Le déploiement PEGASE 2023 de l'armée de l'Air et de l'Espace vient de
s'achever avec le retour des derniers avions en métropole ce vendredi 3 août.
Une projection historique d'une vingtaine d'appareils de la Nouvelle
Calédonie jusqu'en Corée du Sud. Dans le même temps, le Président de la
République faisait une visite remarquée dans les Etats Insulaires.
Images: © Forces françaises, américaines, coréennes, japonaises.
Alors que la politique sahélienne -et pour ne pas dire tout simplement la
politique africaine- de la France semble s'effondrer comme une suite de
dominos avec la crise actuelle au Niger, et cela dans le désintérêt le plus
complet de la part des Français et de la majorité de leur classe politique, ce
mois de juillet était, comme presque tous les étés désormais, animé par un
remarquable déploiement de l'armée de l'Air en zone indopacifique.
Ainsi, le 25 juin, une force de 19 appareils quittait la France pour l'Asie et l'Océanie, en transitant par les Emirats Arabes Unis (photo ci-dessous) :
10 Rafale, 5 MRTT Phénix, 4 A40MM Atlas.
Ce déploiement de
"l’équivalent d’une base aérienne projetée" (mais tout de même en
dessous de l'objectif initial de 20 Rafale et 10 ravitailleurs) à plus de 11
000 kilomètres de la France n'est réalisé qu'en seulement 30 heures.
Il s'agit de la 4ème projection de ce type depuis 2018 (3ème Pegase + Heiphara-Wakea en 2021), mais l'édition
2023 est de loin la plus ambitieuse. En un peu plus d'un mois
-et pendant que la marine indienne confirmait le choix du Rafale pour son
aéronavale-
la mission PEGASE se déployait tour à tour, au gré de la division de ses
forces, en Malaisie et à Singapour, puis en Nouvelle Calédonie et sur la très
stratégique île de Guam (USA), pour enfin pousser jusqu'en Corée du Sud
(images ci-dessous) et au Japon (image en Une de l'article).
Des passages, souvent inédits, voire absolument inédits pour le Rafale, qui
ont permis de réaliser des vols et exercices conjoints avec les forces
aériennes des puissances régionales d'Extrême-Orient, la plupart du temps
équipées d'appareils américains comme le F-16 ou le F-15, le F-18 ou le F-35
(une seule exception avec les SU-30 malaisiens).
Le passage remarquable et remarqué sur la base aérienne d'Andersen à Guam -où
les Canadiens nous ont d'ailleurs endommagé un A400M !- a également confirmé
la proximité de l'armée de l'Air avec l'US Air Force, et indirectement appuyé
la politique américaine dans la région. Des Américains qui n'ont pas manqué de
s'afficher avec leurs alliés canadiens, australiens, japonais, britanniques et
donc français (deux puissances européennes donc) réunis pour une de leurs
fameuses "elephant walk".
A noter également que l'A400M a permis des liaisons entre la Nouvelle
Calédonie et la Polynésie Française, ou encore qu'un MRTT a convoyé à Hawaï
des militaires du Rima-P pour un exercice avec l'US Army et les Marines.
La France, puissance de l'Indo-Pacifique ? Une qualification contestable
Mais venons en donc à une question plus politique, puisque ce mois de juillet a également été marqué par un déplacement du Président Macron en Nouvelle Calédonie, au Vanuatu, ainsi qu'en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Dès son arrivée, il profitait d'ailleurs de la présence à Nouméa d'éléments de la mission Pégase, à savoir 2 Rafale, un A400M et un MRTT, pour rappeler dans un tweet le rôle de la France comme "puissance de l'Indo-Pacifique". Une affirmation très largement contestée par les spécialistes de la région, ici comme là bas…
La notion de puissance de l'IndoPacifique mérite d'être clarifiée: la France en est effectivement une, de par l'existence même de ses territoires, et la taille très importante de ses ZEE en mer. Elle l'est également en raison du nombre assez considérable de ses ressortissants (plusieurs millions) qui résident dans cet espace géographique.
Sur le plan militaire en revanche, cela est nettement plus contestable en effet. Ces projections à la fois récentes et ponctuelles servent à prouver que la France a les moyens de protéger ses intérêts. Elles permettent aussi de nouer des partenariats, renforcer l'interopérabilité quand elle existe, éventuellement favoriser l'export… et de se montrer. L'armée de l'Air et de l'Espace vient ainsi appuyer la présence -un peu- plus récurrente de la Marine Nationale.
La modernité d'un Rafale ou d'un MRTT venu de métropole tranche en revanche avec l'âge parfois canonique des équipements dont sont encore dotées les forces de souveraineté, de la Réunion à Tahiti.
Soyons clair, sans grave escalade des tensions dans la région (Taïwan), la France n'augmentera pas fondamentalement son format, qui s'y articulerait très probablement autour des bases de nos partenaires, en premier lieu américains (
rappel des missions Heiphara-Wakea en 2021).
La LPM prévoit cependant que les moyens permanents y seront en revanche largement modernisés avec l'arrivée massive du blindé Serval, la rénovation d'infrastructures, le renouvellement des Falcon de surveillance maritime (accompagnés de drones ?), une couverture satellitaire de plus en plus optimisée, et en point d'orgue dans les années 2030, le programme de corvettes pour la Marine, qui mènera au remplacement des frégates Floréal.
Mais en fin de compte, les choses progressent aussi lorsque la France prend des initiatives politiques (puissance d'initiatives plutôt que "puissance d'équilibres" ?), comme le montre ci-dessous cette infographie publiée par l'ambassadeur français au Vanuatu, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer.
En ce sens, la visite du Président auprès d'Etats insulaires particulièrement convoités par les puissances, Chine en tête, est tout aussi, voire plus importante sur le plan stratégique qu'un affichage auprès des grandes forces armées de la zone. C'est possiblement dans ce cadre précis que la collaboration avec les petits Etats pourrait bénéficier d'une meilleure structuration des forces militaires françaises dans la région, dans le but de renforcer notre influence tout en limitant celle de nos compétiteurs.