vendredi 27 mars 2020

COVID-19: Premier bilan et conséquences dans la Défense


La pandémie mondiale résultant du COVID-19 a - et aura - de lourdes répercussions sur les sociétés. Et probablement sur la géopolitique mondiale. S'il est encore bien trop tôt pour en évaluer les conséquences, nous pouvons néanmoins rendre compte de l'impact actuel de l'épidémie sur les affaires stratégiques.

Ci-dessus: le porte-avions Charles De Gaulle est actuellement en exercice international au large du Danemark - Marine Nationale


Soyons concis, et tentons de faire une photographie de la situation ce 27 mars.


Opération Résilience

Sur le Territoire National, où les militaires appuient le personnel de santé avec divers moyens modernes, la ministre des Armées a précisé que les forces étaient sujettes aux mêmes règles de confinement que les autres citoyens, et ce d'autant plus qu'elles ont des missions d’intérêt public à mener. Environ 400 personnels sont d'ailleurs contaminés, et mis en quarantaine.

L'Opération Résilience a été lancée mercredi par Emmanuel Macron, après proposition de la ministre des Armées et du CEMA. Elle se concrétise par les moyens qui avaient déjà été engagés jusque là (Hôpital de campagne, transport aérien de malades, emploi du PHA Tonnerre pour des liaisons avec la Corse), ainsi que par une montée en puissance des moyens militaires: deux autres portes hélicoptères prennent la direction de l'Océan Indien et des Antilles, l'Armée de l'air intensifie ses vols, et la logistique se met au service du soutien au personnel soignant, avec par exemple la livraison de masques.

Ce vendredi, l'A330 MRTT de l'Armée de l'air a de nouveau convoyé 6 patients de Mulhouse vers le CHU de Bordeaux.

De façon générale, c'est un nombre très important de services des armées qui évolue en appui des personnels médicaux. Cela concerne des milliers de militaires.


Un vrai impact sur les conflits

Sur le terrain, les missions principales subsistent, certains théâtres n'étant que pas, peu, ou pas encore touchés par la pandémie, mais des programmes sont mis en pause, comme la formation des troupes irakiennes par les membres de la coalition. Plusieurs pays ont rapatrié leur petit contingent d'Irak. La France a annoncé le rapatriement de ses 200 personnels mercredi soir.

Le groupe aéronaval poursuit ses exercices au large du Danemark, mais une partie du programme est annulée.
A ce propos, tout semble bien se passer pour la Marine, mais deux portes-avions américains dans le Pacifique sont en quarantaine, des marins étant contaminés à bord. Une vraie problématique.

Les opérations de combat elle, continuent bien évidemment. C'est le cas sur Chammal (où les sorties de Rafale sont devenues de plus en plus rares), et surtout Barkhane où en revanche, des opérations importantes sont en cours. Le Sahel... où Boko Haram a frappé durement ces derniers jours au Niger et au Tchad.

L'épidémie aura t'elle raison des OPEX ? Difficile à dire à ce stade, mais il est certain que les - derniers - Etats occidentaux qui mènent encore des opérations à l'étranger (France y compris donc) risquent d'être tentés de recentrer leur politique de défense sur la garantie de leur souveraineté, en particulier dans ce "monde d'après" qui s'avère bien incertain et où des tensions entre pays pourraient apparaître.

La question financière sera également posée avec la crise qui s'annonce.

Une première victime pourrait être la Task Force Takuba au Sahel, qui doit rassembler des forces spéciales européennes, mission à laquelle la Norvège a finalement renoncé cette semaine, pour des raisons de politique intérieure certes, mais on l'imagine déjà grandement influencées pour le nouveau contexte.

Une information significative enfin: la pandémie a déjà une conséquence directe sur l'ensemble les conflits en cours. Plusieurs cessez-le-feu ont été conclus après un appel de l'ONU.


Des conséquences durables pour l'industrie ?

Dans l'industrie de l'armement, on s'adapte, secteur d'importance stratégique oblige. Ariane Group a ralenti la cadence, mais continue son travail vital pour la doctrine nationale de dissuasion nucléaire.
Les avionneurs ont eux réduit la voilure, et tablent encore sur une reprise en avril.
Airbus a reçu des garanties de la part de Bercy... mais comment imaginer que le secteur commercial pourra se relever d'une telle chute d'activité (on prédit une chute de 30% en France, soit 65 millions de passagers) ? D'autant plus que les formidables perspectives concernant le trafic aérien dans les prochaines années semblent toutes remises en cause.

Dassault souffre encore du crash des business jet après la crise boursière de 2008. Cette fois-ci, c'est Airbus qui est en danger.

Aux USA, Boeing, déjà en difficulté, doit stopper la production de ses usines de Seattle. Même le programme F-35 (Lockheed Martin) est interrompu ! Le Pentagone prévoit 2 000 milliards de dollars de soutien à son industrie de la défense.

Le secteur de la maintenance semble aujourd'hui être le premier à souffrir, dans tous les domaines. Safran, dont 26 sites sont à l'arrêt dans le monde, annonce une perte de 35% sur cette activité au premier trimestre, tandis que même l'entretien des sous-marins nucléaires d'attaque est en "pause" à Toulon.

Dans l'événementiel, c'est une hécatombe. Le plus grand salon de l'armement terrestre, Eurosatory (qui devait se tenir en juin à Paris) a été annulé ce mercredi. Et dans l'aéronautique, c'est Farnborough  (le "Bourget" britannique) qui n'y échappe pas. Ceci sans compter la multitude de petits événements qui ne verront pas le jour en régions. Une fois encore, rappelons que les premières victimes de la crise seront les PME.
Les salons de l'automne (en France EuroNaval, ou ADS Show) ne sont, pour le moment, pas menacés, et prendront par conséquent une tout autre importance pour les exposants.

A Kourou, l'activité est suspendue pour préserver la santé du personnel. Mais la plupart des sites de lancement dans le monde continuent à tirer. 

Devant ces perspectives bien sombres, mais pas insurmontables (dans l'indifférence générale, Berlin a par exemple fait avancer le programme de char lourd européen), peut-il y avoir des gagnants ?
On l'a vu, en plein cœur de la crise, des solutions émergent, et concernent principalement le secteur du numérique (il faut s'attendre à une large percée dans le domaine du recueil de données sanitaires) en ces heures où l’infrastructure réseaux est poussée dans ses retranchements...
Plus marginalement, il y a les drones. Plusieurs entreprises françaises dans le drone ou la robotique ont déjà proposé des solutions pour aider les pouvoirs publics, comme Shark Robotics, avec un robot désinfectant. 
L'AID (Agence pour l'Innovation de Défense) a elle lancé un grand appel à projets de solutions innovantes pour lutter contre le COVID-19. Celui-ci est doté d'un budget de 10 millions d'euros.


Vous le devinez à la lecture de toutes ces informations: nous sommes encore dans la réaction, l'adaptation, le combat. Il faudra des mois pour évaluer précisément l'impact d'une crise sanitaire mondiale qui s’inscrit d'ores et déjà dans l'Histoire. Car de celle-ci pourrait découler une véritable refondation des relations internationales, de l'économie, de notre organisation industrielle... voire même d'un modèle sociétal tout entier. 


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