lundi 6 février 2023

L'affaire du ballon espion chinois dévoile l'enjeu de la très haute altitude


En l'espace de trois jours, l'affaire du ballon stratosphérique chinois qui a traversé les Etats-Unis et le Canada avant de finalement être abattu par un F-22 de l'US Air Force, aura installé un climat de psychose rappelant à certains le début de la guerre froide. 

Ci-dessus: le drone HAPS "Zephyr" d'Airbus - photo Airbus.


Hasard du calendrier, ou véritable conjonction stratégique ? La très haute altitude fait partie de ces sujets qui occupent les réflexions des forces aériennes et/ou spatiales depuis maintenant quelques années. L'armée de l'Air et de l'Espace y consacrait même son grand colloque annuel début janvier à Paris (lien vidéo à la fin de ce blog), et devrait proposer une stratégie en la matière dans le courant de l'année. 
Le sujet occupe de surcroît de plus en plus de chercheurs, et est même au cœur des travaux de la Chaire "Défense & Aérospatial" à Sciences Po Bordeaux, pour ne citer qu'elle.

Cette affaire du ballon "espion" chinois aurait pu ne jamais faire la une des médias. En effet, ces ballons sont connus (autrement que pour leur vocation plus courante, qui est scientifique), vus, répertoriés, depuis des années dans la zone indopacifique, de Taïwan bien sûr, en passant par le Japon ou l'Inde, et même jusque Hawaï. Des événements durant lesquels ces ballons ont d'ailleurs assez clairement été décrits comme des aéronefs différents des traditionnels ballons météorologiques (excuse affichée encore aujourd'hui par Pékin). 
Il s'agirait donc en effet de ballons stratosphériques emportant une charge utile capable de récolter du renseignement. Ils seraient légèrement manœuvrables (mais toujours dépendants des courants), et des panneaux solaires leur permettent de conserver de l'énergie électrique sur le temps long. Les Chinois en ont produit toute une flotte. 

Certes, nous sommes loin d'un potentiel Pearl Harbor (expression souvent reprise par les dirigeants américains), mais les Américains acceptent mal d'être challengés au dessus de leur propre territoire, avec quasiment les mêmes méthodes qu'ils employaient contre l'URSS dans les années 1950. Des ballons d'abord en effet, avant l'ère des U2 (le "Dragon Lady" reste maître en son royaume), et SR-71... avant que ne triomphe le satellite. 

L'USAF aurait utilisé un avion U2 pour survoler le ballon chinois - source The Drive.


Il y a bien une zone grise (appelons ça ainsi) en droit international sur l'extension de la souveraineté étatique à cette altitude, supérieure à 20 km, mais dans les faits la réaction américaine est logique, presque légitime. L'Air Force a les moyens d'abattre cet intrus. Elle le fait donc. Il ne pouvait, au fond, en être autrement. Question de prestige, de suprématie.
Car c'est bien sur ce point selon moi qu'il faut analyser cet aventureux geste chinois: aller tester politiquement l'Amérique sur son terrain, alors que celle-ci multiplie les efforts militaires et diplomatiques pour contenir la Chine dans un espace réduit de la zone indopacifique. 

Il est difficile de dire si l'opération est une réussite, ou non. Washington a géré la situation à sa manière, avec fermeté, le Président Biden s'exprimant même devant les caméras quelques minutes après la mission du F-22, afin d'illustrer toute l'efficacité de la chaîne de commandement. 
La Chine surjoue désormais l'outrage, mais c'est bien dans l'opinion américaine que cet épisode pourrait laisser des traces, avec une psychose non-contrôlée qui rappelle un autre temps. Au point d'obstruer les voies diplomatiques ? 


Les opérations à très haute altitude : pas un sport de masse, mais un risque de prolifération

Les opérations "THA" comme on dit chez nous, ou plus communément dans le monde les HAO pour Higher Airspace Operations, se déroulent entre 20 et 100 kilomètres d'altitude. Ou autrement dit, entre le ciel, espace aérien de souveraineté au sens de la Convention de Chicago, et l'espace. On donne un nom à ce milieu: l'interespace.

Comme nous l'avons vu, cela n'a rien de nouveau, notamment car les Etats-Unis en ont usé et abusé durant la guerre froide. Mais le triomphe des technologies spatiales, et plus spécifiquement satellitaires, ont rendu cet espace moins… "utile" aux opérations de surveillance. Il est néanmoins resté bien sûr, un espace obligatoire de transition (pour les lanceurs). Il redevient aujourd'hui un espace d'opérations, comme l'a anticipé l'armée de l'Air et de l'Espace française. C'est par exemple l'avènement des technologies hypersoniques, mais également le renouveau des HAPS: High-altitude platform stations.

Alors qu'en est-il ? Quels sont les types de vecteurs pour ces "pseudosatellites" ?  En Europe, Airbus avec son drone solaire Zephyr, et Thales Alenia Space avec le dirigeable Stratobus, se positionnent depuis des années. Le premier devrait entrer en phase de commercialisation (Airbus illustre d'ailleurs son utilisation pour le SCAF) via une filiale spécialement créée, tandis que le second est pour l'instant maintenu en vie par des fonds européens (programme EuroHAPS). L'armée de l'Air, qui s'est un temps intéressée au projet, a semblé depuis plus hésitante.

Airbus intègre le Zephyr (en haut à droite) comme un élément du cloud de combat du SCAF.

Les ballons eux, solutions un peu plus "low cost", pourraient rencontrer un intérêt grandissant, notamment pour des pays qui n'ont pas de programme spatial. 
En France Hemeria développe à Toulouse ses solutions pour des usages civils ou militaires (observation, relai de communications), tandis que Zephalto vise le tourisme stratosphérique, pour un "voyage bas carbone dans l'espace".


Un espace contesté supplémentaire

Après les eaux internationales (et les grands fonds), l'espace, ou même le cyberespace… voilà donc la haute atmosphère oui, mais pour quels avantages sur le plan stratégique ? Outre la permanence (défaut d'un satellite en orbite basse, mais défaut réglé par les mégaconstellations), la plus-value par rapport à un système satellitaire est incertaine. D'autant plus que si la trajectoire d'un satellite de surveillance est prédictible, un ballon n'est pas plus discret, surtout quand toutes les caméras du monde sont braqués dessus. Il sera intéressant d'ailleurs, de savoir avec quelle efficacité le NORAD américain a pu suivre l'aéronef au radar. 

[MAJ: le NORAD a reconnu le 6 février des lacunes dans la surveillance du ciel nord-américain.]

S'agissant des moyens de réponse, l'occident est relativement démuni, ne disposant pas, ou plus, de moyens d'interception à cette altitude… sans avoir à recourir à la chasse. On sait au moins désormais qu'un chasseur F-22, l'appareil le plus perfectionné du monde, peut mener ce type de mission, à l'aide d'un missile infrarouge dans notre cas d'espèce. Cela n'aurait peut-être pas été le cas d'un Rafale, dont le plafond opérationnel se situe plus bas. 

La problématique reste vaste, et nous aurons l'occasion d'en reparler cette année. Pour en apprendre plus je recommande fortement le visionnage des échanges ci-dessous !


Ci-dessous, le colloque du CESA du "Du ciel à l'espace : nouveaux enjeux opérationnels à très haute altitude" qui se déroulait à Paris ce 9 janvier 2023: 


6 commentaires:

  1. L'offusquation est peut être un peu surjouée...
    https://geointblog.wordpress.com/2023/02/05/quand-les-etats-unis-surveillaient-lurss-et-la-chine-avec-des-ballons-espions/

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  2. Petit article intéressant sur le sujet:
    https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/03/01/quels-sont-les-perspectives-et-enjeux-militaires-de-la-tranc-23702.html

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  3. Misère, le StRATOBUS aura deux concurrents...
    https://www.webtimemedias.com/article/cannes-leurope-se-lance-dans-les-hapset-fait-decoller-stratobus

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  4. On peut aussi s'intéresser aux pseudo-satellites, avec 64 jours en vol, le Zephyr est vraiment intéressant…
    http://www.opex360.com/2022/08/23/le-drone-stratospherique-zephyr-dairbus-est-reste-en-vol-pendant-64-jours-lors-dune-evaluation-de-lus-army/

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  5. Nice post thank you Donald

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  6. Le mythique avion U2 prendrait bientôt sa retraite en 2026...
    https://www.avianews.ch/post/le-retrait-des-u-2-planifi%C3%A9

    Plus jzune, le F-117 Night Hawk attendra un peu avant de rejoindre le cimetière des légendes américaines:
    https://www.opex360.com/2023/01/03/retire-en-2008-lavion-furtif-f-117a-night-hawk-pourrait-encore-rendre-des-services-jusquen-2034/

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