mercredi 13 septembre 2017

Le "pont aérien" des Antilles, ou l'heure de vérité pour l'A400M


L'Europe est en émoi après l'ouragan Irma. Constatant les terribles dégâts subis par les Antilles françaises, britanniques et néerlandaises, les secours ont dû s'organiser dans l'urgence, faute d'avoir pu anticiper la puissance de cet ouragan de catégorie 5.  Au cœur du dispositif, l'Airbus A400M.

 Photos: EMA, Royal Air Force, Luftwaffe.


Éludons d'abord l'affaire du "pont aérien" entre la métropole et les Antilles françaises, que le Président Macron a qualifié hier de "plus important depuis la seconde Guerre Mondiale". Oui cela est incomparable, et donc faux (dans le cadre franco-français on retiendra Diên Biên Phu en 1954, mais aussi l'opération Serval en 2013 !). Ceci dit, on gagnerait à perdre moins de temps dans le commentaire de communication politique.

Remettons les choses en place: l'Armée de l'air française assure des rotations depuis samedi grâce à deux A400M Atlas d'une capacité de 37 tonnes chacun, et deux petits CASA pouvant emporter 9 tonnes. On est bien loin de Berlin en 1948 (750 tonnes/jour).

Mais ce n'est pas notre sujet !

"Heure de vérité": mon titre est bien mal choisi, car le transporteur militaire d'Airbus réalise tout simplement ces jours-ci ce pourquoi les armées d'Europe de l'ouest l'ont choisi. L'avion se révèle comme prévu indispensable, à la fois dans les dimensions tactiques, et stratégiques.
Mon titre est mal choisi oui, mais il rappelle que la mission humanitaire est aussi importante en terme de gestion de crise que la mission purement militaire.

Bien sûr, avec 4 ou 5 appareils engagés par la France, le Royaume-Uni, et maintenant l'Allemagne, ces A400M n'assurent qu'une partie de l'aide d'urgence. Il faut y ajouter des navires (d'autres, spécialisés, sont en route), des avions civils réquisitionnés, ou même des transporteurs militaires plus importants comme des C-17 Globemaster britanniques et canadiens (passé par la France pour le canadien) ou des Antonov affrétés. Même l'Airbus présidentiel a servi au transport de médicaments.

Samedi 9 septembre, alors que les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy étaient en plein chaos, et que déjà des critiques fusaient, un premier Atlas de l'Armée de l'air partait d'Orléans avec à son bord un Puma, qui fut aussitôt déployé depuis la Guadeloupe samedi soir.


Ce lundi, un second appareil partait de Toulouse, avec hommes et véhicules. Sur place, ces deux appareils (sur 11, loin d'être disponibles) font la navette entre Guadeloupe, Martinique, et les zones sinistrées.



Comme je le disais, la France n'est pas seule à avoir recours à l'A400M puisque britanniques et allemands, deux forces aériennes européennes qui en sont dotées, et l'ont aussi critiqué, ont jeté l'appareil dans cette bataille contre le temps.

Boris Johnson avec la RAF à La Barbade, où s'organise l'aide britannique pour les Iles Vierges et Anguilla.

Les hollandais ont obtenu l'aide de la Luftwaffe allemande. 16 tonnes de frêt sont partis pour Curaçao via A400M.

Après des années de tumultes, le fruit de l'un des plus grands programmes militaires européens semble remonter la pente de semaines en semaines. L'A400M a connu et connaît encore bien des ennuis (lire ci-dessous), mais le fait est, qu'au final, lorsqu'il est opérationnel, cet avion représente un bon en avant phénoménal sur le plan capacitaire, surtout pour la France et sa doctrine opérationnelle. 
Ayant le potentiel tactique d'un C-130 (largage, atterrissage sur piste sommaire, ou même une plage), tout en étant largement  plus capable, avec un emport presque 2x plus important, il peut aller là où des gros porteurs comme le C-17 ne pourront pas se risquer. Idéal donc, pour de l'entrée en premier sur un théâtre, ou de la projection humanitaire.



On avait vu jusqu'à maintenant l'A400M réaliser de belles choses pour les armées. Par exemple transporter des hélicoptères de combat au Sahel, ravitailler en munitions les bases aériennes du Moyen-Orient pour la lutte contre l'Etat Islamique, ou encore accompagner la Patrouille de France pour une tournée de prestige aux USA début 2017.... puis aussi, au jour le jour, loin des caméras, assurer des missions au profit de toutes les forces françaises en opérations extérieures.

Le voilà maintenant, au centre de l'attention médiatique, pour un déploiement à but humanitaire, venant en aide à des français. Il est en fait, là où on a besoin de lui, et en pleine lumière. Il représente avec les BPC de la Marine, tant pour l'Etat français qu'aux yeux du monde, le cœur de la puissance de projection des forces françaises.

Qu'on se le dise, les difficultés industrielles du programme A400M sont loin d'être réglées, mais la flotte en service montre déjà à quel point elle est précieuse. Le bémol, c'est que les avions sont aujourd'hui livrés au compte-goutte.

Des militaires français au départ de Point-à-Pitre, direction Saint-Martin via A400M - EMA

Un mot enfin sur les critiques ciblant la mauvaise gestion de la crise. Oui, la France a accumulé un retard certain, sans compter que le calendrier a fait qu'un BATRAL (bâtiment de transport léger) de la Marine Nationale basé aux Antilles avait pris sa retraite deux mois plus tôt.
Chez nos voisins de mauvaise fortune, les critiques sont d'ailleurs exactement les mêmes, britanniques ou hollandais reprochent les délais d'action des secours. L'ironie étant que dans chaque pays, on montre en exemple la soit-disant efficacité des voisins...


Cependant, il faut bien se rendre compte de l'ampleur des dégâts, en l’occurrence, du jamais vu. Se rendre compte également que malgré ces délais, les appareils de l'Armée de l'air (et voilures tournantes de l'ALAT) et navires de la Marine sont comme à l'habitude, déployés dans un temps record et grand professionnalisme. 
Vu des yeux d'un sinistré, c'est bien évidemment insuffisant, et les pouvoirs publics vont devoir optimiser le process.

Rien qu'en terme de trou capacitaire, s'agissant des hélicos notamment, on peut prédire que le monde civil sera bien plus intéressé et sévère cette fois (car directement concerné) que lorsque cela se passe loin des yeux, sur les théâtres comme au Sahel.

L'important désormais, c'est le RETEX. Et quand on sait que les statistiques évoquent une multiplication des catastrophes naturelles par 4 en dix ans, on ne peut absolument plus nier que le réchauffement climatique, ou peu importe comment vous nommerez ce phénomène désormais tangible pour nos sociétés, fait partie des menaces auxquelles les Etats devront apprendre à faire face, et ce régulièrement.
Pourquoi donc, ne pas s'entendre au niveau européen (au moins avec les Etats concernés par des possessions ultramarines) sur des exercices communs, et des moyens militaires lourds de gestion de crise pré-positionnés sur différents HUB lors de la saison des ouragans ? Je ne suis pas spécialiste des caraïbes, mais la question a désormais besoin d'être posée.

Avec l'arrivée la semaine prochaine des grands navires BPC Tonnerre (Marine Nationale, parti de Toulon) et HMS Ocean (Royal Navy, depuis Gibraltar), avec leurs hélicoptères, dizaines de véhicules du génie, et centaines de tonnes de frêt, l'aide humanitaire prendra une toute autre mesure aux Antilles. En attendant, il faudra compter sur le fameux pont aérien, et nos A400M.

Débarquement à Saint-Martin -EMA



2 commentaires:

  1. "le calendrier a fait qu'un BATRAL (bâtiment de transport léger) de la Marine Nationale basé aux Antilles avait pris sa retraite deux mois plus tôt."

    Un calendrier, cela se modifie. Surtout juste avant la saison cyclonique et alors que le remplaçant n'est pas livré. Ce navire pouvait bien faire quelques mois de plus.

    Gouverner c'est prévoir, on en revient là.

    Que ce soit en amont ou dès le 03/09, quand les prévisions de trajectoire étaient affinées eu nord avec St Martin en plein milieu du cône d'incertitude et que certains demandaient déjà de prépositionner des moyens à la Guadeloupe qui serait épargnée.

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    1. Pour être plus précis sur ce point: apparemment non, le navire retiré était en bout de course, il aurait même eu du mal à traverser l'Atlantique à ce que j'entends.
      Mais le vrai problème vient du fait que le dernier des bâtiments multi-missions (B2M) de la classe d'Entrecasteaux, le Dumont d'Urville, n'entrera en service aux Antilles (Fort-de-France) qu'à l'été 2018 (les 3 autres ont rejoint ces derniers mois La Réunion, Nouméa, et la Polynésie).

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