vendredi 30 mars 2018

Les recommandations du Rapport Villani sur la défense et la sécurité


Cédric Villani a remis cette semaine son rapport sur la stratégie française en matière d'intelligence artificielle. Une technologie de rupture dont l'un des piliers est le secteur de la défense et de la sécurité. 


C'était l'événement de la semaine dans le monde scientifique, et même stratégique devrait-on dire, tant le domaine de l'Intelligence Artificielle cristallise aujourd'hui déjà les enjeux de la société de demain... la remise du rapport du député La République en marche (LRM) de l’Essonne Cédric Villani, mathématicien lauréat de la prestigieuse médaille Fields.



Le rapport avait été commandé six mois plus tôt par le premier ministre Edouard Philippe dans le but de « dresser une feuille de route sur l’IA », et si l'on lit entre les lignes, de chercher les voies qui pourrait aider la France à devenir un acteur majeur du secteur, alors que les USA et la Chine ont déjà une avance considérable (ne serait ce qu'avec leurs GAFAM et BATX).

Après 420 auditions d’experts de différents domaines, le rapport de 250 pages intitulé "Donner un sens à l'Intelligence Artificielle", et sous-titré "Pour une stratégie nationale et européenne", présente plusieurs conclusions:
  • Favoriser un meilleur accès aux données.
  • Développer la recherche (l’objectif fixé est notamment de tripler le nombre de personnes formées à l’IA d’ici à 2020). 
  • Se concentrer sur certains secteurs où la France est déjà performante: la santé, l’écologie, la défense, les transports... 
  • Une intelligence artificielle éthique (une éthique oui mais pas de naïveté, il n'y a pas d'éthique "mondiale", cela est rappelé), et non exclusive.

Le rapport a été officiellement rendu au Président de la République ce 29 mars, qui présentait lui-même lors du colloque "AI for Humanity" un plan de 1,5 milliard d'euros pour (re)lancer la filière française de l'IA.


Le rapport est A CONSULTER ICI


Mais penchons nous donc sur le focus sectoriel qui clôture ce rapport, page 218, et qui concerne précisément la défense et la sécurité. 

Il est d'emblée rappelé que le domaine de la défense et de la sécurité possède une avance dans le secteur des techniques d'intelligence artificielle, et ce sous de nombreuses formes. Ces technologies prennent cependant un nouvel essor (on parle bien de rupture) et leur usage deviendra une nécessité dans l'exercice de la souveraineté et des compétences régaliennes. 

Le rapport, s'il réunit sous le même prisme défense & sécurité, différencie trois théâtres de conflit qui sont le théâtre extérieur, le théâtre intérieur, et le cyberespace. Mais l'accent est mis sur les passerelles entre les applications. Ainsi une technologie IA (traitement de l'information, analyse d'images, de sons...) serait à même d'être transférée ou adaptée d'une mission à l'autre. Les convergences dans ce milieu sont en tout état de cause jugées possibles.

Deux paragraphes (p219 et 220) retiennent ensuite l'attention, exposant la nécessité d'une alliance public/privé, afin de rester souverain:
On constate en l’occurrence que les caractéristiques et les besoins liés aux missions régaliennes sont souvent méconnus des acteurs du numérique (entrepreneurs ou chercheurs), qui en ignorent les enjeux, les problématiques et les opportunités. Si les ministères concernés jouent un rôle de premier ordre au regard de leurs données et de leurs usages opérationnels, les ressources humaines et financières dont ils disposent sont limitées. Ainsi, la collaboration entre le public et le privé est impérative et nécessite de voir émerger des écosystèmes de qualité. Le domaine est pourtant très mature et extrêmement riche en cas d’usage et données à haute valeur ajoutée pour des usages d’IA : imagerie (notamment satellitaire, drones, hyperspectrale), vidéos, signaux électromagnétiques (radars), systèmes de combat, renseignement, cybersécurité, robotique (aéronautique, marine, terrestre), données de maintenance, etc. 
Toutefois, pour des raisons légitimes de sécurité, de confidentialité et de faisabilité technique, il n’est pas toujours concevable de faire sortir complètement ces données du contrôle de l’État bien que le développement des technologies d’IA repose souvent sur l’alignement d’un triptyque connu : données, algorithmes et connaissances métiers. L’IA au service de la défense et de la sécurité Accompagner l’écosystème dans la prise en main des problématiques du domaine, en particulier au travers de marchés publics relève d’un véritable enjeu de souveraineté afin que, demain, nous ne soyons pas contraints de confier, comme cela a pu l’être par le passé, la réalisation de systèmes d’IA pour des besoins régaliens à des acteurs extra européens (exemple de Palantir). Le seul marché de la défense et de la sécurité n’étant pas toujours suffisamment large pour permettre aux entreprises du domaine de passer à l’échelle, il faudra garder à l’esprit que les technologies développées dans ce domaine ont vocation à être transférées à, ou depuis, des domaines civils connexes en tenant compte des intérêts essentiels de l’État. Les objectifs sont donc d’une part, de permettre à l’écosystème de recherche et d’innovation réunissant industriels de la Défense, communautés de recherche et entrepreneurs de travailler sur le domaine ; et d’autre part s’assurer que les innovations produites sont rapidement intégrées aux systèmes opérationnels.

Aussi, et ce n'est pas étonnant, il est rappelé qu'en matière de sécurité intérieure, le respect des libertés fondamentales sera une ligne rouge, et que le débat politique se devra d'être à la hauteur. Le terme "éthique" revient tout de même près de 95 fois dans le rapport !

Vient ensuite le point sur les applications déterminantes que l'IA apportera en matière de défense et de sécurité, avec tous les aspects du recueil et traitement d'une masse de données toujours plus importante... et les contraintes qui vont avec, comme la sécurité des systèmes, la protection du secret, l'interopérabilité lors d'opérations en coalition (un sujet qui va fortement nous intéresser sur ce blog), ou encore le besoin de fiabilité (humains/humains & humains/machines) et la veille technique des concepteurs et opérateurs.

Et bien sûr... éviter l'itarisation, à savoir la dépendance à la législation ITAR américaine sur les matériels de défense, si handicapante dès que l'on vise l'autonomie stratégique. 

Enfin, et je passe rapidement dessus, il est question de l'environnement dans lequel développer cette filière, au sein d'une logique de "bac à sable" dont l'utilisation permettra de faire support à la recherche, à l’innovation et au déploiement dans les systèmes opérationnels de briques d’IA. La condition sera que "ce développement soit assorti des infrastructures nécessaires à sa mise en œuvre ainsi qu’à une démarche globale d’expérimentation qui implique l’alimentation en jeux de données, cas d’usage et campagnes d’évaluation. Ce mode d’expérimentation souple nécessite de constituer un bac à sable afin de fluidifier la possibilité de développer et de tester des produits opérationnels."
Un partage des données (sensibles on le comprend) entre acteurs publics et privés, et des procédures administratives simplifiées, faciliteront le travail de la communauté. La passerelle avec les opérationnels sera déterminante dans la conception de systèmes. C'est l'exemple du "Defense Lab" déjà mis en oeuvre par le Ministère des armées.

Ici encore, une vraie maîtrise du Big Data sera la base sans laquelle rien ne sera véritablement possible.

Afin d'assurer une bonne gouvernance, les Ministères des armées et de l'intérieur devront veiller à assurer un travail de terrain au contact de leurs ressources humaines, notamment dans le but d'assurer la transformation de nombreux métiers. 
De plus, "de même que l’IA apporte une rupture technologique avec l’existant, elle impose de reconsidérer un héritage historique réglementaire et organisationnel qui pourrait freiner son développement artificiellement."


On notera que sur cette partie du document consacrée à l'IA souveraine, il n'est pas fait mention de l'Europe, alors que celle-ci imbibe véritablement l'ensemble du rapport. 
Logique quand on évoque par exemple les travaux lancés récemment par Dassault et Thalès sur notre système de combat aérien (pour imager: on verra à moyen terme, des bribes d'IA dans les Rafale), mais qu'en sera t-il si nous nous lançons dans un SCAF européen ?


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