lundi 28 août 2023

Les ALSR "VADOR" avec les Reaper à Cognac, avant l'IndoPacifique ?


L'arrivée sur la base aérienne 709 de Cognac des deux Avions légers de surveillance et de renseignement VADOR permet la réactivation de l’escadron 4/33 « Périgord », 78 ans après sa mise en sommeil ! Cognac se renforce comme pôle majeur du renseignement français d'origine aérienne, d'autant plus que le Vador comme le drone Reaper pourraient jouer un rôle en zone Indopacifique à relativement court terme. 

Images: armée de l'Air et de l'Espace.


Le programme "ALSR" (Avions légers de surveillance et de renseignement) est un dossier qui n'aura pas connu un développement des plus harmonieux. Commandé à initialement deux, puis deux +1 exemplaires, les premiers appareils ont été livrés en 2020 à Evreux, où ils étaient basés au sein de l'escadron 1/54 « Dunkerque ».
Ces petits avions discrets, des Beechcraft 350, transformés par les industriels Thalès et Sabena pour les missions de renseignement -et donc désormais bardés de capteurs IMINT & ROEM- ont ensuite pris le nom de code « VADOR » : Vecteur aéroporté de désignation, d’observation et de reconnaissance.

Tout ne s'est pas exactement passé comme prévu cependant, avec en 2021 la constatation que les performances du système, et notamment de sa boule optronique FLIR Systems, ne donnaient pas les résultats attendus, et ce notamment en comparaison de ceux obtenus grâce aux sociétés privées avec lequel le ministère avait l'habitude de collaborer jusque là dans ce domaine. Résultat: une mise en service opérationnelle retardée pour les Vador, qui attendent toujours leur nouvelle boule optronique fournie par Safran cette fois-ci (une EUROFLIR 410D). 

Aussi, signalons que si un 3ème appareil arrivera bien dans les forces en 2026, la Loi de programmation militaire 2024-2030 a fait l'impasse sur l'achat des 5 autres avions un temps prévus (la flotte Vador aurait donc été de 8). Une conséquence directe des mésaventures du programme, l'opérateur final préférant visiblement avoir directement recours à des services externalisés, et menaçant même de reléguer l'ALSR à des missions de formation…
Pour ce qui est des autres appareils de renseignement aérien attendu, le programme des Falcon Archange (sur base 8X) semble avoir pris du retard puisque les 3 appareils ne sont plus attendus qu'en 2028, 2029 et 2030. Ils viendront remplacer les 2 Transall C-160G « Gabriel » retirés du service au printemps 2022. En attendant, la solution intérimaire viendra là encore du secteur privé, avec la location chez CAE Aviation d'un Saab 340 équipé pour le renseignement. 


Cognac centre névralgique de la mission renseignement en temps réel de l’armée de l’Air

Voilà donc nos 2 Vador, puis bientôt 3, à Cognac où ils ont été accueillis le 21 août. Ce mouvement est la concrétisation d'une volonté ancienne de concentrer les appareils légers de surveillance sur la BA 709. L'implantation devient ainsi, selon l'armée de l'Air et de l'Espace, « un pôle ‘renseignement’ en temps réel, favorisant ainsi la synergie et le partage d’expérience avec les équipages de drone Reaper de la 33ème ESRA » (escadre de surveillance, de reconnaissance et d'attaque).

Pour l'occasion, l’escadron 4/33 « Périgord », mis en sommeil depuis 1945 (!) est réactivé, et côtoiera donc sur place le « Belfort » et ses drones Reaper. Il aura pour mission de « recueillir, intercepter, analyser et fusionner des informations multi-capteurs afin d’éclairer les décideurs du niveau tactique au niveau stratégique », nous dit le communiqué de l'armée de l'Air.


Des drones Reaper en zone IndoPacifique ?

Et maintenant ? Quelles missions pour le Périgord, le Belfort, et la 33ème ESRA ? On sait déjà que les Vador peuvent aller renifler du côté du flanc est de l'Europe, et de la Mer Noire, mais un théâtre encore plus éloigné pourrait leur être confié.
Et il ne s'agit pas de l'Afrique… d'autant plus que la base de Niamey au Niger, où sont basés les drones Reaper au Sahel, n'est pas promise à un grand avenir si l'on en croît les récentes évolutions politique et géopolitiques dans cette région. 

Dans un riche entretien mené par le journaliste Jean-Marc Tanguy auprès du Chef d'Etat-Major de l'armée de l'Air et de l'Espace,  et publié par Air&Cosmos le 14 août dernier, le général Stéphane Mille a indiqué sa volonté de voir le déploiement d'ALSR, et pourquoi pas de drones Reaper, sur le théâtre IndoPacifique, et cela dès 2025 ! 
On le sait, la zone, qui s'étend côté français de Mayotte jusqu'en Polynésie, manque de moyens à même de renforcer la crédibilité de nos forces armées, et par la même de toute notre diplomatie/stratégie pour la région. La mise à disposition rapide de moyens Air -plus légers qu'un plot chasse pas forcément utile dans l'immédiat- pourrait en effet tenter les décideurs politiques.

Lire sur le blog: La France, puissance européenne dans l'IndoPacifique ?


L'idée serait donc selon le CEMAAE de disposer à l'Outre-Mer de vecteurs de renseignement pour « orienter le travail de la Marine Nationale », elle qui attend avec impatience de nouveaux moyens (POM, Falcon Albatros...). Des propos assez mal reçus au sein de l'écosystème marin. La Marine qui se verrait bien, d'ailleurs, plutôt recevoir ses propres drones MALE, mieux adaptés à l'environnement maritime (ce qui n'est pas forcément le cas du MQ-9 Reaper, adepte du temps sec, par rapport à ses évolutions plus récentes). Joute d'influence en vue entre Etats-Majors ? 


vendredi 4 août 2023

La France, puissance européenne dans l'IndoPacifique ?


Le déploiement PEGASE 2023 de l'armée de l'Air et de l'Espace vient de s'achever avec le retour des derniers avions en métropole ce vendredi 3 août. Une projection historique d'une vingtaine d'appareils de la Nouvelle Calédonie jusqu'en Corée du Sud. Dans le même temps, le Président de la République faisait une visite remarquée dans les Etats Insulaires.

Images: © Forces françaises, américaines, coréennes, japonaises.


Alors que la politique sahélienne -et pour ne pas dire tout simplement la politique africaine- de la France semble s'effondrer comme une suite de dominos avec la crise actuelle au Niger, et cela dans le désintérêt le plus complet de la part des Français et de la majorité de leur classe politique, ce mois de juillet était, comme presque tous les étés désormais, animé par un remarquable déploiement de l'armée de l'Air en zone indopacifique.

Ainsi, le 25 juin, une force de 19 appareils quittait la France pour l'Asie et l'Océanie, en transitant par les Emirats Arabes Unis (photo ci-dessous) : 10 Rafale, 5 MRTT Phénix, 4 A40MM Atlas.
Ce déploiement de "l’équivalent d’une base aérienne projetée" (mais tout de même en dessous de l'objectif initial de 20 Rafale et 10 ravitailleurs) à plus de 11 000 kilomètres de la France n'est réalisé qu'en seulement 30 heures.


Il s'agit de la 4ème projection de ce type depuis 2018 (3ème Pegase + Heiphara-Wakea en 2021), mais l'édition 2023 est de loin la plus ambitieuse. En un peu plus d'un mois -et pendant que la marine indienne confirmait le choix du Rafale pour son aéronavale- la mission PEGASE se déployait tour à tour, au gré de la division de ses forces, en Malaisie et à Singapour, puis en Nouvelle Calédonie et sur la très stratégique île de Guam (USA), pour enfin pousser jusqu'en Corée du Sud (images ci-dessous) et au Japon (image en Une de l'article). 



Des passages, souvent inédits, voire absolument inédits pour le Rafale, qui ont permis de réaliser des vols et exercices conjoints avec les forces aériennes des puissances régionales d'Extrême-Orient, la plupart du temps équipées d'appareils américains comme le F-16 ou le F-15, le F-18 ou le F-35 (une seule exception avec les SU-30 malaisiens).
Le passage remarquable et remarqué sur la base aérienne d'Andersen à Guam -où les Canadiens nous ont d'ailleurs endommagé un A400M !- a également confirmé la proximité de l'armée de l'Air avec l'US Air Force, et indirectement appuyé la politique américaine dans la région. Des Américains qui n'ont pas manqué de s'afficher avec leurs alliés canadiens, australiens, japonais, britanniques et donc français (deux puissances européennes donc) réunis pour une de leurs fameuses "elephant walk".


A noter également que l'A400M a permis des liaisons entre la Nouvelle Calédonie et la Polynésie Française, ou encore qu'un MRTT a convoyé à Hawaï des militaires du Rima-P pour un exercice avec l'US Army et les Marines.


La France, puissance de l'Indo-Pacifique ? Une qualification contestable


Mais venons en donc à une question plus politique, puisque ce mois de juillet a également été marqué par un déplacement du Président Macron en Nouvelle Calédonie, au Vanuatu, ainsi qu'en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Dès son arrivée, il profitait d'ailleurs de la présence à Nouméa d'éléments de la mission Pégase, à savoir 2 Rafale, un A400M et un MRTT, pour rappeler dans un tweet le rôle de la France comme "puissance de l'Indo-Pacifique". Une affirmation très largement contestée par les spécialistes de la région, ici comme là bas

La notion de puissance de l'IndoPacifique mérite d'être clarifiée: la France en est effectivement une, de par l'existence même de ses territoires, et la taille très importante de ses ZEE en mer. Elle l'est également en raison du nombre assez considérable de ses ressortissants (plusieurs millions) qui résident dans cet espace géographique.
Sur le plan militaire en revanche, cela est nettement plus contestable en effet. Ces projections à la fois récentes et ponctuelles servent à prouver que la France a les moyens de protéger ses intérêts. Elles permettent aussi de nouer des partenariats, renforcer l'interopérabilité quand elle existe, éventuellement favoriser l'export… et de se montrer. L'armée de l'Air et de l'Espace vient ainsi appuyer la présence -un peu- plus récurrente de la Marine Nationale.

La modernité d'un Rafale ou d'un MRTT venu de métropole tranche en revanche avec l'âge parfois canonique des équipements dont sont encore dotées les forces de souveraineté, de la Réunion à Tahiti.


Soyons clair, sans grave escalade des tensions dans la région (Taïwan), la France n'augmentera pas fondamentalement son format, qui s'y articulerait très probablement autour des bases de nos partenaires, en premier lieu américains (rappel des missions Heiphara-Wakea en 2021). 
La LPM prévoit cependant que les moyens permanents y seront en revanche largement modernisés avec l'arrivée massive du blindé Serval, la rénovation d'infrastructures, le renouvellement des Falcon de surveillance maritime (accompagnés de drones ?), une couverture satellitaire de plus en plus optimisée, et en point d'orgue dans les années 2030, le programme de corvettes pour la Marine, qui mènera au remplacement des frégates Floréal.

Mais en fin de compte, les choses progressent aussi lorsque la France prend des initiatives politiques (puissance d'initiatives plutôt que "puissance d'équilibres" ?), comme le montre ci-dessous cette infographie publiée par l'ambassadeur français au Vanuatu, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. 



En ce sens, la visite du Président auprès d'Etats insulaires particulièrement convoités par les puissances, Chine en tête, est tout aussi, voire plus importante sur le plan stratégique qu'un affichage auprès des grandes forces armées de la zone. C'est possiblement dans ce cadre précis que la collaboration avec les petits Etats pourrait bénéficier d'une meilleure structuration des forces militaires françaises dans la région, dans le but de renforcer notre influence tout en limitant celle de nos compétiteurs.


mercredi 2 août 2023

Une base de la Sécurité Civile à Libourne. Les Canadair à Mont-de-Marsan ?

En visite à Libourne ce mercredi 2 août, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé que la commune avait été sélectionnée pour accueillir la quatrième base nationale de la Sécurité Civile. Un renfort visant à se préparer face à la multiplication des catastrophes naturelles, en premier lieu les feux de forêt. Pour le volet purement aérien, une implantation à Mont-de-Marsan est à l'étude. 

Ci-dessus: des personnels d'une UIISC en intervention - photo ministère des Armées. 


Nous évoquions tout récemment, ces derniers jours et semaines, ICI et surtout ICI, la production d'un avion bombardier d'eau français à Bordeaux, et voici qu'un nouveau sujet "sécurité civile" nous est offert au cœur de cet été. 
Venu inaugurer une nouvelle gendarmerie à Libourne (33) ce 2 août, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a confirmé l'information révélée la veille dans une interview pour le journal Sud-Ouest: c'est à Libourne que s'implantera la Sécurité Civile en zone sud-ouest.

Limoges, Angoulême, Agen, Pau, Mont-de-Marsan… et donc Libourne. Les agglomérations candidates ne manquaient pas pour accueillir le projet d'implantation de la Sécurité Civile dans le sud-ouest. Et c'est la sous-préfecture girondine* (à 25 km de Bordeaux) qui l'emporte dans un contexte ou l'Aquitaine, après les méga-feux de l'été 2022, réclamait d'urgence de nouveaux moyens. 

Ce projet vient -enfin- donner un avenir à la superbe caserne Lamarque du XVIIème siècle (classée Monument historique), qui abritait notamment, jusqu'en 2009, l’École des sous-officiers de la gendarmerie. Les bâtiments, à rénover, abriteront dès la fin de l'année 2024 les presque 600 militaires de cette nouvelle et quatrième Unité d’instruction et d’intervention de la Sécurité civile (UIISC). Des sapeur-pompiers militaires de la Sécurité Civile (armée de Terre en réalité) qui viendront pour la plupart dans le libournais avec leur famille.

La décision est ainsi qualifiée d'historique pour la ville. Le montant de l'investissement de la part de l'Etat est chiffré à 318 millions d'euros (lire l'interview de Gerald Darmanin dans Sud Ouest).


Cette "UIISC 4", dont la création pour 2024 a été annoncée l'année dernière par le Président Macron, sera en fait constituée de sapeurs pompiers du Génie de l’armée de Terre mis à la disposition du ministère de l’Intérieur, au sein de la Direction générale de la Sécurité civile et de la gestion de crises. Les missions concerneront bien sûr les incendies, mais aussi les autres catastrophes naturelles, ainsi que la "réalisation d'importants travaux de génie civil". 

La caserne Lamarque, à Libourne (33).

Si à Libourne, le Maire Philippe Buisson comme le Député Florent Boudié -proches de la majorité présidentielle- se félicitent évidemment de cette victoire, il nous faut noter les réactions particulièrement véhémentes face à cette annonce des différents élus qui portaient les projets à Agen (47) ou Mont-de-Marsan (40). 
Mais Libourne l'a emporté, selon le ministre, grâce à l'addition de plusieurs arguments, comme ses diverses infrastructures, le site en lui-même, mais aussi la présence d'une gare TGV, d'axes routiers importants, et la proximité évidente avec Bordeaux et son aéroport international. La mobilisation d'urgence à l'étranger est en effet une des missions des UISSC. 

Ceci dit, concernant la préfecture des Landes, tout n'est pas vraiment perdu… 


Quelle base aérienne pour la Sécurité Civile en Nouvelle Aquitaine ?

Le ministre Darmanin l'annonce, l'étude pour l'implantation d'une base aérienne (tous les Canadair, Dash, Tracker... sont concentrés à Nîmes) sur Mont-de-Marsan est en cours, et contact a été noué avec l'anciennement ministre, aujourd'hui Députée des Landes, Geneviève Darrieussecq. 

Jusqu'à ce jour, lors des périodes de grand risque, les avions d'eau de type Canadair essentiellement étaient pré-positionnés sur l'aéroport de Bordeaux-Mérignac. 

L'Aquitaine réclame sa base, et ses avions. Il s'agit donc de rapidement définir où implanter celle-ci. Mont-de-Marsan est une solution qui sera étudiée de près par Gérald Darmanin dès la fin du mois d'août lors d'une visite. Bordeaux et ses ateliers de maintenance, ou même Cazaux, sont d'autres pistes possibles. 


*petite victoire également pour l'auteur de ce blog, qui est libournais de naissance ;)