vendredi 14 juillet 2017

L'avion de combat européen unique est-il possible ?


Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel ont annoncé jeudi 13 juillet leur volonté commune de lancer un programme d'avion de chasse commun. Une annonce surprise qui pose plusieurs questions sur la faisabilité d'un tel projet, pourtant si stratégique.

Ci-dessus Rafale et Typhoon côte à côte durant l'exercice franco/britannique Griffin Strike en 2016 - Photo Royal Air Force


A l’issue d’un Conseil des ministres franco-allemand très porté sur la défense, Paris et Berlin ont annoncé leur volonté de « développer un système de combat aérien européen » en commun afin de « remplacer leurs flottes actuelles d’avions de combat à long terme. » 
Une feuille de route est attendue pour mi-2018.
De plus, d'autres projets sont évoqués, comme les drones européens, l'évolution de l'hélicoptère Tigre, ou un missile Air/Sol.

Je vous laisse lire le très riche et engagé communiqué de presse publié par l'Elysée après ce conseil des ministres bilatéral: SUIVRE CE LIEN

Très bien, le futur de l'aviation européenne est donc en marche. Qui plus est avec les deux grandes puissances de l'Union Européenne. Cependant, le moins que l'on puisse dire, c'est que la route sera longue... et ce au regard de plusieurs éléments.


L'échec Eurofighter

Le 7 juillet, l'Autriche annonçait via son ministre de la Défense Hans Peter Doskozil qu'elle abandonnait le programme Eurofighter. En 2020, Elle retirera ses chasseurs Typhoon du service actif, trop chers à entretenir. Ils n'auront été en service que durant 13 petites années. Un véritable séisme qui nous rappelle les difficultés européennes à réaliser de grands programmes d'armement.

Problèmes capacitaires, surcoût à l'entretien, soupçons de fraudes de la part d'Airbus... l'affaire autrichienne est un véritable coup dur pour le programme Eurofighter.
Pour rappel (très brièvement), le Typhoon est né dans les années 80 d'une divergence européenne. Alors que les grands états évoquaient un avion commun pour le futur du continent, déjà, des différends stratégiques amenèrent la France à se lancer seule dans l'aventure du Rafale de Dassault Aviation, tandis que le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne se réunissait au sein du consortium Eurofigher, derrière Airbus et BAE (dans les grandes lignes). 

Durant un temps, le chasseur Typhoon, un intercepteur biréacteur, semblait même en position de force. Avec des commandes de l'Autriche, du sultanat d'Oman, du Koweït et de l'Arabie saoudite, la cible atteignait les 600 exemplaires. Le Rafale français lui, ne trouvait guère d'acquéreurs à l'export, et devenait même cible de critiques faciles en son pays.

La réalité des opérations contemporaines a semble t-il changé la donne. Le Rafale, conçu comme polyvalent (omnirôle est le terme précis employé), évolutif, et navalisé, remplit aujourd'hui toutes ses missions au sein de forces françaises, il est vrai engagées comme rarement sur les théâtres extérieurs. Cet argument du "combat proven" joue désormais pour lui à l'export, où les contrats sont enfin tombés en 2015 et 2016, avec de belles perspectives dans les années à venir.
En comparaison, et outre ses problèmes récurrents en matière de MCO, le Typhoon européen pêche par son manque de polyvalence. Il n'est pas présent sur les théâtres actuels, et a par exemple eu besoin du guidage laser des vénérables Tornado pour que la Royal Air Force britannique puisse - enfin - lui faire larguer ses premières bombes Paveway en Libye en 2011. A cela s'ajoute des problèmes récurrents de gouvernance au sein du programme Eurofighter, ou chaque pays joue sa partition dans les négociations de vente.

Bref... la vie commerciale du Typhoon s'est peut-être éteinte avec le fiasco autrichien. L'Autriche pourrait d'ailleurs combler ce trou capacitaire des années 2020 (et en attendant le lancement d'un programme d'avenir) en prenant des avions en leasing, ces derniers probablement américains bien sûr, F-16 ou F-18. Ce qui nous pose la question de la prédominance aéronautique des USA en Europe.


Le F-35 chez lui en Europe

Le JSF F-35 est-il déjà en terrain conquis en Europe ? Il semble que oui. Déjà choisi par la Norvège, le Danemark, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Italie... il pourrait encore s'imposer en Pologne (et autres pays d'Europe de l'est), Espagne, voire Belgique ou même Allemagne, qui vient de se faire présenter l'appareil.
Outre sa tendance à siphonner les comptes des pays ayant participé au programme, le chasseur furtif américain, qui montre pour l'instant de sérieuses limites techniques, présente un risque du point de vue français par l'environnement de combat qu'il génère. Régnant bientôt en maître au sein de l'OTAN, son système de liaison ultra moderne - faisant office de C2 - pourrait par exemple laisser notre armée de l'air sur le palier du "club F-35" lors d'un exercice, ou pire, d'une opération.

Le premier F-35 sorti de sa ligne d'assemblage... italienne ! Le JSF est bien implanté dans l'industrie européenne.

Mais le F-35 a comme défaut impardonnable son manque criant de polyvalence, reconnu par l'US Air Force elle-même, pour qui l'avion est trop vulnérable en milieu permissif, et nécessite donc une escorte d'intercepteurs de métier.
Fatalement, un pays ne peut donc pas miser seulement sur le F-35. En Allemagne ou au Royaume-Uni, on table donc sur l'emploi de deux avions: pour vulgariser, un bombardier monoréacteur comme le F-35, et un intercepteur bi-réacteur comme actuellement le Typhoon dans ces deux armées.

Le F-35 commence à peine sa vie opérationnelle, et il est là pour longtemps, c'est un fait. Il faudra faire avec.
Mais justement, le F-35 existe, et l'avion de combat européen n'est pas attendu avant 2040. Il faut donc voir plus loin que cette 5ème génération d'appareils, et penser dès aujourd'hui la sixième génération.


Penser à long terme

Qu'on ne s'y trompe pas, les Rafale, Typhoon (et Gripen) voleront encore quelques décennies, probablement jusqu'en 2050 pour les acquéreurs les plus récents.
Cependant, les grandes nations européennes sont bien conscientes qu'il est l'heure de penser au futur et  relancer de grands programmes innovants. Celui d'un avion de chasse en fait naturellement partie.

Sur ce point, la 5ème génération d'appareils, aujourd'hui représentée par le JSF F-35 américain, est une étape qui sera semble-t-il sautée par les industriels en Europe. Seuls les russes et chinois (voire éventuellement des projets sud-coréens ou turcs) suivent les américains sur cette voie.
Non, il faut plutôt regarder du côté de la "6ème génération" d'appareils pour trouver les bribes de ce que pourrait être l'avion européen de demain. Un chasseur conçu pour le combat de haute intensité en milieu très permissif. Furtif donc, volant haut et loin, intégrant des systèmes de liaisons de données haute performance. Une IA et un fort degré d'autonomie leur seront nécessaires afin de traiter ces masses de "data" et décharger le pilote de certaines tâches. Imaginons les aussi équipés d'armes à énergie dirigée, comme des lasers offensifs capables de neutraliser un missile ou un drone. 
Tout cela reste encore à cerner et définir, mais aux USA, les géants comme Lockheed Martin ou Boeing sont déjà au travail.


Concept de chasseur de 6ème génération chez Airbus Group

Le projet allemand que la France semble avoir rejoint hier n'est pas sorti de nulle part. Airbus avait annoncé son intention de développer un avion de combat européen de nouvelle génération. Le programme en question est le FCAS (Future Combat Air System) allemand, un système qui intégrera des drones, des avions de combat, des satellites et des avions de commandement et de contrôle (C2) de nouvelle génération. Le tout sera "uni" grâce à un très haut niveau de liaison de données. Ce système remplacera en Allemagne à la fois l'Eurofighter Typhoon et le Tornado. L'Espagne se serait jointe au projet, et Airbus aimerait pouvoir compter sur la France.

Lire sur le blog: Airbus veut un chasseur européen, et en appelle à la France


Or, français et britanniques ont déjà posé la première pierre de leur FCAS avec le traité de Lancaster House en 2010.


Quid du FCAS franco-britannique ?

FCAS: un drone de combat en vol avec le Rafale - Vue d'artiste, Master Films.

Le programme franco-britannique FCAS en est aujourd'hui au stade de l'étude de faisabilité ("Phase 0"). Les deux pays se sont lancés dans un investissement de deux milliards d'euros pour développer ce drone de combat furtif.
Fin 2017, une nouvelle phase du programme débutera ("Phase 1"), et verra les nombreux acteurs du programme entamer la phase préliminaire de conception et de développement qui devrait durer entre trois et quatre ans.
Ce drone, qui sera normalement opérationnel d'ici 2030 et côtoiera donc le Rafale ou le Typhoon, sera la première pierre d'un système de combat aérien plus large qui intégrera au final un nouvel avion de combat de sixième génération, dont les maîtres d'oeuvre seraient Dassault Aviation et BAE.

Via les drones, les industriels européens expérimentent la furtivité et les systèmes de liaison de données, ou encore l'intégration dans un milieu particulier, comme un groupe aéronaval, ce que la France a réalisé à l'été 2016 avec le démonstrateur Neuron. Vous l'aurez donc compris, avant même l'intérêt tactique ou stratégique, ce travail permet à des groupes comme Dassault Aviation d'apprendre et d’expérimenter sur ce que sera le système arien du futur.

Deux démonstrateurs de drone sont prévus pour 2025. Et pour le moment, le FCAS version Airbus ne précise rien sur un drone de combat. Tout cela n'est qu'à l'état de concept.
S'il fallait aujourd'hui miser sur un programme donc, la solution franco-britannique serait la plus sérieuse. Brexit ou pas brexit, Europe de la défense intégrée ou non. Cela tout simplement car les deux pays ont une volonté et une culture opérationnelle très forte (et de très haut niveau, cf l'exercice Trilateral avec les USA), que le projet est financé à ce stade, et que le cahier des charges apparaît comme suffisamment clair.

Oui mais... La France a bel et bien annoncé qu'elle se lançait dans le projet allemand. Ce point devra très vite être clarifié, auprès des britanniques notamment. L'idéal, vous pensez bien, ce serait bien sûr que ces trois grandes puissances s'allient ensemble, le reste de l'Europe prenant ensuite le train en marche.
A ce jour, cela relève de l'utopie.


L'obstacle ultime et presque infranchissable, définir une stratégique commune

D'un vrai projet politique dépendra le sort du système de combat aérien européen de demain. Sur le plan industriel, il y aura des perdants. Quel maître d'oeuvre ? Airbus et Dassault jouent ils chez nous avec les mêmes cartes ? L'avionneur européen joue celle du FCAS allemand avec appel du pied à la France (accompagné de menaces post-brexit), quand Dassault avait misé sur le FCAS lancé avec les britanniques.

Comme d'habitude donc, et c'est bien entendu à regretter, rien n'est clair. Comment mettre, de plus, tout le monde d'accord sur un avion type ? La France aura par exemple besoin à l'horizon 2040 d'un appareil, probablement biréacteur, capable d'apporter le feu nucléaire en territoire ennemi. Un récent rapport sénatorial met d'ailleurs l'accent sur le fait que des ruptures technologiques pourront influer à moyen terme sur notre dissuasion. La renforcer, ou la compromettre.
Autre exemple, la Marine Nationale et la Royal Navy utilisent des portes-avions, mais nous catapultons les appareils (système CATOBAR) quand les anglais ont opté pour des ponts STOBAR (Short Take-Off But Arrested Recovery) adaptés au décollage vertical du F-35B.
En Allemagne, pas de porte-avions. Et des Tornado qui quittent le service dès 2025.

Trouver la bonne formule demandera de profonds travaux entre alliés, et du temps.

Passé ces considérations tactiques, en espérant ne pas se retrouver avec une quinzaine de versions de l'appareil comme pour le NH90, il faudra savoir quoi faire de cet avion. Une question difficile, car encore faudrait-il connaitre la doctrine qui animera la politique étrangère des pays européens dans 30 ans. On peut néanmoins espérer que de nombreuses choses auront été clarifiées, tant la situation actuelle du monde rappelle à l'Europe qu'elle doit avant tout compter sur... son unité.

L'autre soucis que pourrait causer la conception d'un programme européen, c'est bien évidemment une mauvaise organisation industrielle et... commerciale.
On connait par exemple les difficultés du programme A400M, formidable projet miné par des défauts d'industrialisation. Qui automatiquement se traduisent en divergences économiques ou politiques.

Le Gripen E, lors de son premier vol le 15 juin 2017 - Photo Saab

Autre exemple marquant: le Gripen du suédois Saab, dont la dernière version, le Gripen E, vient de réaliser son premier vol en juin, a été retiré par son constructeur de l'appel d'offres paru en Belgique s'agissant de l'avion qui remplacera les F-16 de la force aérienne belge en 2023.
Motif: le partenariat souhaité par le gouvernement belge exigerait de la Suède "une politique étrangère et un mandat politique suédois qui n'existent pas aujourd'hui (...) Dès lors, la Suède et FMV (la DGA locale) ont décidé de ne pas soumettre de réponse à l'appel d'offres lancé par la Belgique".

Traduction: la politique étrangère suédoise, très restrictive en matière de vente d'armes, empêche l'avion d'être vendu à la Belgique (un pays pourtant tout à fait démocratique), qui on le comprend, semble demander des garanties de souveraineté quant à l'emploi de l'appareil. Une requête tout à fait légitime en l’occurrence.
Comment alors ne pas imaginer toutes les problématiques qui pourraient intervenir durant les différentes phases de soutien à l'export d'un appareil européen. L'Allemagne, on le sait, n'a pas la même politique en la matière que la France. La même question se posera pour les blindés franco-allemand du futur qui naîtront de la fusion Nexter/KMW.


Conclusion: derrière ces effets d'annonce, ces projets "FCAS" posent donc aujourd'hui tant de questions que le programme d'avion de combat européen de demain relève véritablement du défi. Un immense défi même, qu'il s'agira de relever, tant la conception d'un tel appareil est de toute manière inimaginable en solitaire.


3 commentaires:

  1. Si Dassault avait le pouvoir de financement des US, L'avion de 6ème génération serait déjà presque au point et ça ne serait pas un boulet comme le F-35... Quel gâchis pour la France

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je voulais aussi dire que cet article est très clair et bien construit, bravo !

      Supprimer
    2. Je vous remercie ! Un papier compliqué je vous l'avoue, qui mériterait tant de développements. Airbus veut cet avion, Dassault le veut, BAE également. Espérons qu'on y verra plus clair dans un an

      Supprimer