisé par les Russes et qui terrorise la population ukrainienne.
OWE, développée avec un droniste, devra être produite en masse (1 000 exemplaires par mois, grâce à l'industrie automobile ?), n'être pas trop chère, et agir en essaim pour découvrir, saturer, et si possible traiter les capacités de défense aérienne adverses jusqu'à 500 km de distance grâce à une charge explosive de 40 kg. Tout cela sans être brouillée grâce au savoir faire de MBDA dans la navigation et le ciblage dynamique.  

Sur le même segment ou presque des munitions téléopérées, Eos Technologie (qu'on a autrefois connu chez nous à Mérignac) montrait sa gamme à microréacteur Veloce, qui est désormais intégrée au catalogue de KNDS. La Veloce 330 va entrer en phase de test au sein des forces françaises, tandis qu'Eos travaille sur "Rodeur" pour plus de portée (500 km) et d'autonomie (8h). 



MBDA dévoilait aussi une maquette de lanceur à 4 silos pour la version terrestre de son missile de croisière naval, le MDCN devenu MDCT. On parle ici de longue portée pour ce missile de 2 tonnes capable de parcourir 1 000 km en subsonique. Campagne de tir prévue à Biscarrosse chez DGA EM d'ici 2 ans et demi. 



Et puisque l'on parle de lanceur, Turgis & Gaillard , qui avait fait sensation avec le drone Aarok en 2023, est de retour pour combler les trous de la raquette française avec un véhicule lanceur de roquettes, dont le démonstrateur a une fois de plus été financé sur fonds propres, sur la base d'un châssis 6x6 Renault Trucks. Le système se veut rustique, aérotransportable, et surtout agnostique de missiles. Un rapport parlementaire récent préconise l'achat de 48 lanceurs

Le lanceur Foudre de Turgis & Gaillard - Photo TS. 


Je le mentionnais avec ArianeGroup, c'est le retour potentiel des capacités balistiques conventionnelles. Ariane se différencie là de l'offre MBDA, que l'on parle de missiles de croisière ou drones comme le OWE. Chez Ariane, on mise en effet avec MBT (missile balistique tactique) sur l'extra atmosphérique comme facteur différentiant, afin de ne pas être interceptée. Cela vient donc compléter l'offre des munitions endoatmosphériques de très longue portée… où Ariane développe son démonstrateur stratosphérique V-MAX, qui lui aussi est théoriquement impossible à abattre en raison de sa vitesse et de sa manœuvrabilité. Complémentaire, ou alternatif ? Cela dépendra du portefeuille, forcément conséquent, que l'Etat décidera d'allouer à ces capacités de frappe dans la profondeur. 


Pour conclure, l'on notera quelques éléments, en retrait, voire carrément absents : 
  • le SCAF bien sûr, avec une maquette de NGF -déjà vieille de 6 ans- placée en retrait, chose remarquée avec un certain étonnement par les Européens présents (je vous le traduis : cela veut dire "pas en bien"). Dassault Aviation et son PDG Eric Trappier veulent imposer une pression monstre à Airbus Defence & Space au moment de négocier la phase de développement d'un démonstrateur de futur avion de combat dont la date du premier vol semble une nouvelle fois avoir glissé (2030 aujourd'hui). Un pari osé, très critiqué par les observateurs, mais qui je l'imagine, pourrait s'avérer payant si Airbus se retrouve poussé dans les cordes. D'autant plus qu'en Allemagne, le géant Rheinmettal multiplie les coups de couteau dans le dos, enchainant les accords de production sous licence avec les Américains de Lockheed Martin (fuselage F-35 entre autres) et Anduril (drone de combat Fury). Airbus serait désormais en quête d'alliances. 

Combat collaboratif. Et le NGF, en retrait… symboliquement - Photo Thomas Schumacher  

  • Les commandes !?! Où sont les commandes ??? Chez Embraer ! Plus sérieusement, on pouvait espérer a minima 20 Rafale Air et 10 Marine pour les forces françaises, comme cela avait été suggéré dans la presse ce printemps. Et l'accord avec la Suède et Saab pour le Global Eye n'est pas encore au stade de la commande ferme (cela viendra dans les prochains mois). Sur les drones et munitions terrestres, il s'agira aussi de vraiment accélérer, afin que l'armée de Terre s'exerce. 
  • Concernant les retards, comme je le disais plus haut, la publication de la stratégie spatiale nationale est décalée, ce sera pour octobre à Toulouse lors de l'inauguration des nouvelles installations du Commandement de l'Espace. Et si la stratégie pour la THA (très haute altitude) a bien été présentée par le ministre Sébastien Lecornu, le fameux tir sur ballon atmosphérique qui devait se dérouler en ce mois de juin n'avait toujours pas été réalisé au moment du salon. [MISE A JOUR : succès de plusieurs tirs sur ballons en THA annoncé ce lundi 23 juin !]
  • Eté toujours, où l'on attend le premier vol du drone Aarok de Turgis & Gaillard. Cela s'est joué à peu pour une annonce au Bourget, mais la météo en a décidé autrement à la date prévue début juin. Une question de semaines désormais, le temps de tout remettre en place. Là encore, j'attends plus d'engagement de la part de l'Etat, T&G ne pourra pas tout faire sur fonds propres. Mais le Aarok continue bien de surfer sur la hype générée en 2023, pendant que l'Eurodrone (Airbus) et le Patroller (Safran) se montraient bien timides une fois de plus. A juste titre…   
  • Les "territoires" : difficile en effet d'exister pour la province quand les questions qui dominent concernent la géopolitique, et donc Paris, ses centres de décisions et ses sièges sociaux. On notera d'ailleurs que les start-up ou PME qui font le plus parler sont celles qui ont été prises sous l'aile du ministère des Armées ou d'un grand groupe. Difficile également sans argent public disponible au niveau régional. Difficile enfin quand on a subi la désindustrialisation, et que ce sont des capacités de production dont on a désormais besoin (par exemple : on ne parle pas cette année de faire financer et construire des usines, mais plutôt d'utiliser celles des géants de l'automobile). A oui au fait… l'Aquitaine et Bordeaux-Mérignac ont perdu Hynaero et son projet de bombardier d'eau Fregate F-100, qui filent à Istres. Mais comme dirait l'autre: "Ce n'est pas grave on va faire des dirigeables !". Heureusement il y a Eurenco, qui signe des accords structurants avec Saab en Suède, et FN Herstal en Belgique.  
  • L'envie d'ajouter tout le secteur civil, où le choses vont bien, très bien même, mais clairement pas sous le feu des projecteurs médiatiquement parlant, surtout quand on connait la chute vertigineuse d'attention (ou pire, d'intérêt ?) que connaissent les problématiques de RSE, en premier lieu la décarbonation. Mais dans ce dernier domaine, les choses vont tout de même bon train, en particulier chez Safran. Quant aux taxis volants, il y en a peut-être deux fois moins qu'en 2023. 
  • Les absents: les Falcon de mission dont on parle vraiment trop peu (ce qui a laissé la place au Global Eye, sur Bombardier G6000). Pas de Mirage non plus, mais les verra-t-on encore ? Tout comme les appareils d'ancienne génération comme l'ATL-2 ? Plus étonnant, l'A330 MRTT n'était pas là non plus. Quand à l'actualité hélicoptère, elle était surtout contemplative avec les vols quotidiens du magnifique démonstrateur Racer d'Airbus, que l'on voit tout de même mal trouver un marché…

Le -magnifique- Racer d'Airbus Helicopters - Photo TS

mercredi 19 mars 2025

Icarus Swarm a testé des essaims de drones avec l'armée de Terre

La société bordelaise Icarus Swarm a testé aux côtés de l'armée de Terre la mise en oeuvre d'essaims de drones depuis des véhicules blindés. 

Images : armée de Terre / Icarus Swarm.


Icarus Swarm est une PME bordelaise à la notoriété plutôt confidentielle, mais vous les connaissez peut-être sous le nom de leur société sœur -ou plutôt mère- Dronisos, spécialiste des spectacles géants impliquant des milliers de drones. Depuis la déclenchement de la guerre en Ukraine en effet, et l'impact que constitue la révolution des drones sur le champ de bataille, Dronisos a fondé Icarus pour mettre à profit son expérience des essaims de drones dans une collaboration avec le monde de la défense.

Présente en Californie pour l'exercice multinational "Capstone 5" (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande), consacré à la robotique et à ses ruptures, Icarus Swarm et la 13e DBLE (demi-brigade de blindés légers) ont mené des essais grandeur nature en installant des "ruches" directement sur le toit d'un blindé Griffon de l'armée de Terre. Le test incluait aussi un 4x4 Masstech. 


Même si l'exercice impliquait une zone plutôt réduite (quoique, les opérations drones vs drones en Ukraine se limitent à une bande de quelques kilomètres d'épaisseur), on comprend ici tout l'intérêt de s'exercer au déploiement et à l'action rapide (environ 20 minutes tout compris) pour une équipe d'opérateurs à bord de deux véhicules seulement. 

La campagne touchait au domaine du C2, le Command & Control. Dans cas d'espèce en effet, pas de drone suicide, ou du moins pas encore, mais un essaim qui durant le survol d'une zone, permet sa modélisation en trois dimensions, au service des planificateurs. 

Plus généralement, la maîtrise de cette capacité à déployer des essaims, qui va bien au delà de l'utilisation faite aujourd'hui (1 opérateur pour 1 drone), est évidemment urgente.  



vendredi 14 février 2025

Etude de l'IFRI sur l'avenir de la supériorité aérienne & blog synthèse


Un mot rapide pour signaler une double parution: d'une part cette étude de l'IFRI particulièrement interessante, datant de la fin du mois de janvier. Et d'autre part la synthèse de cette dernière que j'ai réalisé sur un blog secondaire, pour ceux qui n'auraient pas le temps de digérer les 116 pages du document. Suivre CE LIEN ! 

Bonne lecture ! 


lundi 4 novembre 2024

AndroMach et son projet d'avion spatial s'installeront à Bordeaux en 2025


La start-up AndroMach s’installera à Mérignac au printemps 2025. Dans ses cartons, un projet d'avion spatial inédit en France. Une capacité réutilisable d'emport, et de retour, qui pourrait intéresser le monde de la recherche en microgravité, ainsi que la défense. 

Ci-dessus: vue d'artiste du drone spatial suborbital d'AndroMach. 


C'était un secret de polichinelle, puisque la start-up AndroMach disposait d'un stand bien visible -avec maquette !- sur les événements bordelais de la rentrée aérospatiale, mais c'est dans un article de La Tribune Bordeaux en date du 30 octobre que l'information a finalement été rendue publique: le premier avion spatial français devrait être conçu à Bordeaux, ou plutôt à Mérignac, puisque c'est la technopole Bordeaux Technowest qui accueillera la start-up courant mars 2025 dans les murs de son nouveau QG, le "Cockpit". 

AndroMach, qui réunit aujourd'hui en région parisienne un peu moins d'une dizaine d'employés, a pour ambition de développer un avion suborbital (200 km d'altitude) de 4 mètres de long pour 1,2 mètre d'envergure, capable d'embarquer en soute une charge utile de 10 kilos dès 2026. Pour commencer… car en cas de succès, des évolutions importantes sont d'ores et déjà prévues au sein d'une roadmap comprenant les dates de 2028 (150 kg en orbite, avec l'aide d'un microlanceur "partenaire") et 2031 pour des développements itératifs, avec notamment un aéronef plus imposant (18m) capable d'emporter 600 kg sur orbite héliosynchrone

Pour la start-up qui a mené depuis un an ses études de faisabilité, et qui vient de réaliser sa première levée de fonds, les essais de propulsion et d'aérodynamique auront lieu début 2025. Son installation au Cockpit pourrait ensuite s'accompagner de quelques recrutements. 

L'avion spatial est un sujet qui fascine autant qu'il peut décourager. La technologie intéresse un nombre assez important de start-up, mais n'est réellement maitrisée qu'au sein des armées américaine et chinoise. En France, le ministère des Armée a pu évoquer il y a deux ans la volonté de mener des études sur le sujet, qui auraient pu aboutir à ce que l'armée de l'Air et de l'Espace se dote un jour de son propre "X-37B" (le fameux drone spatial de l'US Space Force). Il semble cependant que le sujet soit au point mort. 
Ajoutons enfin, bien sûr, qu'il est de notoriété publique que Dassault Aviation est activement concerné par la question, pour des usages ambitieux qui iraient jusqu'au vol commercial habité. 

Car l'avion spatial a, sur le papier, des avantages évidents en termes de réutilisabilité, de besoins réduits d'infrastructures (une mission suborbitale pourrait être entièrement menée depuis une base aérienne), ou encore d'emport -et de retour intact- de charges utiles. 
Concernant les missions justement, AndroMach communique sur le fait que le premier véhicule suborbital pourrait trouver des usages dans le domaine des recherches en microgravité, un domaine également visé par la luxembourgeoise Space Cargo Unlimited. Quelques minutes à 200 km d'altitude et l'opportunité de développements pour le secteur pharmaceutique, biologique, ou même informatique. 

A échéance plus lointaine, sur orbite basse, et pour des missions de plusieurs jours ou mois cette fois, s'ouvrent les marchés de l'intervention sur des satellites, vaisseaux spatiaux, ou débris (maintenance, réparation, désorbitation…). Ceci dit, est ce vraiment un marché porteur ? 

Et il y a, bien entendu, la défense qui faute d'un grand programme national de drone spatial, pourrait trouver dans les projets de cette start-up une solution souveraine estampillée "new space". Ce domaine est explicitement évoqué par les fondateurs d'AndroMach.

Mais pour en arriver là, de nombreux défis techniques, qui touchent à la structure de l'aéronef comme à sa propulsion, seront à surmonter, le drone devant évoluer dans des milieux (la haute atmosphère et l'espace) où les contraintes sont intenses. Le design exposé à ce jour présente en tout cas des aspects très intéressants, tout comme la démarche itérative. 

Les centres d'essais, la pièce maîtresse du territoire Bordelais 

A ce stade, il s'agit là d'un nouveau joli coup pour l'agglomération (avec encore le travail remarquable de Bordeaux Technowest et de l'agence Invest in Bordeaux) qui attire un projet que l'on pourrait qualifier "de rupture". Après Hynaéro (projet de "Canadair" français), The Exploration CompanyHyprSpace ou encore Dark… ce ne sont pas les ambitions qui manquent.

Ce qui a convaincu AndroMach ? La proximité des sites disponibles pour mener des essais de propulsion: « Pour les essais opérationnels, propulsion et essais en vol, toutes les infrastructures sont disponibles sur le territoire », peut-on lire dans La Tribune. Outre la proximité, pratique, de l'océan, il faut dire en effet que l'ouest bordelais dispose d'un sacré héritage en matière de structures dédiées à la pyrotechnie.

Cet argument, on le retrouve d'ailleurs partout chez les pépites du spatial ces derniers mois sur le territoire. Récemment, c'est d'ailleurs The Exploration Company qui a montré son nouveau banc d'essai de Mérignac (images ci-dessous), mis en place durant l'été sur un ancien site à Mérignac. Déjà impressionnant de maîtrise, et destiné à grossir dès l'an prochain.
 


vendredi 19 janvier 2024

Sylphaero récompensée au Forum économique mondial de Davos

La toute jeune start up bordelaise Sylphaero, qui entend révolutionner la motorisation électrique dans l'aviation à réaction, fait partie des vainqueurs du Sustainable Aviation Challenge au Forum Economique Mondial de Davos. Ce prix récompense au plan mondial les innovations qui permettront d'accélèrer la décarbonation de l'aviation. 

Ci-dessus: vue d'artiste - ©Sylphaero

L'aviation représente selon les méthodes de calculs entre 2% et 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si peu… et pourtant déjà trop dans ce contexte climatique dégradé. Mais des entreprises, petites ou grandes, tout autour du globe travaillent désormais très activement sur les solutions qui permettront la décarbonation du secteur aéronautique. 


Tout autour du monde, et notamment en France. Sylphaero (dont le nom fait référence à une forme de foudre générant du plasma) en fait partie, avec une technologie de rupture qui permettra non seulement d'électrifier des designs de réacteur existants, tout en améliorant largement leurs performances. 


Sylphaero est une toute jeune start-up basée à Mérignac, et accompagnée par Bordeaux Technowest. Ici, nous l'avions découverte cet automne 2023 lors du Forum Aéronautique et spatial de Bordeaux organisé par La Tribune (lien vidéo, où tout est dit, ci-dessous) et du Salon "Bordeaux Défense Aéronautique" de l'Armée de l'air. Elle était également présente au Forum Innovation Défense à Paris en fin d'année. 

Sylphaero travaille donc depuis plus de deux ans maintenant sur une solution d'électrification des réacteurs déjà disponibles sur le marché, en chauffant l'air dans les moteurs de façon électrique, en lieu et place de la combustion classique. Une batterie ou pile à combustible produit un arc électrique allant de 15 à 30 000°C qui chauffe l'air pénétrant dans le réacteur à une température modulable entre 3 000 et 30 000°C, générant un plasma qui fournit la puissance du moteur. Le grand avantage avec cette transformation est qu'elle permettrait d'éviter le remplacement de tous les appareils, ces derniers passant par une phase de rétrofitage de leurs moteurs. L'autre avantage est bien sûr le coût d'utilisation, qui diminue largement par rapport à l'utilisation de combustible fossile, ou même de biocarburants. Enfin, dernier avantage, et non des moindre: un plasma n'émet pas de CO2 ! 

Le potentiel de rupture technologique -si ce n'est pas stratégique- est là, d'autant plus que les projections laissent entendre un accroissement de performances très, très prometteur (jusqu'à Mach 12 théoriquement, sous réserve des limites structurelles des moteurs ou de la puissance que pourront fournir les batteries ou piles à combustibles dans le futur). De quoi oublier les idées reçues sur les limites de l'aviation électrique telle qu'imaginée à ce jour. 
Si des applications dans des domaines comme la défense ou même le spatial sont possibles, la cible commerciale est d'abord l'aviation d'affaire à horizon 2030, avant possiblement d'envisager le marché de l'aviation de ligne. Parallèlement, un record de vitesse sera tenté sur drone électrique en 2026, année où devrait voir le jour le premier prototype de moteur de l'entreprise. En théorie, le record actuel de 555 km/h pour un aéronef électrique, établi par Rolls Royce en 2021, sera très largement dépassé.  

La start-up, qui est la seule entreprise au monde sur cette innovation (l'Université Georgia Tech. mène également des recherches), reçoit le soutien de plusieurs acteurs publics (comme l'ONERA), écosystèmes (Technowest, Aerospace Valley, Blast...), tout comme de géants du secteurs comme Airbus, ou Dassault Systems (avec son 3D Experience Lab). Elle cherche actuellement à lever des fonds pour poursuivre ses développements. Plus précisément 15 millions d'euros en 2024.

Cela nous amène à Davos, où la French Tech s'est faite remarquer cette semaine autour du Président de la République, qui a une nouvelle fois appelé à investir en France. Davos, où Sylphaero s'est donc distinguée en faisant partie des 16 lauréats, sur 129 dossiers déposés, du Sustainable Aviation Challenge organisé par Uplink. Ce prix vient récompenser les jeunes entreprises proposant des solutions innovantes pour décarboner l’aviation et accélérer les nouvelles voies technologiques, notamment les carburants durables, les technologies de propulsion et les innovations de la chaîne de valeur telles que les matières premières, l’ingénierie, les infrastructures et le développement des marchés.

Ces 16 innovateurs sont désormais connectés à la programmation formelle du Forum économique mondial et à un écosystème de soutien composé de partenaires industriels et d'investisseurs pour développer leurs projets grâce à des collaborations commerciales et technologiques. Nul doute que cela devrait conforter Sylphaero dans sa quête des financeurs. 


Et voici donc les 16 lauréats du challenge Uplink à Davos. Notez également la présence des Toulousains de Beyond Aero: 


vendredi 8 septembre 2023

Way4Space détaille son symposium dédié à la logistique spatiale


L'association Way4Space, dédiée à l'innovation, mais aussi à l'idéation dans le secteur spatial, organise les 5 et 6 octobre à Mérignac son troisième séminaire "NextSpace". Cette édition 2023 sera consacrée à la " Space Logistics ", ou comment produire et travailler dans l'Espace.


Voici le programme, très prometteur, qui comprend la liste des conférences, avec des intervenants de tout premier ordre.

Inscriptions ouvertes et possibles à cette adresse (séminaire professionnel, tarif de 60€ la journée, 100€ les deux jours). Le symposium se déroule au tout nouveau business center Blue Bamboo de Mérignac, face à l'aéroport de Bordeaux. 




vendredi 7 juillet 2023

La saison 3 de la Red Team Défense déclare la première guerre spatiale

Un mot pour signaler la sortie -ou du moins la révélation- de la 3ème saison de la Read Team défense de l'AID, Agence pour l'innovation de défense. Pour cette troisième et dernière mouture, les auteurs nous emmènent notamment dans l'espace. Une première. 

Illustrations: © Red Team Défense.


En moins de quatre ans, la Read Team défense, collectif d'auteurs (écriture et dessin) d'anticipation mandaté par l'AID pour réfléchir au futur de la guerre dans une logique "out of the box", est devenue dans le petit monde de la défense ce que la série Black Mirror est à la pop culture. Imaginatif, possible plutôt que probable… mais systématiquement dérangeant !

Les saisons 1 et 2 ont abordé tout un florilège de futurs où des ruptures technologiques avaient une influence directe sur le déroulement des conflits, allant ainsi de sujets très prégnants (piraterie et révoltes de population de l'hémisphère sud, dérive des fake news, crise climatique ou énergétique qui dégénère en vastes conflits, démocratisation des armes hypersoniques…), à d'autres plus inattendues dans nos sociétés en paix (tout ce qui touche aux neurosciences ou à la génétique). 

La plupart des scénarios se déroulent entre 2040 et 2070.

Pour cette troisième saison, ce sont deux scénarios qui sont révélés. « Face à l'hydre » évoque un monde où les connaissances sont transmises d'humain à humain par voie numérique. De là se répand un flot continu de connaissances à travers toutes les strates des populations. Des connaissances qui comportent naturellement les savoirs militaires.
L'autre scénario, « La ruée vers l'espace », est celui qui nous intéressa le plus aujourd'hui, puisqu'il concerne l'avènement de la première guerre spatiale. Une guerre pour les ressources dont l'exploitation robotisée et massive par des entreprises privées à partir des années 2040 va entrainer les premiers affrontements entre humains dans l'espace… et donc les premiers homicides.


Ce scénario est particulièrement intéressant dans le sens où il adopte une feuille de route tout à fait crédible, qui voit le coût de l'accès à l'espace s'effondrer durant les années 2030, permettant le lancement d'une véritable ruée vers les ressources du système solaire. 
Deux éléments "plausibles" viennent encore s'ajouter à la tangibilité du récit: l'exploitation est très largement automatisée d'une part, et d'autre part, les acteurs, après toute une série de crises, commencent à déclarer des ZEE (zones économiques exclusives) autour de corps célestes comme la Lune. Une pratique aujourd'hui interdite par le traité sur l'Espace de 1967, mais autour de laquelle les évolutions juridiques concernant les ambitions lunaires américaines et chinoises devraient nous alerter. Je pense ici par exemple aux fameuses "safety zones" mentionnées par les Accords Artemis, que la France a signés avec Washington en 2022. 

En bref, avec ce scénario, nous ne sommes finalement pas si loin de la prospective. 


Tout est disponible sous forme de teasers multimédias sur le site de la Red Team, ou sur différents canaux de diffusion dont Instagram, Youtube … ou même la presse écrite. 

Comme d'habitude on attendra l'automne afin de pouvoir trouver en librairie la publication de cette nouvelle saison.

A noter qu'il s'agit de la dernière saison de la Red Team, puisque le contrat -comme le budget, assez conséquent- arrive à son terme. Néanmoins, la formule a conquis en France, est même scrutée à l'étranger, et devrait donc être prolongée à travers un nouveau mandat, dont on nous signale que la forme aura encore évolué. 


vendredi 2 juin 2023

Spatial européen: des projets, pas de stratégie


En dévoilant ses plans pour la conception d'un lanceur super-lourd réutilisable, l'Agence spatiale européenne continue de placer les pions de ce qui pourrait constituer, d'ici 20 ans, l'architecture phare d'une économie pour l'espace, par l'espace, et dans l'espace. Mais au delà de ces études préliminaires, l'Europe a t-elle véritablement une stratégie ? 
 
Ci-dessus: campagne d'essais sur Ariane 6 au Centre spatial guyanais - mai 2023, ArianeGroup. 


L'Agence spatiale européenne (ESA) a confié début mai une étude PROTEIN à ArianeGroup et à la start-up allemande Rocket Factory Augsburg (RFA), dans le but d'évaluer la faisabilité et d'identifier les technologies clés nécessaires pour développer un lanceur européen super-lourd. Nous parlons évidemment ici d'un "Starship like", un lanceur de grande capacité (environ 100t de charge utile) "pouvant fournir un accès à l'orbite terrestre basse et au-delà à la fois à faible coût et à cadence élevée".
Naturellement, ce lanceur devra être "entièrement réutilisable", "initialement optimisé pour les missions vers l'orbite basse", et "construit avec la "minimisation de l'impact environnemental à l'esprit". Le défi est donc loin d'être mince, mais disons sobrement que nous sommes simplement ici dans le cahier des charges.

Surtout, ce lanceur servira le déploiement de grandes structures en orbite, qui feront possiblement un jour partie intégrante de cette économie orbitale que l'on annonce à horizon 2040. L'ESA cite très explicitement deux autres sujets qui font ou ont fait l'objet d'études récemment: le centres de données, ou data centers, en orbite (ASCEND), et l'énergie solaire spatiale (SOLARIS), solution pour apporter à la terre une énergie illimitée depuis l'espace, dans un contexte ou l'ensemble des sociétés cherche la décarbonation et l'énergie à bas coût.


Le lancement de ce type d'étude est aujourd'hui largement médiatisé, diffusé auprès d'un grand public qui aura lui tendance à interpréter cela comme une concrétisation (rappelons nous du "Moon Village" annoncé en 2015). Or, il ne s'agit pas de futur, mais de conditionnel. Il y a une prise de risque, qui est celle de générer à la fois du rêve, moteur de vocations… et de la frustration, particulièrement contreproductive, les fluctuations de l'opinion pouvant générer des remous politiques fatals pour les budgets. 

Cependant, l'ESA est ici tout à fait dans son rôle: elle défriche, comme toutes les agences spatiales dans le monde, dans le but d'obtenir des financements, qui lui permettront d'établir des plans… qui peut-être aboutiront un jour à la naissance d'un véritable programme si ses Etats membres en prennent la décision.
Ajoutons à ceci que l'Agence spatiale européenne a appris à maitriser sa communication, au sens le plus contemporain du terme. Réseaux sociaux, effets d'annonce, clips, présence médias (grâce à ses astronautes, devenus véritables VRP), influenceurs… et même la création toute prochaine d'une boutique officielle à Paris, parce que oui, le "merch" est important pour développer son image de marque dans le spatial d'aujourd'hui, la NASA américaine étant le modèle en la matière. 


Une vision pour un futur

L'Europe spatiale a acquis avec les années le statut de véritable phare scientifique, c'est un fait. Mais nous évoquons ici des domaines plus stratégiques: l'accès à l'espace, l'énergie, la donnée… 

Pour bien comprendre cette recrudescence de projets, il s'agit de présenter le contexte. Un double mouvement s'opère actuellement, dynamisant le monde du spatial comme jamais depuis la fin de la guerre froide. Le premier phénomène est celui, auquel vous n'avez pas pu échapper, du New Space. L'arrivée de nouveaux acteurs privés dans un domaine qui reposait sur des process multi-décennaux a bouleversé la façon de travailler, tandis que se multiplient les offres de service, sur Terre, comme en orbite.
Le second phénomène relève lui de la grande stratégie puisque c'est le retour d'une "course" à l'espace entre grandes puissances. Etats-Unis surtout, puis Chine, sont en tête bien sûr, mais d'autres acteurs entendent suivre le mouvement, à niveau moindre toutefois. Citons ici la France et quelques Européens, le Japon, l'Inde… mais aussi des émergents comme Israël et les monarchies du Golfe. Cette course s'apprête à connaitre une phase de sprint tout à fait passionnante qui concernera en particulier la Lune, quasiment 60 ans après Apollo 11 (1969).

Ce nouveau contexte, alors que l'espace n'a jamais été aussi utile, indispensable même, à la planète et ses habitants, laisse augurer de nouvelles conquêtes, mais aussi de nouveaux marchés. Autant de zones de confrontations, plus ou moins pacifiques.  


Mais pour aider à comprendre, il va nous falloir imager. C'est donc de la façon suivante qu'une grande feuille de route internationale peut-être dessinée. Elle comporte plusieurs domaines stratégiques, et surtout plusieurs acteurs, publics comme privés. Nous discernons ici le prévu, et le probable, en essayant d'être assez exhaustifs, en éludant toutefois le volet militaire. Petit exercice de prospective. 

Prévu:
  • 2023: les méga constellations privées, puis bientôt "souveraines" (IRIS² pour l'UE), se déploient en orbite basse. Le marché satellitaire croît sans cesse. 
  • 2023: USA & Chine disposent d'un drone spatial à vocation militaire. La France prévoit de lancer une étude sur le sujet. L'Europe (ESA) doit tester son Space Rider, à vocation purement civile.
  • 2023 et suivant: avènement de lanceurs lourds et superlourds privés (New Glenn, Super Heavy) qui contribuent à tirer le prix du lancement au kilo vers le bas.
  • 2023/24: arrivée d'Ariane 6, lanceur européen qui connaitra une vie opérationnelle bien plus courte que les 27 ans de son prédécesseur. Son évolution partiellement réutilisable, Ariane "NEXT", lui succèdera dans les années 2030.
  • 2025: l'Inde accède, en toute indépendance, au vol habité. L'Europe n'a rien prévu dans ce domaine.
  • deuxième partie de la décennie 2020: les USA, puis la Chine (2029) se posent sur la Lune. Les Européens sont partenaires du programme américain Artemis.
  • deuxième partie de la décennie 2020: les "vaisseaux" privés deviennent la norme.
  • 2030: fin de vie de la Station spatiale internationale, qui ouvre la porte à l'arrivée de plusieurs nouvelles stations en orbite basse, la plupart privée. L'Europe n'a rien prévu dans ce domaine.
  • 2030: une station internationale orbite autour de la Lune, la "Lunar Gateway", à laquelle l'ESA est largement contributrice.
  • 2030: des sociétés de micro-lanceurs ont émergé partout dans le monde. Les plus performantes montent désormais en gamme. Des spatioports européens concurrencent désormais Kourou. 
  • 2033/35 : la Chine a son lanceur super-lourd.

Probable:
  • 2035: les orbites terrestres basses sont "saturées" et des mécanismes de règlementations restrictifs sont mis en place par la communauté internationale. L'Union Européenne joue un rôle majeur dans ce processus.
  • 2035: les lanceurs super-lourds américains et chinois sont en mesure de transporter des milliers de tonnes en orbite chaque année. Ils révolutionnent la façon de concevoir l'environnement proche de la Terre. On envisage désormais de "travailler" en orbite.
  • 2035: les premiers grands projets de superstructures sont planifiés (data center, centrale solaire orbitale, station de ravitaillement, nouveaux instruments scientifiques…).
  • 2040: bases permanentes américaine et chinoise sur la Lune.
  • 2040: l'Europe a son lanceur super-lourd réutilisable (étude PROTEIN lancée en 2023).

Possible:
  • 2040: les deux superpuissances maîtrisent la propulsion nucléaire. 
  • 2040: le voyage vers Mars est envisagé.


Voilà pour la partie aisée -et tout de même fantasmée- de l'exercice. Nous remarquons évidemment d'emblée que l'Europe, terre de collaborations, prend le risque d'être abandonnée au bord de la route alors qu'Américains et Chinois devront prendre des décisions tout à fait stratégiques pour leur destin cosmique. 
De plus, l'Europe a depuis la fin des années 1980 acquis un leadership commercial tant dans le domaine des lanceurs (Arianespace) que du satellitaire (Airbus, Thales Alenia Space...), qu'elle a désormais perdu, ne voulant pas croire au bouleversement conceptuel qui se déroulait pourtant sous ses yeux au cours de la décennie 2010. 

La crise est donc là, et elle ne concerne pas que les lanceurs, mais véritablement le futur des ambitions européennes. Néanmoins, si le leadership est perdu, l'expertise sur laquelle il est encore temps de capitaliser subsiste. 


Une stratégie, oui, mais avec quel stratège ? 

Ce billet de blog n'est pas le fruit d'une soudaine inspiration. Je dirais même qu'il s'inscrit dans une tendance qui prend corps, véritablement, ces derniers mois.
Il faut voir -et surtout lire- le nombre assez impressionnant de déclarations en table ronde, de tribunes publiées (y compris par le Directeur de l'ESA Joseph Aschbacher lui-même), d'articles de presse, et de documents commandés qui appellent l'Europe à se doter d'une véritable stratégie avec en son centre, en clé de voute, une capacité autonome de vol habité*, capacité qui viendra former un pilier qui à la fois, précédera, et complétera, le pilier "lanceur super lourd" -qui n'aura lui pas besoin d'être conçu pour le vol habité- devenu absolument nécessaire pour s'intégrer dans l'économie spatiale de 2040.

Le vol habité européen, nombreux en rêvent (même le Président Macron), beaucoup le préparent (ArianeGroup a dévoilé son concept SUSIE en septembre 2022, Dassault Aviation a son projet sur les planches à dessins, la start-up The Exploration Company développe son module)… mais les résistances sont là. Car oui, la limite structurelle qui contraint aujourd'hui la politique spatiale européenne tient dans la division de ses membres et familles de métiers. 

Au centre, le concept SUSIE (Smart Upper Stage for Innovative Exploration) - crédit ArianeGroup


L'Europe du spatial manque d'un vrai leadership. L'ESA n'a pas vraiment les mains libres, elle est profondément sclérosée par son principe cardinal du retour géographique, et ses membres, notamment les 3 principaux (France, Allemagne et Italie) ne jouent actuellement plus la même musique. Il s'agit d'une première crise à contenir. 
Même à niveau national il faut encore subdiviser entre divers ministères, entre civils et militaires, avec un rôle de plus en plus grand pour ces derniers, probablement les plus à même de demander certains programmes comme les drones spatiaux. 
Enfin, une partie du monde industriel (toute une génération semble traumatisée par l'échec de la navette Hermès, en 1992 !), et surtout scientifique, demeure réfractaire aux ruptures stratégiques, en premier lieu celle du vol habité, y voyant un bien inutile aspirateur à budgets quand des missions autonomes ou robotisées pourraient remplir les mêmes objectifs, à bien moindre coût… ce qui est vrai s'agissant de l'exploration spatiale lointaine, ou de la plupart des missions scientifiques. Ce qui l'est moins en revanche dès que l'on parle de "conquête". 

Afin de rester dans la roue des deux grands projets spatiaux américains et chinois, d'envergure sociétale si ce n'est civilisationnelle (la "destinée manifeste" de l'Amérique), l'Europe doit décider de son propre projet, autonome, souverain, et porteur de ses valeurs traditionnelles telles que l'esprit de collaboration internationale ou l'éthique. L'Europe ne peut se contenter d'obtenir des places chèrement négociées (signature des juridiquement contestables Accords Artémis) à bord des missions lunaires américaines, quand bien même cela suffirait amplement à certains Etats qui y voient un moyen peu onéreux d'acquérir du prestige. Ceux qui sont familiers des problématiques qui touchent à l'Europe de la défense et à l'OTAN y retrouveront un curieux parallèle.

Dans ce contexte, l'Union Européenne, structure décisionnelle rodée quoiqu'on en pense, pourrait-elle un jour chapeauter l'Agence comme certains le proposent ? Outre la difficulté de la non concordance des membres de l'ESA par rapport à l'UE (Royaume-Uni, Norvège..), le mandat de l'Union Européenne lui commande de servir ses citoyens, ce qui a mené aujourd'hui à de fantastiques programmes comme Galileo, Copernicus, et bientôt IRIS² pour la connectivité. En revanche, le contribuable européen n'attend pas de programme lunaire, ou de station orbitale, l'UE ne développant pas de stratégie de "puissance". Cela pourrait toutefois évoluer puisque des secteurs d'importance vitale comme ceux de la donnée et de l'énergie pourraient bien être un jour en partie délocalisés dans l'espace. 

Si nous reprenons notre petit jeu du probable et du possible, le premier scénario verra donc les membres de l'ESA s'arrimer pour de bon, un à un, au programme lunaire américain, pendant que ses membres les plus influents, en premier lieu l'Allemagne (cela rappellera la défense, encore), appâtés par de lucratives perspectives, tenteront de tirer la couverture du "New Space" au risque de faire éclater la cohésion continentale. L'Europe deviendra également majoritairement dépendante des lanceurs, vaisseaux et même stations spatiales issues du New Space américain, embrassant l'ère du service
Le scénario du possible voit lui les Européens valider l'option du vol habité dès 2025, et planifier une feuille de route qui les verra dotés de l'ensemble des piliers nécessaires pour le futur. Cela avec des budgets contraints certes, mais allant bien au delà des capacités indiennes, japonaises ou même russes. L'Europe devra néanmoins innover -ce qu'elle sait faire- et surtout revoir les processus d'attribution des programmes, en libéralisant et verticalisant les marchés. Rien dans ce second scénario n'oblige d'ailleurs l'Europe à revoir ses collaborations, qu'elles soient américaines ou autres, le "Moon Village" européen présenté en 2016 (déjà) pouvant bien attendre. 

Airbus dévoile LOOP¨en mai 2023, l'idée d'un module orbital 3en1, déployable en un lancement - Airbus


L'Europe du spatial ne manque pas de projets, mais elle semble manquer d'un projet. Il faut croire que tout se jouera au cours des deux prochaines années, avec en point de mire la ministérielle de l'ESA de 2025. Deux ans pour préparer deux décennies. Cela donne un certain vertige.


*A l'heure où j'écris ces lignes, il y a 17 personnes dans l'espace, dont 2 Saoudiens et 6 Chinois. Un record historique. 

lundi 6 février 2023

L'affaire du ballon espion chinois dévoile l'enjeu de la très haute altitude


En l'espace de trois jours, l'affaire du ballon stratosphérique chinois qui a traversé les Etats-Unis et le Canada avant de finalement être abattu par un F-22 de l'US Air Force, aura installé un climat de psychose rappelant à certains le début de la guerre froide. 

Ci-dessus: le drone HAPS "Zephyr" d'Airbus - photo Airbus.


Hasard du calendrier, ou véritable conjonction stratégique ? La très haute altitude fait partie de ces sujets qui occupent les réflexions des forces aériennes et/ou spatiales depuis maintenant quelques années. L'armée de l'Air et de l'Espace y consacrait même son grand colloque annuel début janvier à Paris (lien vidéo à la fin de ce blog), et devrait proposer une stratégie en la matière dans le courant de l'année. 
Le sujet occupe de surcroît de plus en plus de chercheurs, et est même au cœur des travaux de la Chaire "Défense & Aérospatial" à Sciences Po Bordeaux, pour ne citer qu'elle.

Cette affaire du ballon "espion" chinois aurait pu ne jamais faire la une des médias. En effet, ces ballons sont connus (autrement que pour leur vocation plus courante, qui est scientifique), vus, répertoriés, depuis des années dans la zone indopacifique, de Taïwan bien sûr, en passant par le Japon ou l'Inde, et même jusque Hawaï. Des événements durant lesquels ces ballons ont d'ailleurs assez clairement été décrits comme des aéronefs différents des traditionnels ballons météorologiques (excuse affichée encore aujourd'hui par Pékin). 
Il s'agirait donc en effet de ballons stratosphériques emportant une charge utile capable de récolter du renseignement. Ils seraient légèrement manœuvrables (mais toujours dépendants des courants), et des panneaux solaires leur permettent de conserver de l'énergie électrique sur le temps long. Les Chinois en ont produit toute une flotte. 

Certes, nous sommes loin d'un potentiel Pearl Harbor (expression souvent reprise par les dirigeants américains), mais les Américains acceptent mal d'être challengés au dessus de leur propre territoire, avec quasiment les mêmes méthodes qu'ils employaient contre l'URSS dans les années 1950. Des ballons d'abord en effet, avant l'ère des U2 (le "Dragon Lady" reste maître en son royaume), et SR-71... avant que ne triomphe le satellite. 

L'USAF aurait utilisé un avion U2 pour survoler le ballon chinois - source The Drive.


Il y a bien une zone grise (appelons ça ainsi) en droit international sur l'extension de la souveraineté étatique à cette altitude, supérieure à 20 km, mais dans les faits la réaction américaine est logique, presque légitime. L'Air Force a les moyens d'abattre cet intrus. Elle le fait donc. Il ne pouvait, au fond, en être autrement. Question de prestige, de suprématie.
Car c'est bien sur ce point selon moi qu'il faut analyser cet aventureux geste chinois: aller tester politiquement l'Amérique sur son terrain, alors que celle-ci multiplie les efforts militaires et diplomatiques pour contenir la Chine dans un espace réduit de la zone indopacifique. 

Il est difficile de dire si l'opération est une réussite, ou non. Washington a géré la situation à sa manière, avec fermeté, le Président Biden s'exprimant même devant les caméras quelques minutes après la mission du F-22, afin d'illustrer toute l'efficacité de la chaîne de commandement. 
La Chine surjoue désormais l'outrage, mais c'est bien dans l'opinion américaine que cet épisode pourrait laisser des traces, avec une psychose non-contrôlée qui rappelle un autre temps. Au point d'obstruer les voies diplomatiques ? 


Les opérations à très haute altitude : pas un sport de masse, mais un risque de prolifération

Les opérations "THA" comme on dit chez nous, ou plus communément dans le monde les HAO pour Higher Airspace Operations, se déroulent entre 20 et 100 kilomètres d'altitude. Ou autrement dit, entre le ciel, espace aérien de souveraineté au sens de la Convention de Chicago, et l'espace. On donne un nom à ce milieu: l'interespace.

Comme nous l'avons vu, cela n'a rien de nouveau, notamment car les Etats-Unis en ont usé et abusé durant la guerre froide. Mais le triomphe des technologies spatiales, et plus spécifiquement satellitaires, ont rendu cet espace moins… "utile" aux opérations de surveillance. Il est néanmoins resté bien sûr, un espace obligatoire de transition (pour les lanceurs). Il redevient aujourd'hui un espace d'opérations, comme l'a anticipé l'armée de l'Air et de l'Espace française. C'est par exemple l'avènement des technologies hypersoniques, mais également le renouveau des HAPS: High-altitude platform stations.

Alors qu'en est-il ? Quels sont les types de vecteurs pour ces "pseudosatellites" ?  En Europe, Airbus avec son drone solaire Zephyr, et Thales Alenia Space avec le dirigeable Stratobus, se positionnent depuis des années. Le premier devrait entrer en phase de commercialisation (Airbus illustre d'ailleurs son utilisation pour le SCAF) via une filiale spécialement créée, tandis que le second est pour l'instant maintenu en vie par des fonds européens (programme EuroHAPS). L'armée de l'Air, qui s'est un temps intéressée au projet, a semblé depuis plus hésitante.

Airbus intègre le Zephyr (en haut à droite) comme un élément du cloud de combat du SCAF.

Les ballons eux, solutions un peu plus "low cost", pourraient rencontrer un intérêt grandissant, notamment pour des pays qui n'ont pas de programme spatial. 
En France Hemeria développe à Toulouse ses solutions pour des usages civils ou militaires (observation, relai de communications), tandis que Zephalto vise le tourisme stratosphérique, pour un "voyage bas carbone dans l'espace".


Un espace contesté supplémentaire

Après les eaux internationales (et les grands fonds), l'espace, ou même le cyberespace… voilà donc la haute atmosphère oui, mais pour quels avantages sur le plan stratégique ? Outre la permanence (défaut d'un satellite en orbite basse, mais défaut réglé par les mégaconstellations), la plus-value par rapport à un système satellitaire est incertaine. D'autant plus que si la trajectoire d'un satellite de surveillance est prédictible, un ballon n'est pas plus discret, surtout quand toutes les caméras du monde sont braqués dessus. Il sera intéressant d'ailleurs, de savoir avec quelle efficacité le NORAD américain a pu suivre l'aéronef au radar. 

[MAJ: le NORAD a reconnu le 6 février des lacunes dans la surveillance du ciel nord-américain.]

S'agissant des moyens de réponse, l'occident est relativement démuni, ne disposant pas, ou plus, de moyens d'interception à cette altitude… sans avoir à recourir à la chasse. On sait au moins désormais qu'un chasseur F-22, l'appareil le plus perfectionné du monde, peut mener ce type de mission, à l'aide d'un missile infrarouge dans notre cas d'espèce. Cela n'aurait peut-être pas été le cas d'un Rafale, dont le plafond opérationnel se situe plus bas. 

La problématique reste vaste, et nous aurons l'occasion d'en reparler cette année. Pour en apprendre plus je recommande fortement le visionnage des échanges ci-dessous !


Ci-dessous, le colloque du CESA du "Du ciel à l'espace : nouveaux enjeux opérationnels à très haute altitude" qui se déroulait à Paris ce 9 janvier 2023: