vendredi 26 juillet 2019

La France vise le podium des puissances spatiales


Moins de deux semaines après l'annonce par Emmanuel Macron de la création d'un commandement de l'Espace intégré au sein de l'Armée de l'air, la ministre des Armées Florence Parly a détaillé ce 25 juillet à Lyon les premières mesures qui feront la stratégie spatiale de défense française.

Image: Florence Parly, accompagnée du CEMAA, ce 25 juillet 2019 sur la base base aérienne 942 de Lyon-Mont Verdun - MINARM


Le discours de Florence Parly était très attendu ce 25 juillet. Accompagnée du Chef d'Etat Major de l'Armée de l'air (et bientôt de l'espace), le général Lavigne, la ministre des Armées s'est donc rendue sur le site stratégique qu'est la base aérienne 942 de Lyon-Mont Verdun où elle a dévoilé, devant un par-terre quasiment exclusivement constitué d'aviateurs, les détails de la fameuse nouvelle stratégie spatiale de défense, que le Président de la République avait officiellement annoncé le 13 juillet.

Discours disponible ci-dessous:


La stratégie spatiale de défense se décline donc selon 3 axes:
  1. Création d'un commandement de l'espace
  2. Evolution de l'environnement juridique
  3. Perfectionner nos capacités de défense spatiales

Durant 30 minutes, Florence Parly a donc rappelé les enjeux, stratégiques, géopolitiques... du libre accès à l'espace et de la défense de ces intérêts désormais qualifiés de souverains.

Lire sur le blog: Doctrine spatiale : priorité nationale, enjeu européen



Nous le savions déjà depuis la fête nationale, un Commandement intégré de l'espace, sous la responsabilité de l'Armée de l'air, et rendant compte au Chef d'Etat Major des Armées, sera créé dès la rentrée à Toulouse (un choix que légitime largement la ministre) dès septembre, avec en son sein 220 personnes. Pour commencer. La montée en puissance se fera progressivement, par la suite.

L'idée sera de mettre en oeuvre depuis Toulouse, cité à la "croisée des idées et des innovations", la stratégie spatiale de défense, et par la même de fédérer les différents acteurs publics comme privés, sans oublier bien sûr le centre spatial français, le CNES.
A terme, c'est bien l'ensemble des opérations qui sera géré depuis Toulouse, avec la promesse de l'émergence d'un écosystème bâti autour d'un "Campus spatial", comprenant un "Space lab" consacré à la défense.

A Paris (à confirmer), une "académie" aura la charge de former, de familiariser, de spécialiser les officiers à cette nouvelle doctrine, qui reste encore largement à établir. Si la ministre a réutilisé la formule à la mode dans les forces aériennes, selon laquelle l'espace est le prolongement du ciel, c'est en réalité bien plus que ça... et tant de concepts restent à définir.



Le Ministère des Armées devient son propre opérateur

Vous entendrez moins parler du deuxième axe de présentation évoqué par la ministre dans son discours. Et pourtant, il est fondamental. Il s'agit du droit ! 
Nous l'avions anticipé dans un précédent article sur ce blog, le deuxième volet est donc la transformation juridique: "nos armées sont légalistes", rappelle la Ministre. "La loi doit évoluer, et ce dans le plein respect du droit international, pour intégrer la spécificité des opérations spatiales militaires, comme cela a déjà été fait aux États-Unis ou en Finlande".
C'est ainsi qu'un avant projet de loi sera proposé prochainement dans le but d'aménager la loi de 2008 sur les opérations spatiales (LOS). Cette évolution se fera selon 2 principes: libérer nos armées  afin de leur assurer une marge de manœuvre suffisante pour préserver les intérêts de la nation, et protéger nos capacités.

Cette évolution sera l'occasion de pousser le secteur privé, dans le but notamment de faire émerger le secteur français du new space (exploitation des ressources dans l'espace ?). Légiférer pour assurer la compétitivité des entreprises tout en contrôlant certaines activités stratégiques de ces dernières. Rappel, il n'y a pas plus dual que le secteur du spatial, un satellite pouvant servir à la fois des intérêts civils comme militaires.

Aussi et surtout, la modification de la loi va permettre au Ministère des Armées de devenir son propre opérateur. Florence Parly en a alors profité pour largement remercier le CNES de son travail jusque là.

Enfin sur ce point du droit, la France tient à rappeler qu'elle est contre toute arsenalisation ou course à l'armement. 


Des lasers embarqués comme moyens de défense active

Et justement, afin d'être crédible, et actif plutôt que passif, tout en respectant cet engagement de non militarisation de l'espace, la France compte avoir recours à une stratégie bien connue: la dissuasion.

Face aux menaces, qui peuvent être les débris comme les moyens actifs de nos "adversaires" (Madame Parly cite aussi comme menace la dérégulation que représente le New Space, qui selon elle doit être encadré), la France entend donc disposer d'un réseau de détection renforcé, et dans le cas d'une agression, de moyens "de défense active".


L'actuelle Loi de programmation militaire, qui court jusqu'à 2025, prévoit le renouvellement des grandes capacités spatiales des armées françaises, grâce à un investissement chiffré à 3,6 milliards d'euros. Il faudra faire d'avantage.
C'est pourquoi le nouveau programme nommé "Maîtrise de l'espace" prévoit des moyens de surveillance et défense active supplémentaires. Ainsi, le successeur du radar GRAVES, développé par l'ONERA, devra pouvoir repérer des nano-satellites à 1500 km, tandis que le commandement de l'espace s'appuiera également sur d'avantage de télescopes et trackeurs de satellites, dans le but de maintenir une classification optimales (il y aurait aujourd'hui environ 400 satellites militaires, ou à vocation militaire en orbites). Pour cela, l'Etat s'appuiera sur les service d'Ariane et d'Airbus.

Venons en donc aux grosses annonces avec la mise en place ("en cours") de cameras sur les satellites militaires français, et à horizon 2023 (ce qui est du court terme), le déploiement d'essaims de nano satellites-patrouilleurs ayant pour mission la sécurisation de nos moyens principaux. 
Ces "chiens de gardes", comme leurs grands frères, seraient dotés de laser capable d'éblouir tout intrus susceptible de venir espionner ou perturber les missions. 
Attention, ce laser de puissance embarqué n'aurait pas vocation à détruire un satellite ennemi, la France se refusant de multiplier les déchets dans l'espace, mais plutôt à les neutraliser.

De plus, l'Etat aura également recours dans à des constellations privées, Thalès étant cité comme partenaire potentiel.
Il est même envisagé de placer des objets civils sous protection militaire, si ceux-ci présentent un intérêt stratégique pour la France. On pense ici par exemple aux communications.

Enfin, un démonstrateur de radar de très longue portée est annoncé, pour faire face à la menace croissante des missiles antisatellites, dont l'Inde est la dernière puissance à en avoir démontré la capacité en mars 2019, avec des conséquences non-maîtrisées (débris).

L'Europe n'est pas oubliée, puisque Florence Parly annonce compter sur prioritairement l'Allemagne et l'Italie pour élaborer avec la France une capacité commune de détection et classification. Rendez-vous en novembre sur ce volet coopératif.

L'ensemble de ces mesure devra être mis en oeuvre d'ici 2030.


Une stratégie volontairement évasive, au coût maîtrisé

Avec cette stratégie de défense active, la France se place clairement sur le terrain de la dissuasion. Florence Parly le martèle, cela n'a "rien d'une stratégie offensive", mais relève d'un droit à l' autodéfense.

Et comme pour toute dissuasion, "nous nous réservons le droit et les moyens de riposter", à savoir au moins 3 niveaux de ripostes, allant de la mesure de rétorsion à la contre-mesures, jusqu'à la mise en oeuvre du droit à la légitime défense (à ce stade, le spectre dans la riposte devient volontairement très très large). 

Tout cela aura un coût, supplémentaire, mais globalement maîtrisé si l'on en croît les annonces. Mais effectivement, avec ces solutions, la France fait au moins à court terme des choix innovants, et low cost !
La ministre chiffre l'investissement à 700 millions d'euros supplémentaires sur la LPM, et tout autant sur les deux LPM suivantes. Le budget espace d'une LPM passe donc de 3,6 à 4,3 milliards d'euros. Conséquent pour une puissance de notre rang.


A noter que ces financements proviennent de la LPM en elle-même. Cela ne coûtera donc pas plus cher au contribuable, mais cela n'ira pas non plus dans un autre programme. A moins que d'ici là, les dépenses des OPEX aient fondu... sait-on jamais.

Afin de réduire les coût, le recours aux services de grands industriels, et la mutualisation au niveau européen sont censés permettre de "faire mieux ensemble".


La France 3ème puissance spatiale ?

Alors que penser après la révélation de tous ces éléments (d'ailleurs pas de document officiel publié par le MINARM à cet instant) ?

Nous pourrons regretter l'absence d'un programme d'avion spatial, sur le modèle du X37-B américain, ou l'absence de références aux pseudo-satellites que sont le Stratobus de Thalès ou le Zéphyr d'Airbus, qui peuvent offrir une certaine redondance en cas de perte de nos capacités orbitales... mais ces technologies ne sont il est vrai pas encore opérationnelles ou même matures chez nous, et pourront faire l'objet de débats plus constructifs à moyen terme.

En conclusion de son allocution, la ministre a tenu a rappeler l'importance du lanceur Ariane, notamment sa 6ème itération qui arrivera en 2020, et sur laquelle repose l'essentielle de notre capacité souveraine d'accès à l'espace.


Surtout, parmi les derniers mots de Florence Parly, certains feront date: "3ème puissance spatiale nous y croyons". 

Derrière les Etat-Unis, derrière la Chine, la France, forte de son histoire et de son rôle de leader en Europe, ambitionne donc de se positionner sur la 3ème marche du podium des puissances spatiales, qu'elle dispute à la Russie. L'objectif semble très haut,  volontairement. Il a au moins le grand mérite de fixer un cap des plus stimulants, nous offrant la possibilité de développer une doctrine spatiale singulière, comme ce fut le cas dans d'autres domaines stratégiques.


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