mercredi 5 juillet 2023

Ariane 5 nous laisse seuls face à la crise... avant l'espoir ?

Ce soir, mercredi 5 juillet 2023, se déroule le dernier lancement pour Ariane 5. Le 117ème. La mission est non seulement historique, mais tout à fait stratégique puisqu'il s'agit de placer sur orbite deux satellites, dont Syracuse 4B, satellite de communication militaire des forces armées françaises. L'occasion de rappeler qu'Ariane 5, c'est une formidable épopée. Mais l'occasion également de constater que le mythique lanceur européen laisse derrière lui un grand vide. 

Ci-dessus: la dernière Ariane 5 sur son pas de tir le 5 juillet 2023 - Centre Spatial Guyanais.


A l'heure où j'écris ces lignes, le lancement n'a pas encore eu lieu au CSG de Kourou (ce sera très probablement mercredi en Guyane, mais jeudi à l'heure de Paris). Il ne fait pourtant guère de doute que la DGA, le Commandement de l'espace et l'ensemble des forces armées pourront très bientôt compter sur les services du satellite Syracuse 4B, l'un des maillons essentiels du renouvellement des capacités spatiales de défense françaises. Car en effet, avec plus de 95% de taux de réussite en 23 ans, ce 117ème vol du lanceur lourd européen devrait se passer de façon optimale. 

La fiabilité du lanceur Ariane 5 a longtemps, très longtemps, été l'un des arguments phares qui l'ont aidé à se hisser tout en haut d'un marché qu'elle a dominé durant quasiment 20 ans, à une époque où la Russie et l'Amérique n'innovaient plus, et où la Chine n'affichait pas encore ses ambitions. 

Aujourd'hui, c'est SpaceX qui présente désormais le meilleur taux de réussite avec sa Falcon 9, qui n'a pas connu d'échec depuis 2016 et plus de 200 vols. Une Falcon 9 dont les cadences s'accélèrent. Elle était tirée tous les 6 jours en moyenne en 2022, on devrait être sous la barre des 4 jours en 2023.  


La crise de lanceurs européens

Bien des superlatifs peuvent accompagner ces au revoir à Ariane 5, mais comme un symbole, ce porte-étendard de l'accès indépendant à l'espace des Européens laisse ces derniers orphelins. Car Ariane 6 n'est pas prête, et la petite Vega-C inquiète. Il est fort probable qu'aucune des deux ne vole en 2023. Voilà l'Europe est sans lanceur. 

Au salon du Bourget (19-25 juin 2023), on pouvait découvrir sur le superbe pavillon du CNES toutes les réussites de l'Agence spatiale française, réalisées avec l'Europe ou d'autres pays comme le Japon, la Chine… On pouvait suivre des tables rondes sur la durabilité, divers projets scientifiques, sur Ariane 6 ou le Centre Spatial Guyanais... voir et écouter des astronautes ou futur.e.s astronautes. En tendant l'oreille on pouvait cependant entendre des inquiétudes, ainsi qu'un joli couac de communication:    


Le Directeur du CNES tentera de rétropédaler dans la journée (CNES, ESA, ArianeGroup et Arianespace communiquent sur Ariane 6, c'est trop !), et l'on parle aujourd'hui d'une estimation officielle qui sera donnée à la rentrée pour le premier vol d'Ariane 6, mais le petit monde du spatial l'a compris: ça sera 2024.  

On ne refera pas l'histoire: le programme Ariane 6 a été voté à la fin de l'année 2014, en pleine panique, et aura dû se dérouler sous de lourdes contraintes industrielles, économiques, et même sanitaires ! Pendant ce temps, SpaceX s'appropriait le marché, faisant même sauter le verrou psychologique à l'ESA et à l'UE, qui sont désormais clientes du groupe d'Elon Musk. 

Le monde du spatial a radicalement changé depuis une dizaine d'années. L'Europe était leader sur les segments des lanceurs et des satellites. Elle court désormais derrière l'Amérique et la Chine (marché fermé en ce qui la concerne). 

Lire sur le blog - Spatial européen: des projets, pas de stratégie


Au delà de l'ambition politique, la vérité est surtout que l'on ne lutte pas avec les mêmes armes que SpaceX et plus globalement, que le New Space anglo-saxon. Il nous manque en Europe, et les budgets, et les marges de manœuvre qui vont avec. 


Un nouvel espoir ? 

Pas de panique ! Ariane 6 volera, sera performante, et son carnet de commande est déjà bien rempli. Elle ouvrira surtout la voie à une série d'évolutions qui remettra l'Europe en selle, sera le fer de lance du renouveau. En tout cas ici on y croit. 

Mais attention cependant, car au salon du Bourget comme aux Assises du New Space (5&6 juillet), commence à poindre une autre forme d'inquiétude, qui concerne cette fois les start-up du "new space" français. En effet, ces dernières sont désormais nombreuses (une grosse soixantaine), et quelques unes -que nous ne citerons pas, pas de jaloux !- se démarquent très clairement dans ce qui ressemble à un peloton de tête. Autrement dit: levées de fonds de séries A et B, embauches massives, médiatisation… et génération de revenus pour une minorité d'entres elles.

Toute la problématique réside dorénavant dans le fait qu'il ne suffit pas de se féliciter de ce dynamisme, pour finalement lâcher ces entreprises dans une mortelle compétition avec le reste de l'Europe où les ambitions prédatrices vis à vis de la France ne sont même plus dissimulées. Par exemple, l'Allemagne (mais nous pourrions citer les Britanniques, les Italiens..) a des projets et pousse donc, bien que maladroitement, ses jeunes entreprises en ce sens. En France, notre new space, qui doit déjà déployer quantité d'énergie pour obtenir des financements suffisants à son développement, implore aujourd'hui les décideurs politiques d'utiliser le levier fondamental, mais trop souvent oublié, qui a fait le new space américain: la commande publique.    

Si dans le secteur civil, la démarche semble très (trop ?) complexe au vu de certaines lourdeurs structurelles, ici, on parie déjà qu'une majeure partie des gagnants se trouvera du côté de ceux qui ont su aborder le marché militaire, voire sécuritaire.. et maritime notamment. Nous sommes très très loin en France des budgets alloués aux USA par le Pentagone, mais néanmoins, les ambitions sont là, et c'est une chance, un avantage concurrentiel pour nos entreprises. Cela concernera nécessairement et prioritairement le secteur satellitaire -tous domaines confondus, de l'opérateur à l'exploitation de données- mais aussi celui des lanceurs, puisqu'une composante "lancement réactif" pourrait voir le jour à moyen terme, et possiblement concerner le monde des micro-lanceurs


Ariane 5 s'en va, et avec elle, l'ancien monde. On sait déjà au moins une chose sur le nouveau monde: il faudra se battre pour s'y faire une place. 


4 commentaires:

  1. En cette péroide de décadence européenne ( que je commenterais pas) , je salue le patron de ce blog de ne pas tomber dans " le french bashshing "
    Et vive l'Aérospatiale française .

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  2. SYRACUSE IV B est en piste pour son orbite:
    https://www.opex360.com/2023/07/06/le-satellite-militaire-de-telecommunications-syracuse-4b-a-ete-lance-avec-succes-lors-de-lultime-vol-dariane-5/

    Pas de SYRACUSE IV C donc comme annoncé par la LPM 2024-2023.

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  3. L’Allemagne souhaite développer en mer du Nord sa propre base spatiale en Suède et ses propres lanceurs.

    Tournant le dos à la fusée Ariane après avoir bénéficié de sa technologie.
    Le ministre de l’Economie Robert Habeck , travaille actuellement sur la stratégie spatiale du gouvernement fédéral.

    Le SPD va de l’avant – avec son propre plan . Le document de cinq pages s’intitule « Le rôle de l’Allemagne dans l’espace – Souverain ».
    Un site de lancement et d’atterrissage séparé pour les fusées – en mer du Nord .
    L’Allemagne a besoin « d’un accès indépendant à l’espace » et donc « de ses propres capacités et sites de lancement, ainsi que de ses propres lanceurs et satellites »..

    https://www.bild.de/politik/inland/politik-inland/all-oder-knall-die-brisanten-raketen-plaene-der-spd-fuer-die-nordsee-83685960.bild.html

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  4. Il faut croiser les doigts pour la réussite d'Ariane 6 le 9 juillet 2024 et pas que pour la mise en orbite de CSO-3:
    https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/on-vous-dit-pourquoi-le-premier-vol-d-ariane-6-est-un-veritable-enjeu-pour-la-souverainete-de-la-france-dans-l-espace-2982059.html

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