vendredi 22 septembre 2017

"Laws of War", le jeu vidéo qui sensibilise au droit des conflits armés


Si l'on parle de guerre et de jeu vidéo, ce n'est pas mentir qu'affirmer que ce dernier est souvent cantonné à son rôle de défouloir en haute définition. Pourtant, les exceptions se multiplient ces dernières années, et la dernière en date, Arma III "Laws of War" vous propose une expérience de la guerre radicalement différente.

Illustrations: captures et images promotionnelles du jeu Arma III Laws of War - Bohémia Interactive.


Nous avons déjà traité sur ce blog de l'importance du média vidéo-ludique  en terme de soft power, notamment avec une série traitant des rapports à la guerre (Histoire, Stratégie, Morale). La puissance de ce marché dont le chiffre d'affaires a largement dépassé celui du cinéma amène à conclure qu'il ne peut plus être marginalisé. Plus qu'un loisir d'adolescent, il s'agit bien là - attention, utilisation d'un néologisme - d'un "influenceur", tout comme l'ensemble des métiers du numérique.

Sur le blog: Quand un jeu vidéo expérimente le désarmement nucléaire total


Le jeu vidéo est déjà depuis de nombreuses années un bel instrument de communication, une chose que l'armée américaine, entre autres, a bien compris. Mais on a pu constater plus récemment la prise en compte de valeurs humanistes, non seulement en terme scénaristique, mais directement dans le game-design des jeux. On pensera ici à Ubisoft Montpellier avec "Soldats Inconnus" qui vous plaçait au centre des horreurs de la Grande Guerre, ou encore au superbe "This War of Mine", où vous incarnez un groupe de civils tentant tant bien que mal (surtout mal) de survivre au milieu d'une ville assiégée, inspirée de Sarajevo.

L'IDAP, l'ONG présente dans le jeu, est fortement inspirée du CICR

L'exercice est aujourd’hui réitéré grâce au partenariat entre le studio tchèque Bohémia Interactive et le Comité International de la Croix Rouge.
Sorti en 2013, "Arma III" s'impose comme la principale simulation militaire sur le marché du jeu vidéo. Mais si le fonds de commerce du jeu de Bohemia Interactive est le conflit armé de haute intensité, son dernier contenu additionnel (ou dans le jargon, "DLC"), "Arma III Laws of War" (les lois de la guerre), en prend le contre-pied total.
En effet, vous voici dans la peau d'un démineur, ancien marines américain, appartenant maintenant à l'International Development & Aid Project (IDAP), une ONG spécialisée dans l'urgence humanitaire en temps de guerre, ou ici en l’occurrence, dans le post-conflit.


Direction la Méditerranée Orientale

Le théâtre très bucolique de la campagne 

Nous sommes en 2035, un an après le traité de paix de Jérusalem, qui a mis fin à la guerre sur l'île d'Altis, un république de Méditerranéen orientale. C'est parti donc pour quelques heures sous le soleil de la garrigue, dans la peau de Nathan MacDade, démineur de l'IDAP.
Sous le soleil, c'est vite dit, car tout est fait pour vous mettre dans une ambiance assez froide, afin de mieux conter les horreurs de la guerre.

Et des personnages, vous allez en réalité en incarner plusieurs, le scénario étant construit autour d'une discussion avec une journaliste, et de flashbacks qui vont tenter de reconstituer toute une séries d'événements meurtriers ayant touché un petit village, qui fut un an plus tôt le dernier bastion des insurgés.

Ce même village va connaître l'horreur de la guerre civile.

Le cadre même de la campagne solo est celui d'un CANI, ou conflit armé non-international, afin de coller au mieux à notre cadre géopolitique actuel. Le jeu original mettait en scène un coup d'Etat militaire dans une île fortement divisée de Méditerranée Orientale, tiraillée entre l'influence de l'OTAN, et de la puissance dominante du Moyen-Orient (dans ce monde, en 2030, la Turquie s'est effondrée et l'Iran domine le Proche et Moyen-Orient).

Une guerre civile éclate, avec diverses ingérences américaines et iraniennes, qui rendent la situation particulièrement tendue. A ma connaissance, aucun jeu vidéo n'avait su avant Arma 3 faire écho à la complexité des interventions modernes.

L'initiative de Bohémia Interactive est rendue possible par les innombrables subtilités permises par le moteur du jeu et l'éditeur de scénarios.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la société réalise un grosse partie de son chiffre d'affaires grâce à la version professionnelle de son simulateur, utilisée par de nombreuses forces militaires, notamment par l'Armée de Terre française.

La possibilité d'inclure dans un exercice de simulation, par exemple des ROE (règles opérationnelles d'engagement), qui ne peuvent à notre époque se concevoir sans prendre en compte le droit international, représente une belle plus-value au sein d'un outil de formation... ou même pour des joueurs qui désireraient respecter le réalisme d'une opération militaire contemporaine dans une expérience "role play".

Un tuto est même proposé, résumant les grandes règles du droit des conflits armés.

Bien évidemment, tout cette complexité et le message que veulent faire passer les développeurs se ressentent dans le gameplay. Vous allez en désamorcer des mines ! Ici, peu de fusillades hollywoodiennes à la Call of Duty, hormis dans des cas très précis que nous allons détailler.

Vous êtes ici pour détecter, et déminer le village d'Oreakastro qui fut le cœur d'une bataille intense entre loyalistes et insurgés. L'endroit est en effet truffé de mines et sous-munitions non-explosées, qu'il vous faudra désamorcer.
Si bien des aspects sont présentés, celui des mines et sous-munitions est le plus mis en avant. Le jeu se charge de vous rappeler à plusieurs reprises qu'il subsiste 110 millions d'unités actives dans le monde, qui font chaque année près de 5000 blessés ou tués.

Le village d'Oreokastro fut le théâtre d'affrontements sanglants.

Un an après la fin du conflit, les forces américaines sont présentes sur l'île d'Altis.

A la guerre, rien n'est pas blanc ou noir

Comme on ne pouvait décemment vous mettre au milieu d'un simulateur de déminage, les ressorts du scénario vont vous faire revivre chaque étape qui a mené à la tragédie du village, aujourd'hui en ruine et abandonné par ses habitants.

Sans révéler l'intrigue, vous aurez l'occasion d'expérimenter le largage d'aide humanitaire, la vie d'un mouvement insurgé, des opérations spéciales (JTAC), ou encore une retraite désespérée face à l'intervention finale (et tardive) de la communauté internationale.

Et tout est fait pour que chaque camp ne soit ni tout blanc, ni tout noir. Qui des forces spéciales américaines ou iraniennes a commandé cette frappe aérienne dévastatrice ?
L'utilisation par les loyalistes d'armes interdites contre les forces d'intervention de l'OTAN est-elle justifiée par la légitime défense ?
Les insurgés ont-ils eu raison de recourir à des procédés non-conventionnels, de se cacher au milieu de la population, d'utiliser les moyens matériels d'une ONG ?

Les insurgés emploient des drones piégés. Tout comme Daesh aujourd'hui.

De surcroît, certaines mécaniques de gameplay vont vous mettre devant des situations quasi-impossibles à trancher. Un exemple: une mission vous met dans la peau d'un civil au milieu des combats entre insurgés et loyalistes. Votre réflexe de joueur va naturellement vous pousser à vous saisir d'un arme. PAUSE: le jeu vous indique alors qu'au regard du droit, vous êtes désormais susceptible d'être considéré comme un insurgé. Vous êtes désormais une cible pour les loyalistes, mais rien ne vous obligeait à prendre part au combat.

Ce type de subtilités donne à l'aventure une certaine saveur. On ne se contente pas de courir vers le combat. On s'interroge.

Si le DLC ne brille pas par sa durée de vie, les 10 euros investis en valent tout de même largement la peine.
D'une part, parce que la moitié des bénéfices effectués par Bohemia Interactive sur les ventes du DLC sera reversée au Comité International de la Croix-Rouge (CICR). D'autre part, car on peut imaginer que cet effort de sensibilisation, ainsi que l'expérience émotionnelle ressentie dans la campagne, motiveront la très dynamique communauté de moddeurs qui fait la force d'Arma III, à poursuivre l'expérience à travers des scénarios encore plus poussés. En ce sens, l'extension rajoute à l'éditeur de mission du jeu original de nombreux contenus tels que des services de secours, des journalistes, divers drones d'assistance, de déminage...

On notera cependant qu'un gros aspect de ce que pourrait être un conflit armé en 2030 est occulté, celui des SALA (systèmes d'armes létaux autonomes), les fameux robots tueurs. Un comble quand on sait que le jeu de base contient déjà une bonne douzaines de drones de combats aériens ou terrestres ! A creuser donc.


Arma III Laws of War se présente donc comme une initiative extrêmement intéressante de promotion intelligente du droit international humanitaire. Le jeu ouvre la porte à des perspectives étonnantes. Les retours critiques des joueurs depuis la sortie du DLC début septembre démontrent de plus un réel succès d'estime, qui semble susciter leur intérêt pour ces questions. La mission est donc accomplie !

Le jeu vous demande régulièrement de faire des choix. Ici, qui jugerez vous responsable des exactions ? L'OTAN, l'Iran, les loyalistes, les insurgés... ou tout le monde.

De vos choix dépendra le contenu de l'article délivré à la fin de la campagne.


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