mercredi 19 juin 2024

#Eurosatory2024 - Retour en force des missiliers sur le segment terrestre


Le conflit ukrainien tel qu'il se déroule depuis deux ans, combinant des combats de "haute intensité" et l'empêchement du déploiement à plein potentiel de la puissance aérienne, a poussé les armées occidentales à revoir leurs priorités concernant les capacités terrestres de frappe en profondeur. Et sur ce plan, le portefeuille français semble en passe de largement s'étoffer.

Ci-dessus: LRU de l'armée de Terre à la manœuvre avec des HIMARS américains - © EMACOM


Si la mode est aux drones et munitions rodeuses, que nous ne citerons pas dans ce résumé, le retex ukrainien nous montre que les résultats stratégiques sont eux obtenus lors de frappes dans la profondeur du dispositif ennemi, sur les centres de commandement, de logistique, ou de concentration de troupes. Des résultats que nous nous étions, en Occident, habitués à obtenir grâce à la puissance aérienne ou maritime. Or, que se passe t-il quand celles-ci sont empêchées ou absentes ? 

La transition est toute trouvée puisque le missilier MBDA, qui s'impose selon moi comme l'un des exposants les plus en vue lors de cette édition du salon Eurosatory puisque présent sur les munitions rodeuses, les missiles anti-char, la défense anti aérienne, et la frappe en profondeur, a dévoilé une version terrestre de son missile de croisière naval (MdCN).

Le Land Cruise Missile (LCM) repose en effet sur le système MdCN qui équipe (combat proven) les frégates et les sous-marins d'attaque de la Marine nationale française. MBDA insiste sur le fait que l'ensemble du système est intégré et rodé, conserve l'ensemble des ses performances (dont sa portée impressionnante de 1000 km), et peut être embarqué sur une plateforme mobile afin de maximiser sa survivabilité. Le LCM offre également une capacité de frappes simultanées contre une cible unique depuis des plateformes différentes, "comme l’a démontré le tir d’entraînement réalisé par la Marine nationale en avril 2024, avec le soutien de la DGA, depuis une frégate et un sous-marin immergé."

Le LCM, dont le développement n'est pas terminé, devrait permettre de disposer d'une capacité de frappe en profondeur terrestre souveraine à court terme… en attendant la suite.



Deuxièmement, il y a le programme FLT-P : Frappe longue portée terrestre. Durant les combats en Ukraine de l'année 2022, l'arrivée des lanceurs HIMARS en Ukraine est apparue comme une révélation pour les Européens, qui les uns après les autres, ont depuis passé commande auprès des Américains. D'autres, comme l'Espagne, ont temporisé, se penchant sur le marché international. Et comme souvent, la France, elle, a penché pour la solution souveraine au détriment de l'achat sur étagère… c'est le programme FLT-P, inscrit dans la Loi de programmation militaire 2024-2030.

Il s'agira donc de remplacer dans l'armée de Terre ce qu'il reste de la déjà maigre capacité de frappe en profondeur constituée par les lance-roquettes unitaires "LRU", plateforme héritée des années 1980 mais modernisée depuis. 13 lanceurs sont attendus d'ici 2030, ce qui remplace l'actuelle flotte théorique (il en reste en réalité beaucoup moins), ce chiffre passant à 26 en 2035. Les spécifications demandées par la DGA tournent autour d'une portée doublée par rapport au LRU, donc 150 km contre 70 aujourd'hui, et d'une haute précision. 

Pour répondre à ce marché de 600 millions d'euros, le groupe MBDA s'est allié à Safran pour proposer "Thundart", une version terrestre propulsée de la bombe air-sol AASM pouvant être lancée par salve de 12 jusqu'à 150 km dans un environnement électromagnétique dégradé (y compris sans GPS).

Mais sur ce programme, qui avancera dès cette année 2024, la BITD française voit s'avancer d'autres candidats. 

Force de frappe hypersonique terrestre ? 

Face à MBDA & Safran, on connait depuis plusieurs mois l'autre tandem, plus inédit, composé d'ArianeGroup & Thales, qui pour ce programme FLT-P proposent à horizon 2030 une munition balistique pouvant atteindre une cible à 150km à une vitesse avoisinant Mach 3. Ariane hérite du développement de la munition, et Thales de la conception du système de commandement et de contrôle (C2) et du système de guidage. 

A ce stade, s'il est déjà curieux de voir Ariane, surtout connue dans le militaire pour les missiles stratégiques de la force de dissuasion nucléaire, venir tenter sa chance sur le segment conventionnel -ce qu'elle fait déjà en quelques sortes avec le programme de planeur hypersonique V-MAX - le plus intéressant vient ensuite.  

En effet, pour la seconde partie du programme, Ariane et Thales poussent les curseurs en imaginant cette fois une munition pouvant frapper à 1 000 km ! Comme le LCM de MBDA ? Pas tout à fait.  La munition balistique devrait tutoyer la haute atmosphère et atteindre sa cible à Mach 5. Ou autrement dit, à vitesse hypersonique. De telles performances feraient de cette capacité, même si conventionnelle, un argument stratégique car extrêmement difficile à intercepter. 

Pour ceux qui ont un peu de mémoire, cela rappellera peut-être une tribune volontairement polémique rédigée par l'expert des blindés (et en particulier du char Leclerc, avec un ouvrage de référence paru récemment) Marc Chassillan il y a de cela un peu plus d'un an. Dans celle-ci, il ne proposait ni plus ni moins que de supprimer la composante de cavalerie lourde de l'armée de Terre afin de la remplacer par une force de frappe hypersonique… Provocateur, mais en partie prémonitoire ?


Reste la question des porteurs mobiles. Le célèbre M142 HIMARS américain assure sa haute mobilité (le "HIM"de l'acronyme HIMARS) grâce un camion porteur d'origine autrichienne. S'agissant des projets français, nous n'avons vu que des maquettes ou visuels, parfois pour montrer un camion, parfois un blindé chenillé semblable à l'actuel LRU de l'armée de Terre (comme c'est le cas sur le stand MBDA à Eurosatory). A ce stade, aucun choix ne semble avoir été fait, mais des constructeurs comme KNDS et Arquus se sont d'ores et déjà portés candidats depuis plus d'un an.   


Il existe également la solution de la plateforme fixe, Boeing et Saab proposant par exemple un lanceur GLSDB installé dans un container DRY standard.


Enfin, et pour finir ce tour des industriels français, n'oublions pas la discrète Roxel, qui fournit les systèmes de propulsion d'un impressionnant catalogue des missiles (60% du marché en Europe). Elle, dont le chiffre d'affaires augmente avec la demande, et qui investit fortement ces derniers mois sur la R&T (x3), la modernisation de ses sites en France et en Angleterre, et le recrutement, aura nécessairement un rôle à jouer dans ce futur programme FLP-T.


1 commentaire:

  1. L'acharnement à vouloir développer le MGCS est incompréhensible. On ne refera pas la bataille de Koursk. La guerre en Ukraine montre, s'il en est besoin, que nous avons changé de paradigme. Malheur à ceux qui ne le comprenne pas

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