lundi 28 février 2022

L'Eurodrone en retard d'une guerre ?


L'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne ont enfin signé le contrat de 7,1 milliards d'euros pour le développement du futur drone MALE européen, avec Airbus pour maître d'œuvre. Mais dans un contexte stratégique totalement bouleversé, la nouvelle n'est franchement pas accueillie dans la liesse. 


Cela fait 7 ans que le projet de drone européen a été dévoilé. 7 ans Déjà. Mais trop cher, trop complexe, le programme a dû être revu et corrigé, avant que les Etats participants (France, Allemagne, Italie, Espagne) acceptent enfin, presque à reculons, de s'engager. C'est donc jeudi 24 février 2022 que l'annonce est tombée. Le programme Eurodrone est sur les rails. Oui, 24 février 2022, le premier jour de l 'invasion russe de l'Ukraine. Le premier de la nouvelle Europe. 

On le sait, l'Europe est dépendante des drones militaires étrangers. Américains, d'abord, mais encore israéliens, chinois, turcs… Pourtant doté de potentiels industriels qui auraient largement dû combler ce retard, et depuis longtemps, le dossier s'est éternisé, pour accoucher d'un programme qui sur le papier, ne convainc que peu d'observateurs à ce stade.

Le contrat d'un montant de 7,1 milliards d'euros (facture en baisse par rapport au chiffre donné il y a un an) a été notifié via l'organisme européen de coopération en matière d'armement (Occar) à Airbus Defence & Space, qui sera épaulé par Leonardo et Dassault Aviation

Il prévoit la production de 20 systèmes, soit 60 drones, ainsi que leur entretien durant les 5 premières années. L'Allemagne en recevra 21, l'Italie 15, la France et l'Espagne 12 chacune.

Le drone arrivera en fin de décennie, et générera 7 000 emplois. Il reste encore à déterminer qui le motorisera, Safran ou Avio.  

Pour les spécificités techniques:

Cela étant dit, deux questions se posent: l'Eurodrone arrive t-il trop tard ? Est-il technologiquement à même de répondre à nos besoins ? 

A la première question, la réponse semble évidente: l'Europe est, littéralement, en retard d'une guerre. Elle a voulu son Reaper alors que le temps des grands déploiements sur théâtre de "basse intensité" semble s'achever, et que s'ouvre une nouvelle ère stratégique.

Attention toutefois, le front est de l'Europe est actuellement le royaume des Global Hawk de l'US Air Force, qui cherchent à glaner un maximum de renseignements sur les activités russes. Dans ce cadre, un grand drone MALE comme l'Eurodrone aurait son rôle à jouer. Egalement pour patrouiller le front sud, la Méditerranée. Mais aujourd'hui le temps presse terriblement. Nous aurons à coup sûr besoin de d'avantage de drones américains. 

A la seconde question, il est tentant de répondre que l'Eurodrone, bimoteur de 10 tonnes et 30 mètres d'envergure, a tout du programme-piège, trop lourd et trop complexe pour se dérouler sans accroc, dans les temps, et sans dépassement de budget. 

Les industriels engagés, Airbus en tête, promettent le "système de drone le plus avancé de sa catégorie" et surtout pas "le drone d'avant-hier". Dont acte. Il s'agira pour cela de ne pas figer son développement dans le présent, et de véritablement anticiper 2030. Le nouveau contexte qui se présente à nous n'offre désormais aucune marge d'erreur. 

Je reste personnellement convaincu que les Européens ont besoin d'une telle plateforme souveraine, un grand drone à même de survoler les frontières du continent, et de frapper. Et en ce qui concerne ce programme comme tous les autres, je suis convaincu également que l'ensemble des acteurs qui font l'Europe de la Défense savent désormais qu'il en va de notre destin commun.

En attendant, l'armée de Terre recevra en fin d'année le Patroller de Safran. Là encore, plus aucun délai n'est désormais permis.

En parallèle, quid de la question des munitions rodeuses ?

Enfin, il n'est pas encore trop tard, loin de là, pour penser à se lancer dans l'aventure du drone de combat furtif, en se reposant sur les acquis du démonstrateur Neuron. 


vendredi 25 février 2022

Réveil stratégique

La guerre fait donc une fois de plus son retour en Europe. Et la sidération a fait son temps. La situation est extrêmement préoccupante et les premières mesures d'ordre militaire sont annoncées par les alliés de l'OTAN. Elles concernent bien entendu la France, actuellement nation-cadre de la Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation, autrement surnommée VJTF. 

 

En raison de l'évolution très rapide, et surtout très incertaine des combats en Ukraine, il sera difficile de suivre les évènements sur ce blog. Cependant, pour tous ceux que cela intéresse, tout se passe sur Twitter où la communauté défense - francophone ou non - réalise un travail remarquable de recoupement de l'information, minute par minute. 


Nous n'allons évoquer ici que les mesures de réassurance OTAN, alliance qui va devoir montrer les muscles comme jamais cela n'a été fait depuis 1990. 

D'ici deux semaines donc, la France enverra un sous-groupement de 200 hommes en Estonie (a priori des "troupes de montagne"), qui iront renforcer les Danois et Britanniques. Ces derniers ont d'ailleurs réceptionné aujourd'hui plusieurs de leurs chars Challenger 2. 

Pour rappel, la France s'entrainait encore il y a quelques semaines en Estonie dans le cadre de la mission Lynx, avec des moyens lourds comme le Leclerc et des VBCI.

Surtout, en Estonie toujours, 100 hommes supplémentaires viendront constituer un plot chasse, avec 4 Mirage 2000-5.

L'armée de l'Air et de l'Espace déploie en fait déjà des Rafale pour des patrouilles au dessus de la Pologne depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine. Ces appareils opèrent depuis la France.

Roumanie. C'était l'un des grands sujets français de la réassurance, un déploiement assez important prévu cette année en Europe de l'est, en même temps que la pression se desserre en Afrique. Attention cependant à l'Afrique, où plus aucune marge de manœuvre ne doit être laissée à la Russie (même si dans la précipitation, Wagner semble ces dernières heures se dégarnir en Afrique pour se renforcer en Ukraine)

Un GTIA français constitué de 500 hommes de l'armée de Terre va donc se déployer en Roumanie avec des moyens blindés, dans le cadre d'un calendrier largement accéléré qui risque de mettre en exergue nos lacunes en matière de projection. On parle même de 1 000 hommes à terme. Nous ne devrions pas y aller seuls (Italiens ?) puisque tout cela se déroule dans le cadre du bataillon de l'OTAN "Sparhead", dont la France est leader. La France commande en effet depuis le 1er janvier la VJTF, force opérationnelle interarmées à très haut niveau de réactivité. 

Concernant l'Ukraine enfin, elle est militairement livrée à elle-même, même si l'OTAN livre encore à l'heure qu'il est des équipements individuels performants. Il faut aussi noter que la France dispose d'une grosse douzaine de membres du GIGN à son ambassade de Kiev. Des hommes qui pourraient jouer un rôle tout à fait décisif s'il fallait protéger ou extraire le président Zelenski. C'est ce qu'ont très judicieusement laissé entendre des officiels français. 


Un dernier mot: surprise stratégique ? Non, le discours sur la haute intensité, tout comme celui sur les puissances révisionnistes, ont été rabâchés encore et encore ces dernières années. Ils ont même justifié les hausses en cours du budget de la défense. Il faudra toutefois aller encore plus loin, probablement à un budget autour de 60 milliards d'euros d'ici 10 ans (consensus autour de ce palier), pour un format opérationnel largement réévalué. 

Dans l'immédiat, nous, européens, sommes clairement pris de cours, et un nouveau processus s'entame à tous les niveaux, à commencer par les mentalités. 

C'est désormais notre grand défi pour la décennie. Un défi existentiel.

 

mercredi 23 février 2022

De nouveaux canons CAESAR pour l'armée de Terre


Jean Castex et Florence Parly se déplaçaient samedi 19 février à Roanne chez Nexter, où ils ont annoncé une nouvelle vague de commandes. Plus précisément, il s'agit de tranches de 302 Griffon, 54 Griffon "MEPAC", 88 Jaguar… et donc 33 canons CAESAR de nouvelle génération. En 2030, c'est l'ensemble des canons CAESAR qui aura été passé à ce nouveau standard Mark II. 

Ci-dessus: vue d'artiste du Caesar 6x6 NG chez Nexter.


A Roanne dans la Loire, le Premier ministre et la ministre des Armées ont visité les chaînes d'assemblage de Nexter, notamment celle du Jaguar, et surtout annoncé une nouvelle tranche de commandes pour le programme Scorpion. 

Plus exactement, il s'agit, pour 1,2 milliard d'euros, de la commande de 302 blindés Griffon, 88 Jaguar, et 54 véhicules Griffon en version mortier embarqué pour l’appui au contact (MEPAC). 
C'est également, pour environ 600 millions d'euros,  la notification du contrat de développement et de réalisation d’une version améliorée du camion d’artillerie de 155mm Caesar par la Direction générale de l’Armement à Nexter Systems.

Ce contrat prévoit l’acquisition de 33 canons Caesar nouvelle génération (Caesar NG ou Mark II) et la modernisation ou le remplacement des 76 canons Caesar actuellement en service, ce qui portera le total à 109 Caesar NG en 2030. 
Il n'est pas exclu que la prochaine LPM augmente le format de l'artillerie française avant 2030, mais nous n'en sommes pas là. 

En service dans l’armée de Terre depuis 2008, le Caesar s'est notamment illustré en Irak dernièrement lors des reconquêtes de l'armée irakienne (soutien assuré par les Français) face au groupe Daesh.

On attendait de savoir si le MINARM ferait le choix du standard 8X8 du Caesar, autrement plus blindé, mais l'on reste finalement sur du 6x6, qui est lui aérotransportable (par C-130 ou A400M).

Toutefois, le Caesar 6X6 présente bien sûr des évolutions avec cette version "NG": une meilleure motricité grâce à un nouveau châssis, une boite automatique et un moteur de 460 CV; une meilleure protection balistique, étant équipé d’une cabine blindée améliorée; ainsi qu'une amélioration de ses instruments de visée. 

La charge de travail est principalement répartie entre Nexter, Arquus, et Safran. 300 emplois seront crées dans plusieurs régions dont l'Aquitaine (Limoges). 


Infographies Jaguar et Griffon (DGA):



lundi 21 février 2022

Chez Airbus, premier largage en vol d'un "remote carrier" depuis un A400M


Airbus Defence & Space a mené un essai en vol fondamental dans le cadre du programme de système de combat aérien futur. Un A400M a largué un drone avec succès, préfigurant de l'avenir du combat collaboratif. 

Source: Airbus Defence & Space


Les équipes d'Airbus DS en Allemagne viennent de mener un test déterminant pour les futurs capacités du FCAS (Future Combat Air System, ou SCAF chez nous). En effet, après plusieurs mois de préparation, un gros porteur militaire A400M a déployé un drone depuis sa rampe de chargement arrière. Tout cela bien sûr, en vol. 

Sur le papier, il n'existe pas de moyens infinis de lancer un effecteur déporté (ou remote carrier dans le jargon): soit l'aéronef dispose des éléments nécessaires pour être autonome sur piste - voire catapulte - tant pour le décollage que pour l'atterrissage, soit il peut être déployé directement en vol par un chasseur, à condition bien sûr que son gabarit n'excède pas celui d'un missile de croisière comme le SCALP. Dernière solution, le larguer, possiblement en essaim, depuis un plus gros avion, comme le C-130 ou l'A400M, qui deviendrait littéralement un "porte-drones".  


Pour cette démonstration depuis l'A400M, Airbus DS a collaboré avec la Luftwaffe. Le nouveau Modular Airborne Combat Cloud Services (MACCS), également un produit d'Airbus, a permis une connectivité complète entre l'avion de transport et le drone. Tout au long du test, le drone était connecté et transmettait des données à « l'avion mère ». 
Ce transfert de données illustre comment les effecteurs déportés peuvent être connectés à un cloud de combat, jouant le rôle de senseurs/capteurs sur le champ de bataille, tout en leur permettant d'être commandés par les opérateurs des avions pilotés pendant leurs missions. Il faudra voir quel niveau d'autonomie attribuer à ces appareils, mais le champ est large.


L'essai en vol réalisé par l'avionneur européen impliquait un drone Airbus Do-DT25. Le drone a fini son vol en parachute, et n'a pas subi de dommage à l'atterrissage. Nous avions déjà pu voir ces démonstrateurs lors de précédents essais, notamment en 2018 pour un vol en essaim de 5 drones (voir lien ci-dessous). Ils ont également volé aux cotés d'un Eurofighter des forces allemandes. 



Airbus, qui est responsable des remote carriers dans le cadre du programme FCAS, a désormais de grands projets pour l'A400M dans ce domaine, expliquant que la soute pourrait emporter jusqu'à 40 drones (!) largables en essaims. Les années qui viennent seront le cadre de diverses expérimentations. 
De surcroit, l'A400M ne joue pas ici le simple rôle de "mule", mais collectant un grand nombre de données, il s'intègre à part entière dans le dispositif de combat.

Les prochain essais en vol sont prévus pour cette année.



Vidéos précédentes sur les préparatifs de l'essai en vol : 


vendredi 18 février 2022

Une semaine charnière


Un post un peu inhabituel de rattrapage de l'actualité ce vendredi, à la fin d'une semaine encore une fois éprouvante sur le plan diplomatico-stratégique. C'est notamment la présence française au Mali qui vit son crépuscule.  


Ukraine

Commençons par l'Ukraine où tout à peu près été annoncé pour cette semaine, à commencer par la guerre. Les anglo-saxons parlent d'invasion russe imminente, les Russes de retrait sans néanmoins se retirer. Les Européens jouent la carte de l'apaisement, dans un camp occidental qui a au moins le mérite de faire front commun.

Les experts les plus sérieux préfèrent encore parler d'un bras de fer mais à ce stade, vendredi 18 février, les nouvelles ne sont pas franchement rassurantes, et les acteurs semblent toujours lancés dans une dangereuse surenchère. 

Mali

Car c'est bien sûr, après l'Ukraine, l'autre grand sujet qui nous intéresse: la situation sécuritaire au Sahel.

L'armée française au Mali, c'est donc terminé. Takuba avec (annonce effectuée en plein somme UE-Afrique)La raison pour laquelle nous ne étendrons pas d'avantage sur cette question est que ce retrait est en vérité "prophétisé" depuis deux ans (y compris sur ce blog), la situation politique malienne ne garantissant plus le niveau de confiance et de coopération nécessaire au maintien de Barkhane sur place. La pandémie, ou encore la chute de Kaboul, ont de surcroit fini de convaincre les opinions publiques comme les décideurs politiques, que la page de l'interventionnisme occidental avait été tournée.

De toute manière, 9 ans de présence, c'est déjà trop. Il était déjà planifié que Barkhane évoluerait vers une empreinte plus légère, et les annonces de cette semaine nous ramènent à l'époque pré-Serval. Est bien malin celui qui pourra prédire l'avenir des OPEX. Mais sur ces sujets lisez plutôt le dernier Michel Goya ! 

Lire sur le blog: Une rentrée tête basse


Spatial

Mais changeons de domaine, pour aborder le spatial. J'attendais, comme bien d'autres, beaucoup du discours d'Emmanuel Macron au CNES mercredi. Mais les annonces à Toulouse n'ont finalement fait que reporter à l'automne toute discussion sur l'avenir du vol habité européen. Le Président a tout de même posé quelques bases de réflexions pour les prochaines échéances (robotique spatiale, station orbitale européenne pour l'après ISS...). 

En matière militaire, on reste dans le cadre de la stratégie spatiale de défense 2019, avec d'ailleurs, l'annonce par l'armée de l'Air et de l'Espace de l'exercice AsterX 2022 pour le mois de mars. Il s'agit de la seconde édition de cet exercice du Commandement de l'Espace, qui est donc annuel. 

Au final, l'Europe a avancé cette semaine, concrétisant sa volonté de mettre un place une constellation "souveraine" pour l'internet par satellite. Une offre de connexion qu'elle entend partager avec l'hémisphère sud, et notamment l'Afrique. 


BITD

Un point armement avec la validation par le Parlement grec de la commande des frégates Belharra auprès de Naval Group, mais aussi de 6 Rafale supplémentaires, comme annoncé en septembre dernier (total de Rafale donc porté à 24: 12 neufs, 12 de seconde main). 

De son côté, le constructeur Arquus a présenté des résultats en hausse cette semaine, dans un contexte de reprise post-COVID. Le marché export est néanmoins en berne. Arquus compte aussi faire feu de tout bois sur le futur marché des camions de l'armée (9 4000 véhicules, pour l'armée de Terre principalement), et se positionner dans la robotique avec le futur appel d'offres ROBIN pour des engins  d'ouverture de convoi d'une masse de 3 tonnes. Tout cela passera par des alliances industrielles. 
En revanche, pas de programme VBAE avant plusieurs années selon la firme. Dommage pour le Scarabée…

On termine enfin avec une nouvelle qu'on n'attendait plus ! Elle est pourtant importantissime: il s'agit de la remise en marche des accords franco-britanniques de Lancaster House, ce qui se traduit concrètement par une avancée dans les travaux communs chez MBDA

 

lundi 14 février 2022

Le Rafale, miroir de la stratégie française

Les ventes à l'export du Rafale viennent avec le dernier contrat indonésien, annoncé le 10 février, de quasiment égaler celles du précédent chasseur de Dassault Aviation, le Mirage 2000. Elles le dépasseront assurément dans les mois qui viennent. Avec le Rafale, la France dispose aujourd'hui d'un formidable outil stratégique, au service de sa géopolitique.

Ci-dessus: un Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace à Hawaï, en 2021 - AdAE


Quasiment pas un mot (ou si peu) dans les JT du soir, jeudi 10 février, sur la vente annoncée d'avions de combat Rafale en Indonésie. Presque comme si cela était devenu si normal, banal, que ça ne méritait plus les gros titres. 

Dans la presse écrite ou radiophonique, on est en revanche un peu plus bavard, mais l'on s'attarde encore un peu trop sur le poncif de l'avion invendable, sans parler du fait que pour une partie de la société, il demeure un certain mal-être concernant la question des ventes d'armement. Sauf que le "Rafale bashing", c'était déjà il y a 10 ans ! 
Quand j'ai débuté ce blog en avril 2013, aucun Rafale n'avait été exporté. La victoire en Inde avait certes été déjà annoncée (il était alors question du marché "MMRCA" pour 126 appareils produits en grande partie en Inde) mais sa conclusion trainait. Elle arrivera finalement au printemps 2015 (contrat de 36 appareils made in France), après que l'Egypte soit finalement passée, l'hiver précédent, à la place de premier client export historique. Lors de cette année 2015 de bascule, le Qatar viendra conclure la série des acheteurs dès l'automne. 

A partir de là, on va soudain cesser de compter fébrilement les mois d'activité restants sur la chaîne d'assemblage de Mérignac, pour désormais évoquer des plans de doublement, voire triplement de la production. Pour  rappel, Dassault sortait 11 avions par an avant les commandes export. Et essentiellement pour les forces françaises. Aujourd'hui avec un carnet de commande rempli pour une bonne décennie -alors que la France doit elle-même encore s'en procurer dans les années qui viennent- c'est plutôt de conflit social touchant à la hausse des salaires dont on se préoccupe chez l'avionneur. Pas vraiment un mauvais signe.

Après une année 2021 exceptionnelle qui a vu s'enchainer des commandes grecque, croate, égyptienne (une nouvelle fois), émiratie (contrat géant de 80 appareils), puis donc indonésienne en ce début 2022, le Rafale peut revendiquer son titre de fleuron de l'industrie nationale. D'autant plus que chacun de ces contrats s'inscrit dans un cadre stratégique absolument favorable aux intérêts français. 


Le "combat proven" ne fait pas tout

Il est de bon ton de rappeler deux choses. Premièrement, on peut considérer que dans le secteur stratégique des ventes d'armes, quelques grands domaines portent en eux un enjeu tant militaire que diplomatique. On pourrait les résumer à la sous-marinade, aux navires de premier rang, et donc, à l'aviation de combat. Ajoutons y également les systèmes de défense anti-aérien ou anti-missile, voire les satellites militaires. Sur tous ces segments, peu de pays rivalisent. Et la France, puissance auto-revendiquée comme "moyenne", en fait partie. Sur chacun. Des challengers comme Israël, les pays du Golfe, ou même la Turquie choisissent eux des stratégies différentes, plus ciblées (les blindés, les drones, les équipements…), mais la France reste en pointe tout en haut du spectre.

Deuxièmement, il y a cette nécessité bien française - car elle découle directement du premier point - d'exporter les fruits de sa BITD. En effet, le modèle industriel de défense qu'a choisi notre pays repose sur l'indépendance et l'exhaustivité de son catalogue. Or, pour financer et entretenir un tel modèle, et contrairement aux Etats-Unis, la commande nationale ne suffit pas, loin de là. Pire, cette dernière est directement impactée en cas d'échec(s) à l'export, puisque d'économie d'échelle il n'y a point. 

S'agissant du Rafale, on utilise souvent l'argument du "combat proven" pour expliquer son succès soudain. La France effectivement, est un pays qui fait la guerre, mais il demeure tout de même une différence notable entre l'action d'un avion de combat moderne contre des groupes terroristes, et son entrée en premier sur un théâtre de haute intensité. 
Prenons l'exemple de l'Irak, qui s'intéresse ouvertement, d'une part au Rafale, d'autre part au système d'artillerie Caesar de Nexter. Le Rafale comme le Caesar ont été emblématiques de l'action française contre Daesh en Irak, mais il semble légitime de penser que l'effet combat proven du second - le Caesar a notamment fourni un appui significatif lors de la reprise de Mossoul - joue un rôle plus décisif qu'il ne l'est concernant le Rafale au moment de passer à la caisse. Dans un tel conflit, les frappes de drones font désormais l'essentiel du travail (cf les résultats de Barkhane des dernières années), et le petit monde de la chasse française affirme d'ailleurs ouvertement que les si précieuses heures de vol doivent être mises à contribution de l'entrainement à la haute intensité, en soit le cœur du métier. 

Non si l'on veut mettre le Rafale en valeur, c'est plutôt en citant son entrée en premier en Libye en mars 2011, où l'opération Hamilton en Syrie en 2018, toutes les deux menées depuis la métropole. Ou même encore les multiples déploiements éclairs à des milliers de kilomètres (Australie, Polynésie, Réunion…), et les exercices comme Atlantic Trident qui réunissent l'élite mondiale.  Je ne cite même pas notre Force Aérienne Stratégique !
Après 15 ans de service, le Rafale a en fait démontré sa fiabilité, sa disponibilité, confirmant toute la pertinence de son caractère omnirôle. En un mot: sa maturité. 

Enfin, le contexte. Il faut peut-être bien considérer que nous bénéficions d'une fenêtre historique sur le marché. Les concurrents du Rafale sont dans l'ensemble sur le déclin, tandis que des évolutions technologiques de l'avion français sont déjà planifiées pour deux décennies. Un message que perçoivent assurément les potentiels clients. Le seul vrai duel semble bel et bien se jouer contre le F-35, avion dit de "5ème génération". 


Des marchés clés pour la stratégie globale de la France

Justement, la question du F-35 nous amène au cœur du sujet. Puisque la France a besoin de placer ses matériels, elle se doit de jouer la carte de l'indépendance stratégique - à moins que l'on préfère employer le terme autonomie - quand bien même cela l'opposerait à ses alliés. Mais comme nous l'avons tous découvert ou redécouvert avec l'affaire AUKUS en zone indopacifique, être allié n'est pas un gage total de confiance. 

Eh bien, au moment de faire le bilan, en 2022, avec 7 clients export, nous pouvons affirmer que la "Team Rafale" s'en tire avec les honneurs. L'Egypte est la maitresse du canal de Suez, Qatar et EAU forment un très étonnant duo d'utilisateurs dans le Golfe, et surtout, l'Inde et maintenant l'Indonésie , acteurs régionaux absolument majeurs, revitalisent totalement l'axe indopacifique tracé par Paris. D'autant plus qu'un coup énorme reste à réaliser: placer le Rafale dans l'aéronavale indienne. Largement de quoi effacer le revers australien.

Avec ces partenariats, l'armée de l'Air et de l'Espace s'offre des liens stratégiques inestimables, dans des régions d'intérêt vital. Des liens qui perdurent généralement plusieurs décennies. Preuve en est, outre l'Indonésie, tous les clients du Rafale ont été des possesseurs de Mirage 2000. On oserait presque parler d'héritage. 
Ce qu'on appelle le soutien à l'export, ou "soutex", coûte cher en ressources (humaines d'abord, puis vient la question des transferts de Rafale de seconde main en Grèce et Croatie), mais est au cœur de cette stratégie. Même la Marine aujourd'hui y contribue avec les essais du Rafale M sur tremplin en Inde

Autres beaux succès, la Grèce et la Croatie l'an passé. Ces victoires sont moins flamboyantes (une partie ou la totalité des avions sont de seconde main) mais elles ont l'immense mérite, d'une part d'enfin placer l'avion en Europe et dans l'OTAN, et d'autre part de permettre l'établissement de liens privilégiés en Méditerranée, où la France a connu quelques frictions récemment.


L'enjeu européen

Malgré cela, le paradoxe, c'est bien sûr l'Europe. On ne versera point de larmes concernant l'échec du Rafale en Finlande, même si à titre personnel, je reste étonné qu'un pays neutre - puisqu'on aime à parler du sens du mot "finlandisation" ces derniers jours - comme la Finlande s'engage sur le choix quasiment otanien qu'est celui du F-35. Mais Helsinki représentait pour la France comme pour Dassault Aviation un marché difficile. Un peu à la manière du Canada où Dassault a préféré ne pas jouer les lièvres en 2018.

Les défaites en Suisse et surtout Belgique sont elles évidemment bien plus regrettables, et ce d'autant plus qu'elles se font en faveur du F-35 américain. Un appareil qui pourrait aussi se poser en Espagne (choix au demeurant logique pour leur aéronavale) et en Allemagne: les deux partenaires de la France dans le programme SCAF*.
Et il y a là un enjeu majeur, déterminant même. Plus la France vend de Rafale, plus elle est en position de force dans le programme SCAF dont elle assure la maîtrise d'œuvre du maillon principal, le "NGF", successeur naturel du Rafale. Elle est en position de force tant que le programme suit son cours, étant de loin la nation européenne la plus performante en matière d'aviation de combat. Mais elle est en position de force également si le programme rencontre des écueils, ou même échoue… accumulant via les succès du Rafale de précieuses ressources pour préparer le futur.

Le premier scénario tient toujours la corde à ce jour.


Derrière la success story du Rafale, il y a quelques 7 000 personnes qui y contribuent en France, dans 400 entreprises. Elles évoluent chez Dassault Aviation, Thales, Safran ou MBDA, mais aussi chez une multitude d'ETI et surtout PME sous-traitantes. Mais le Rafale c'est aussi désormais toute une génération d'aviateurs, bientôt dans 8 pays, et probablement plus encore. 

Tous contribuent de différente manière au déploiement de la stratégie nationale, et à sa garantie.

Le plus vertigineux dans l'histoire, est qu'il reste probablement plus de 40 ans de service opérationnel à l'appareil. Quand il aura dépassé le Mirage 2000 (un peu plus de 600 produits), le Rafale (450 commandes environ à ce jour) aura peut-être bien le temps d'aller chercher un autre record de production: celui du Mirage III (870). 

C'était d'ailleurs le rêve non-dissimulé de ses concepteurs.

 

*système de combat aérien futur.


vendredi 11 février 2022

Et 42 Rafale pour l'Indonésie !

Comme cela se précisait depuis maintenant plus d'un an, l'Indonésie a commandé des avions de combat Rafale: 6 pour commencer, puis un second lot de 36 à venir pour un total de 42 appareils. Avec cette commande, Dassault Aviation atteint le chiffre de 278 Rafale vendus à l'export. 

Ci-dessus: la cérémonie de signature ce 10 février à Jakarta - source Twitter


On se doutait bien que la visite de la ministre des Armées Florence Parly ces 9 et 10 février à Jakarta serait synonyme de signature. En revanche, nous étions bien peu à oser espérer des chiffres si importants: 6 Rafale (contrat signé), et une lettre d'intention "ferme" pour la fourniture de 36 autres. Ce marché devrait s'établir autour de 8 milliards de dollars. 2 sous-marins Scorpène sont également dans la balance. 

Les Rafale livrés seront neufs, au standard F3-R, et produits en France avec quelques collaborations industrielles avec le client. Les livraisons débuteront en 2025. Cela comprend également l'armement, la formation, et le soutien sur les bases aériennes locales. 

Dassault Aviation peut se réjouir, avec aujourd'hui 278 Rafale export. 284 si on ajoute les 6 appareils supplémentaires annoncés par la Grèce en septembre. L'avionneur est à un exemplaire d'égaler les ventes à l'étranger du fabuleux Mirage 2000 !

Et justement, c'est la première fois que le Rafale s'impose dans une force aérienne qui ne disposait pas de Mirage ! En effet, Jakarta est un tout nouveau client pour Dassault.

L'Indonésie est donc le 7ème client export du Rafale. Mieux encore, ce partenariat stratégique est comparable à celui engagé avec l'Inde, et place les forces françaises dans un cadre privilégié de coopération militaire. 

Pour Paris bien évidemment, c'est ici un coup de maître dans la zone indopacifique où la France a été mise à mal à l'automne lors de l'annonce de l'alliance anglo-saxonne AUKUS*. Le communiqué du MINARM profite bien de l'occasion d'ailleurs, pour rappeler plusieurs fois le rôle de la France dans cette région. 

*Les USA ont autorisé hier la vente à l'Indonésie 36 F-15 Américains pour 14 milliards $. A voir si cela se concrétise. 


mercredi 9 février 2022

Des Falcon pour la Royal Air Force


La Royal Air force va se doter d'appareils français ! La mythique force aérienne britannique vient en effet de passer un marché avec un opérateur pour le remplacement de sa flotte d'avions VIP. Il s'agira de deux Falcon 900XL. 

Faisons l'impasse pour le moment sur l'annonce imminente (à l'heure de l'écriture de ces lignes) de l'achat par l'Indonésie de ses premiers Rafale… et penchons nous plutôt sur un autre succès, plus inattendu ! 

La Royal Air Force vient en effet d'annoncer qu'elle allait remplacer 4 vieux BAe146 par 2 Falcon 900LX de Dassault Aviation. Ces appareils triréacteurs sont destinés à la mission de transport de personnalités.

Le marché se situe autour des 80 millions de livres (environ 95 millions d'euros), et est passé avec l'opérateur Centreline, basé à Bristol. Il comprend le soutien des appareils. 
Les Falcon seront par la suite équipés au Royaume-Uni de systèmes d'autoprotection et de communication militaire. Plusieurs spécialistes ont confirmé qu'il ne s'agirait pas d'appareils de seconde main. 

A noter que la RAF a salué les performances de l'appareil -pourtant pas le plus récent au catalogue du constructeur- sur le plan de l'autonomie (+8000 km) comme du coût d'utilisation. 

Une remarque un peu taquine pour la fin: la nouvelle a naturellement mis en émoi une partie de la "milisphère" britannique sur les réseaux sociaux, qui ne pardonne pas qu'on achète aux Français !


vendredi 4 février 2022

L'armée de l'Air commande des herses à Shark Robotics


Shark encore une fois présente là où on ne l'attendait pas ! La PME rochelaise, spécialiste mondiale de la robotique en milieu "à risque", vient de conclure un contrat avec l'armée de l'Air & de l'Espace pour un produit bien spécifique: des herses robotisées.

En attendant, peut-être, des marchés futurs avec les armées sur la robotique de combat, c'est un contrat majeur que remporte aujourd'hui Shark Robotics auprès de l'armée de l'Air: 149 herses robotisées Bulkhead pour protéger et augmenter la sécurisation des accès des sites du ministère des Armées, en particulier ici les bases aériennes françaises.

L'entreprise précise dans son communiqué que la herse Bulkhead est une innovation issue d’un dialogue public/ privé, puisqu’elle a été développée grâce au retour d’expérience des Douanes de France avec Shark Robotics, dans le but de mieux protéger les opérateurs. La capacité d'innovation de la PME face aux demandes souvent bien spécifiques des clients est en effet une de ses forces reconnues. 
Shark avait d’ailleurs remporté en 2018 le marché visant à équiper toutes les douanes françaises. Innovation protégée, puisque Shark Robotics détient deux brevets à la fois sur le système de déploiement et sur les pointes de ce robot.

L'un des avantages des herses Bulkhead touche bien entendu à sa robotisation, qui permet d'éloigner l'homme du risque. Un leitmotiv chez Shark, numéro 1 sur le créneau des robots de lutte anti-incendie. 

Précisons enfin que les Bulkhead tirent leur autonomie de batteries maison "Shark Energy". Une technologie qui a déjà fait ses preuves dans des environnements particulièrement hostiles, et contribue à assurer la "robustesse" des solutions Shark Robotics. 


mercredi 2 février 2022

La DGA assiste HyprSpace dans ses essais de propulsion

L'une des rares start up du New Space tricolore dans le domaine des micro-lanceurs, Hybrid Propulsion for Space (HyprSpace), reçoit depuis quelques mois le soutien de la DGA Essais Missiles. Cette dernière lui met à disposition un de ses sites aquitains. 

Ci-dessus: le prototype "Joker" - crédits photo HyprSpace


HyprSpace se définit à la fois comme une entreprise de micro-lanceurs et un motoriste, sa solution de propulsion hybride devant considérablement optimiser la consommation en carburant des lancements spatiaux, et donc contribuer à ramener encore plus bas le coût de ces derniers.

Après avoir reçu le soutien de plusieurs structures comme le CNES, et avoir réussi sa première levée de fonds récemment, elle poursuit en ce début d'année 2022 les essais de son moteur Joker avec le support officiel de la DGA, sur le site de Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux.

L'été dernier, les deux entités avaient déjà signé un contrat de collaboration pour la simulation de départ de tir de missile.

Nous essaierons d'en reparler bientôt de façon plus complète !