lundi 16 avril 2018

[Opération Hamilton] Mission accomplie pour les forces armées françaises


Les frappes occidentales attendues pendant une semaine en représailles à l'utilisation d'armes chimiques par le régime syrien sont donc intervenues dans la nuit du 13 au 14 avril. 107 missiles de croisière ont été lancés par les USA, la France et le Royaume-Uni, ciblant des installations syriennes vidées de leurs occupants. L'impact de cette opération demeure limité, même si côté français, on retiendra des faits véritablement marquants.

Ci-dessus: un MdCN (missile de croisière naval) est tiré depuis une frégate de la Marine Nationale croisant en Méditerranée Orientale - Etat Major des Armées


Revenons sur les opérations, brièvement. Dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 avril 2018, la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont frappé des installations du programme chimique du régime de Bachar Al-Assad, en Syrie, suite à l'attaque chimique perpétrée par le gouvernement syrien contre la population de la Ghouta orientale, samedi 7 avril.

Malgré le blocage du Conseil de Sécurité par les vétos russes, trois membres de ce dernier ont, contrairement à 2013, agi après le franchissement de la fameuse ligne rouge, l'utilisation d'armes chimiques. Des armes prohibées par le droit international, il est utile de le rappeler. En l'état il n'y a selon moi aucun doute sur la légitimé de cette action militaire. Le fondement légal lui, existe, mais le blocage de l'institution suprême de la communauté internationale est avant-tout politique.


Les "Alliés" (expression qui fait son retour dans ce climat de nouvelle Guerre Froide) ont donc tiré dans la nuit de vendredi à samedi, aux alentours de 3h du matin, 107 missiles de croisière Tomahawk, mais aussi Stormshadow, SCALP, ou MdCN.
La participation française se chiffre à 12 tirs, 3 depuis l'escadre de la Marine en Méditerranée Orientale, et 9 depuis les Rafale de la force aérienne qui a décollé... de métropole !

Malgré les déclarations du régime syrien, selon lesquelles 70 missiles sur 107 auraient été interceptés, les Etats-Majors occidentaux assurent un résultat frisant les 100% de réussite. A Paris, c'est le Chef d'Etat-Major des Armées, les général Lecointre, qui est venu samedi présenter les résultats de l'action armée française. Selon lui, « l’attitude des moyens russes qui étaient en protection du territoire syrien a été une attitude ni active ni pro-active, de simple observation de ce qui se passait et de protection de leurs moyens ».
Les cibles, dont les personnels avaient été évacués bien à l'avance, étaient des centres de production et de stockage situés dans les banlieues de Damas et Homs. Les images satellites dévoilées par les occidentaux, tout comme la télévision syrienne, montrent des bâtiments aujourd'hui en ruine.

Samedi, les réactions ne se sont pas fait attendre. La Russie s'est offusquée, syriens et iraniens ont été naturellement encore plus sévères. Mais dans la globalité, les USA, la France et le Royaume-Uni ont obtenu un soutien international franc, notamment de la part des Turcs et des Israéliens, acteurs régionaux de premier ordre.


Un impact très limité sur le terrain, mais certaines leçons à tirer

Et alors que certains, y compris en France (et dans la classe politique), désapprouvent ces frappes et agitent le spectre de la guerre thermonucléaire et de la défiance vis à vis d'une Russie fantasmée, voire d'une action contre-productive sur le plan de la lutte contre le terrorisme, il convient de rappeler que cette opération militaire relève plus du symbole et de la démonstration de volonté (plus que de force) que d'une véritable action coercitive. 

Donald Trump (il l'avait déjà fait il y a un an), Emmanuel Macron et Theresa May ont chacun prouvé que contrairement à leur prédécesseur respectif, ils respecteraient eux leur parole, référence à la fameuse "ligne rouge". Le message est ainsi très clair pour Vladimir Poutine, et peut-être pour d'autres, mais encore une fois, il n'y a pas eu de surprise ce week-end, sauf peut-être pour l'opinion publique et les médias.

La Russie ne jouera pas son destin pour la Syrie, preuve en est la non-utilisation de ses si chers missiles intercepteurs S-400. Les grandes puissances se parlent, et disposent de marge de manœuvre ici... ou ailleurs.
Sûrement que la scène vous paraîtra surréaliste, lorsque Vladimir Poutine fera l'éloge de sa nouvelle Russie durant la Coupe du Monde de football en juin prochain. Du hard power au soft power...

L'efficacité "pédagogique" de ces frappes sera probablement à nuancer. Bachar El Assad a quasiment gagné sa guerre civile, et les frappes américaines de 2017 ne l'ont de toute manière pas empêché de nuire à sa population sans discrimination.

Un Mirage 2000 de l'Armée de l'air au ravitaillement, dans la nuit du 13 au 14 avril 2018 - EMA

La France démontre de formidables capacités d'action

Mais posons la loupe sur la dispositif français dans ces frappes. L'Armée de l'air française a mobilisé quatre bases aériennes en métropole (Saint-Dizier pour ses Rafale, Luxeuil pour ses Mirage, Avord pour les avions radars AWACS, et Istres pour les ravitailleurs), et pas moins de 17 aéronefs pour un raid d'une durée de 10h à plus de 3000 km (presque 7000 aller/retour).

Cinq Rafale de la 4ème Escadre de chasse étaient chargés de délivrer le missile de croisière  air-sol SCALP-EG. Neuf de ces missiles ont été tirés, sur dix emportés.
Quatre Mirage 2000-5F du Groupe de Chasse 1/2 « Cigognes » de la 2ème Escadre de chasse, équipés pour la chasse, assuraient eux la protection de la force aérienne.
Aussi, deux avions radar AWACS ont assuré leur traditionnelle mission de C2 (command & control). Mieux encore, ils assuraient la coordination du dispositif tactique interalliés.
Enfin, l'élément sans qui rien ne se passe. Ce sont six avions de ravitaillement en vol C-135 qui ont permis la réalisation de ce raid, avec 5 ravitaillements en vol par chasseur !


Cette capacité à mener un tel raid n'est pas donnée à tout le monde et est l'héritage direct des forces aériennes stratégiques de dissuasion nucléaire. Autant dire que c'est un club très fermé. Une mission aussi longue n'avait pas été menée depuis le lancement de l'opération Serval en janvier 2013, avec une mission record de 9h35 ! Nouveau record donc ?

Mais l'Armée de l'air n'était pas seule. En l'absence de son porte-avions, la Marine Nationale a pu déployer une solide escadre de cinq frégates (trois FREMM, une frégate anti-sous-marine, et une frégate anti-aérienne), et un pétrolier-ravitailleur. On soupçonne fortement la présence d'un sous-marin nucléaire d'attaque également.
Une ou plusieurs FREMM ont ainsi tiré trois missiles de croisière navals (MdCN) pour la première fois. Il s'agit du nouveau missile de croisière de la Marine Nationale, un outil qui manquait aux français par rapport à leurs alliés anglo-saxons. Ce missile équipera aussi la prochaine génération de sous-marin.

Le faible nombre de missiles tirés peut surprendre, mais il faut se rappeler qu'il s'agit du premier emploi de cet armement. Les cyniques diront que le MdCN est désormais Combat Proven.

La totalité du dispositif français démontre la multiplicité de nos moyens, ou la garantie de notre indépendance stratégique. Des moyens satellitaires ont également été mis en oeuvre, avant, pendant, et après l'opération.
On notera, s'agissant de l'indépendance, que nos appareils n'ont pas décollé depuis leur base en Jordanie et aux Emirats, ces Etats ne souhaitant visiblement pas interférer en dehors de la lutte contre le terrorisme. D'où l'importance de pouvoir agir depuis la métropole et les eaux internationales !

En comparaison avec les britanniques (le dispositif américain est lui sans commune mesure, à même de tirer sans difficulté 85 missiles de croisière), la France paraît donc très bien dotée, la Grande Bretagne n'ayant engagé que 4 avions Tornado depuis Chypre, accompagnés de 4 chasseurs Typhoon. La Royal Navy a été globalement absente, et il semble même que leur sous-marin présent sur zone (apte à tirer des Tomahawk) ait été gêné par les russes.
Sur l'aspect coalition, les trois membres occidentaux du CNSU démontrent simplement une fois de plus leur capacité, maintes fois travaillée, à opérer ensemble sur des missions complexes. C'est tout l'intérêt d’entraînements à haute intensité comme TEI.


La mission du 14 avril a t-elle rempli ses objectifs ? Pour répondre à cette question encore faudrait-il les connaitre. Ils étaient plus probablement politiques que militaires. Quoiqu'il en soit, elle aura été minutieusement préparée, limitée, proportionnée. On pourra à ce stade, conclure que tout le monde a su jouer sa partition, avec professionnalisme. Félicitons au moins sur ce point les forces armées françaises, un peu délaissées (ou pire) par la tornade politico-médiatique du week-end.

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