mercredi 14 juin 2023

On doute du programme F-35 en Belgique... tout en tentant de rejoindre le SCAF


La Belgique a choisi. Le F-35 au détriment du Rafale ? Oui, mais plus encore: la Belgique fait le choix du programme européen SCAF plutôt que du concurrent "Tempest". Dans une sortie médiatique tout à fait officielle, la ministre de la Défense Ludivine Dedonder annonce la volonté belge de rejoindre le SCAF. Un vrai coup de poker qui sera tenté au salon du Bourget la semaine prochaine. 

Photo: la maquette du "Next Generation Fighter" et ses "remote carriers", au Bourget en 2019.


Cela fait trois semaines que le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, a déclaré lors d'une audition au Sénat -qui concernait la Loi de programmation militaire française- qu'il n'était pas favorable à l'élargissement rapide du programme SCAF (système de combat aérien futur) à d'autres membres, citant notamment les pays européens clients du F-35 américain, et encore plus explicitement la Belgique, qui chercherait dans le SCAF des contreparties industrielles.  


Trois semaines donc, et un silence médiatique quasi absolu en France, où la bataille du partage industriel semble désormais derrière. En Belgique cependant, l'intervention d'Eric Trappier a déclenché une véritable tempête politico-médiatique. Autorités comme industriels ont en effet été choqués que la France, par la voix du PDG du principal avionneur militaire du continent, annonce un rejet aussi catégorique de toute hypothétique participation belge au programme SCAF. 

Pour rappel, le SCAF, c'est un programme annoncé en juillet 2017 par la France et l'Allemagne, et associant dès le départ Dassault Aviation et Airbus Defence & Space. Le programme va par la suite s'ouvrir à d'autres industriels (intégrateurs, motoristes..) et surtout à un troisième pays, l'Espagne. Il aura fallu, pendant des mois, des années, négocier à niveau politique, militaire et industriel sur le partage des tâches, pour enfin obtenir une série d'accords qui doit mener à la réalisation d'un démonstrateur pour l'avion de combat de nouvelle génération (horizon 2028/29), dont la maîtrise d'œuvre est confiée à Dassault. Mais le SCAF, c'est bien plus que ça, avec aussi un cloud de combat, des effecteurs déportés, etc... 

Dès le départ le SCAF "continental" s'est retrouvé face à un projet britannique concurrent, le "Tempest" -renommé depuis… FCAS, soit SCAF en anglais- rejoint par l'Italie, et lié récemment au programme d'avion de nouvelle génération japonais. La Belgique a elle, depuis le départ, annoncé qu'elle étudierait sa participation aux deux programmes. Jusqu'à ce jour… où elle annonce donc sa préférence pour le SCAF.


Le SCAF vu comme une véritable bouée économique

On peut en effet lire depuis le 10 juin dans La Libre que le "vrai contrat du siècle" (sic) n'est pas pour la Belgique celui du F-35 mais bien celui du système de combat aérien futur, dit de "6ème génération". Et avec ce programme "SCAF", on parle effectivement du programme franco-allemand-espagnol, Bruxelles semblant juger qu'il y a plus à y gagner sur le plan économique et industriel qu'avec les Britanniques. Un choix murement réfléchi qui explique peut-être les inquiétudes entendues depuis la sortie d'Eric Trappier au Sénat. 

La ministre belge, que l'on attend la semaine prochaine au salon du Bourget, revient justement sur ce passage, se disant "choquée" par les propos du PDG de Dassault Aviation, accusant par la même la France de jouer à contre courant de l'Europe de la Défense. Lunaire. 

En vérité, que peut à ce stade obtenir la Belgique dans le programme SCAF, outre éventuellement une concession politique (pas impossible, l'Elysée fait plutôt dans la mansuétude) qui la mènerait au statut d'observateur du programme ?
La presse belge regorge pourtant d'interviews ces derniers jours, de la part d'industriels nationaux ventant les apports que pourraient fournir leurs entreprises. Cependant, chez nous, les partages industriels ont été faits, dans la douleur, et les acteurs ont été plutôt clairs à ce sujet. Rien ne bougera plus à court ni moyen terme

Restons ici loin des problématiques opérationnelles (le dossier de l'interopérabilité en particulier), car c'est bien en effet sur le plan économique que l'on peut commencer à déterrer la racine du problème. La Belgique, qui recevra ses deux premiers F-35A (sur 34) à la fin de l'année, en retard et pas forcément au standard attendu, attendait des Américains des retombées très importantes pour son industrie aéronautique. Chose que promettait également la France avec la candidature du Rafale. 
Or, depuis, on déchante, et certains patrons n'hésitent pas à parler de "miettes" (les chiffres parlent d'au mieux 700 millions d'euros, quand des milliards étaient espérés), appelant à ne pas se tromper lorsqu'il s'agira d'obtenir une part du prochain gâteau. Et ce prochain gâteau: c'est le SCAF.

Selon la conjoncture actuelle, il est plutôt facile de conclure que le dossier de la victoire du F-35 en Belgique -qui remonte déjà à 2018- va laisser des traces sur le long terme dans les relations franco-belges. Au Bourget, obtenir un statut d'observateur dans le programme SCAF serait en soi une victoire politique significative. Le ticket d'entrée serait de 350 millions d'euros selon la presse flamande. Un chiffre déterminé par la Belgique elle-même.

Dans cette affaire, le problème de fond réside surtout dans le fait que la Belgique n'a pas besoin d'un avion (elle a le F-35 pour 40 ans). Elle a besoin d'emplois. 


>>>MISE À JOUR SAMEDI 17 JUIN<<<
En Belgique, le conseil des ministres a approuvé vendredi 16 juin la demande de candidature du pays au programme SCAF. A Bruxelles on a directement évoqué l'ouverture de négociations entre les industriels nationaux et ceux des trois pays partenaires au SCAF. Cependant, il n'y aura aucune signature au Bourget, pas même pour un statut d'observateur. La France ferait trainer le dossier selon la presse flamande.

>>>MISE À JOUR MARDI 20 JUIN<<<
Le ministère des Armées confirme l'information délivrée en ouverture du salon du Bourget par le Président Macron. La Belgique va se voir accorder le statut d'observateur au sein du programme SCAF. Le PDG de Dassault Aviation se déclare "satisfait" de la forme de cette participation, même s'il avoue douter d'un besoin belge pour un avion avant 40 ans (car elle a le F-35). A suivre donc, pour voir les réactions ici et là… mais la porte s'ouvre donc pour d'autres partenaires. 


Ces pays qui doutent… 

La Belgique n'est pas le seul pays où se concentrent ouvertement des doutes, quand ce ne sont pas des inquiétudes quant aux surcoûts, à la réalité des compensations industrielles, ou même au processus d'acquisition qui touchent le programme F-35. C'est en particulier le cas en Suisse, qui avait opté pour le F-35 au détriment, notamment, du Rafale en juin 2021.

C'est dans ce contexte que la télévision publique propose un excellent documentaire (visible gratuitement ci-dessous) sur les problématiques qui entourent le choix du F-35 en Suisse. Les journalistes y étendent leurs investigations jusqu'en Norvège. 
On notera qu'en conclusion de celui-ci, un intervenant se pose la question de l'absence de réaction des opinions publiques face aux scandales dans le monde des acquisitions d'armement, affaires qui coûtent des milliards aux contribuables de ces démocraties pourtant exemplaires. Il explique peut-être ce phénomène par une confusion générée par la complexité de ces questions… ce qui ici nous conforte dans l'idée qu'il faut encore -et toujours- mieux informer sur les questions de défense, et plus largement, sur les questions stratégiques. 



1 commentaire:

  1. La Belgique s'est faite arnaquer en toute conscience avec le F-35:
    https://twitter.com/PeurAvion/status/1672684292420280323

    C'est le cas de tous les pays européens qui l'ont acheté d'ailleurs.
    Le risque de perdre irrémédiablement les compétences nécessaires à une aéronautique militaire européenne sont réels.

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