vendredi 14 février 2020

Lancement de la phase de démonstrateur du SCAF


Le parlement allemand, le Bundestag, a validé mercredi 12 février l'allocation de 77,5 millions d'euros au programme de Système de Combat Aérien Futur (SCAF). De ce fait, les gouvernements français et allemand attribuent à Dassault Aviation, Airbus et leurs partenaires, MTU Aero Engines, Safran, MBDA et Thales, le contrat cadre initial (Phase 1A) qui marque le coup d’envoi du lancement des démonstrateurs du SCAF. Objectif 2026.

Illustrations: Dassault Aviation/Airbus DS


Le refrain est désormais connu concernant les avancements du programme SCAF. On date une étape (ici c'était janvier). Cette "deadline", qui n'en est officiellement pas une, est dépassée, provoquant l'émoi général en France. Mais ce 12 février, le Parlement allemand donne enfin son feu vert. 
Ce contrat-cadre de 155 millions d'euros s’étend sur une période de 18 mois et lance le développement des démonstrateurs et des technologies de pointe, avec pour objectif de débuter les essais en vol dès 2026. Cela concerne non-seulement l'avion de combat, pièce principale du SCAF dont Dassault Aviation a la maîtrise d'oeuvre, mais également les drones servant d'effecteurs déportés, les fameux remote carriers.

Dans la foulée mercredi soir, Airbus et Dassault Aviation ont publié un communiqué impliquant toute l'équipe industrielle du SCAF, précisant que ces partenaires  travaillent depuis début 2019 à la future architecture du système dans le cadre de l’Étude de concept commun (JCS-Joint Concept Study). À présent, le programme SCAF franchit une nouvelle étape décisive avec le lancement de la phase des démonstrateurs.
Dans un premier temps, cette phase sera axée sur les principaux défis technologiques dans chacun des domaines :
  • Next Generation Fighter (NGF) avec Dassault Aviation comme maître d’œuvre et Airbus comme partenaire principal, qui sera le principal élément du Système de Combat Aérien Futur,
  • Unmanned systems Remote Carrier (RC) avec Airbus comme maître d’œuvre et MBDA comme partenaire principal,
  • Combat Cloud (CC) avec Airbus comme maître d’œuvre et Thales comme partenaire principal,Engine avec Safran et MTU comme partenaire principal.
Les entreprises concernées développeront conjointement un environnement de simulation visant à garantir la cohérence des différents démonstrateurs.


A ce stade, pas de trace des espagnols, un an après qu'ils aient rejoint le programme. Leur intégration  sera l'enjeu de la prochaine étape. Celle ci verra l’implication de fournisseurs supplémentaires à partir de la Phase 1B, qui sera lancée à l’issue du succès de la Phase 1A.

Les espagnols... et d'autres d'ailleurs, puisque la ministre de la défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, a affirmé le 13 février en conférence de presse espérer que d'autres pays européens rejoindraient bientôt les programmes franco-allemands.













Évoquons enfin le cas des réserves des parlementaires allemands, et du pessimisme latent qui règne dans la presse française au sujet du SCAF.

En effet, si l'accord du Bundestag était planifié pour ce mercredi 12 février, on a vu, avant et après la validation, la quasi intégralité des articles rédigés en français remettre en question la fiabilité du partenaire allemand, évoquant, ici et là, les ambitions industrielles prédatrices de Berlin, ou une culture stratégique largement divergente, et surtout marquée par l'inféodation à... l'OTAN.

Certes les parlementaires allemands ont émis des réserves sur la mainmise du programme par les Français, revendiquant que soient attribuées à des entreprises allemandes un plus grand nombre de technologies clés. 
D'aucuns avancent aussi l'argument que SCAF serait un programme bien plus porteur que MGCS, (le futur char lourd européen, dirigé par l'Allemagne) donnant un poids plus important à la France. Mais ce serait néanmoins sous-estimer l'étendue faramineuse des marchés potentiels du successeur des chars Léopard 2 (on ne comparera pas ici la carrière export du Leclerc face au Léopard).

Remettre en question chaque débat interne aux Allemands sous prétexte même qu'ils existent, semble surtout nous indiquer que l'esprit français est devenu très... vertical, et peu enclin à supporter les subtilités du parlementarisme. Nous serions donc à la merci du Bundestag et de ses débats interminables sur le contrôle des exportations... sur l'attribution des budgets.

Or, c'est justement ce que nous reprochent tous nos partenaires européens: cette volonté française de vouloir décider vite et mieux pour tout le monde, notamment dès qu'il s'agit de défense. Je vous invite à regarder les débats italiens sur la meilleure stratégie à suivre quant au SCAF. Il fut décidé à Rome de suivre - dans un premier temps - Londres dans son projet Tempest plutôt que de suivre le diktat du SCAF dont les grandes décisions ont déjà été prises à Paris.
Autre exemple: à Bruxelles, jouer sur la sensibilité et les "gros sabots" français est même devenu une technique non-dissimulée pour pousser à la surenchère (chose qui se vérifiera sur les budgets spatiaux, la France ne supportant pas d'être passée 2ème financeur depuis la réunion de Séville).

En France, il y a peu - ou pas - de débats sur les questions de défense, qui font l'objet d'un consensus plutôt confortable dans la classe politique comme dans la population. La plupart d'entre nous s'en réjouissent. 

Rien n'interdit de douter de la volonté des Allemands, ces derniers n'ayant il est vrai clairement pas les mêmes objectifs stratégiques que les Français (quoiqu'en matière de puissance aérienne, les intérêts occidentaux se rejoignent). Le récent débat sur une "européanisation" de la dissuasion nucléaire française en est la preuve: Berlin n'en veut pas.
Cependant, SCAF est à l'origine un projet français, porté par la France, vers une dimension européenne. Initialement pressenti pour être franco-britannique, ce sont aujourd'hui les Allemands et les Espagnols qui nous ont rejoints. Il est probable que d'autres nous rejoindront, et nous ne pourrons assumer notre rôle de leader du programme qu'en acceptant et écoutant les inquiétudes, requêtes, questionnements de nos partenaires. Le prochain défi sera d'ailleurs d'intégrer les entreprises espagnoles, Indra en tête.

J'ose donc revendiquer encore le droit d'être optimiste, la coopération industrielle demeurant le moyen à mon sens le plus efficace - et peut-être le seul - de développer de quelconques notions de culture stratégique européenne.
Nous devrions nous inquiéter pour le SCAF s'il existait ne serait-ce qu'une alternative crédible à ce dernier. Ce n'est pas le cas, et dans notre intérêt à tous, nous ne pouvons donc qu'avancer.


3 commentaires:

  1. Vous éludez un peu vite , et avec une grande magnanimité la pugnacité allemande pour prendre la meilleur part à son profit de la "coopération". La lourdeur des débats parlementaires en cause n'est que le reflet de cet objectif premier de nos voisins . Ce projet est bien parti , pour faire court pour ressembler à ce qui à amené à l'Eurofighter , mariage sans arrêt bancal des choix et des prétentions de chaque participant .

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    1. Oui je concède être magnanime ! Mais pas non plus naïf. Je partage les mêmes doutes que tout le monde. Les allemands affirment cette semaine n'avoir pas voulu donner de signal politique contraire aux mains tendues par la France (ce qui est un vrai débat à Berlin: prendre le risque que Paris se lasse). Pour l'instant la volonté politique l'emporte, et ce malgré les réserves
      Et Dassault reste le maître d'oeuvre du chasseur, qui est la clé de voûte du SCAF quoiqu'on en dise. Des "étapes cruciales sont franchies", comme disent les industriels dans leur communiqué de presse...

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    2. Bjr, vous faites une petite erreur, ce n'est pas l'avion la clé de voute ! C'est l'infrastructure qui l'entoure. S'il ne s'agissait que de l'avion, la France n'aurait pas eu besoin de l'Allemagne. Nous n'avons pas les moyens de développer seul cette infrastructure.

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