vendredi 28 juin 2024

PEGASE 2024 et sa dimension globale


Ce jeudi 27 juin marquait le point de départ d'un été intense pour l'armée de l'Air. C'est en effet le lancement de la mission Pégase 2024, grand exercice de projection et de coopération avec les forces aériennes de la zone indopacifique. Cette aventure, au prisme très européen cette année, ne prendra fin que le 15 août. 

Images: armée de l'Air & de l'Espace, Luftwaffe, Ejército del Aire y del Espacio.


Au moment même où l'institution célèbre au château de Versailles ses 90 ans, et alors que le pays -en plein tumulte politique- s'apprête à accueillir les Jeux Olympiques de Paris, l'armée de l'Air et de l'Espace ouvre un autre "front" en entamant un déploiement exceptionnel.  

Avec le départ pour le Canada, diffusé en direct jeudi 27 juin, de quatre Rafale de la 30ème escadre de Mont-de-Marsan, c'est donc parti pour la désormais traditionnelle grande aventure estivale de l'armée de l'Air, qui marquera probablement l'intégralité de cette décennie, devant d'une part montrer les capacités de projection des forces aériennes, non plus seulement françaises mais européenne -ou devrait on dire otaniennes- sur la longueur et la durée (pour la masse, c'est autre chose), mais aussi faire un acte de présence à forte valeur diplomatique sur l'immense théâtre IndoPacifique. 
Plus encore, cette édition 2024 montre à quel point ce "pivot" vers l'Asie prend pour les Européens une dimension mondiale, tant accéder aux antipodes demandent une logistique et des points d'appui reposant entièrement sur la géopolitique.   

Mais comment ? Comment résumer autrement qu'en cartes le déroulement de ce qui est désormais bien plus qu'un exercice (25 pages de dossier de presse !) ?




13. C'est le nombre de pays dans lesquels l'armée de l'Air et de l'Espace va faire escale en un mois et demi. Ce qui n'était en 2018 que l'ébauche d'un déploiement pensé pour justifier la stratégie française pour l'indopacifique, a fini par devenir régulier grâce aux planificateurs, et, grande réussite, par essaimer en Europe.  
En effet, la mission 2024 aura une dimension européenne particulière avec un déploiement conjoint français, espagnol et allemand, les pays du Système de combat aérien du futur SCAF (l'armée insiste sur cette donnée), qui renforceront ainsi leur capacité à se déployer ensemble, et de mieux définir leurs besoin dans le cadre du SCAF. Cette première phase a été nommée « Pacific Skies ». 
Pacific Skies verra les Rafale, Eurofighter, A400M Atlas et A330 Phénix passer par l'ouest afin de rejoindre l'Alaska via le Canada. Il y participeront à l'exercice premium « Arctic Defender ». 

Le 6 juillet, une nouvelle vague de départ verra Français (trois Rafale des FAS) et Britanniques prendre cette fois la route de l'Orient, destination de l’Australie pour l’exercice de très haute intensité « Pitch Black », auquel participeront 18 pays. 

A noter que les Rafale se présentent sous leurs meilleurs atours, puisqu'ils iront participer à ces exercice en étant dotés de leur dernier standard 4.1. L'A400M et l'A330 MRTT, qui complètent le triptyque, permettent eux de faciliter la projection de forces avec un impact logistique jugé minimal. Au total, le dispositif français comptera sept Rafale, cinq ravitailleurs A330 MRTT et quatre A400M.

Comme je le disais, le dossier de presse fait 25 pages. Impossible de décrire toutes les étapes aujourd'hui et nous ferons donc en sorte de suivre l'actualité de la mission Pégase 2024, d'autant plus que comme d'habitude, de superbes images nous seront proposées. Nous tenons donc un dossier de l'été. 

D'ailleurs, dans le même temps, nous remarquerons que ce qui est pour nos voisins allemands et espagnols une nouveauté, génère énormément d'enthousiasme au sein de leur communauté aéronautique. J'en veux pour preuve l'excitation qui régnait autour des publications de la Luftwaffe et de l'Ejercito del Aire hier sur les réseaux sociaux, au moment du départ. Cela est en sens, déjà une petite victoire pour la France, qui en associant ses partenaires à ce type de mission, cherche à diffuser sa "culture stratégique" sur le continent européen. 

mercredi 26 juin 2024

Le blindé Jaguar est arrivé chez les marsouins du 1er RIMa d'Angoulême

 
Le 1er Régiment d'infanterie de marine a reçu jeudi 20 juin à Angoulême le premier de ses nouveaux engins blindés: le Jaguar. Ce 6x6 ultramoderne doté d'un canon de 40mm et de missiles antichars remplacera chez les "marsouins" les vénérables AMX-10RC. 

Images: 1er RIMa / armée de Terre


Des traditions vieilles de plusieurs siècles, sur plusieurs continents… et l'ouverture vers l'avenir. Basé à Angoulême depuis les années 1980, le plus vieux régiment des Troupes de Marine, le 1er RiMa, est une des unités phares de la projection des armées françaises. Il est l'un des deux régiments blindés de la 9ème Brigade d'Infanterie de Marine (Poitiers) et a été de toutes les OPEX. Sa vocation opérationnelle est tournée vers la projection d’urgence et l’engagement outre-mer.

Le 1er RIMA dispose d'un parc de 18 "chars légers" AMX-10RCR, ainsi que 55* blindés dont les nouveaux Griffon (arrivés depuis le 15 mars pour remplacer les VAB) et surtout les 4x4 VBL spécialisés dans la reconnaissance (eux ne seront remplacés qu'à partir de 2030, avec le programme VBAE). 

L'arrivée de l'ERBC (Engin blindé de reconnaissance et de combat) Jaguar devrait permettre progressivement de retirer les AMX et de probablement les céder à l'Ukraine. Ce puissant 6x6 dispose d'un canon à tir rapide 40 CTC de calibre 40 mm (jusqu'à 200 coups par minute), de quatre missiles MMP Akeron, et d'une mitrailleuse téléopéré de 7.62 mm. Le véhicule est parfaitement intégré dans la bulle numérique Scorpion et son équipage est de trois membres. 

La France a commandé 300 Jaguar à Nexter et Arquus. 60 avait été livrés fin 2023. 120 l'auront été en 2025, dont 33 en 2024. Le Jaguar équipe également le Régiment d'infanterie chars de marine (RICM) de Poitiers. 


lundi 24 juin 2024

A Jonzac, Grob Aircraft prépare un nouveau turbopropulseur pour la défense


Basé en Charente-Maritime, Grob Aircraft France prépare dans la discrétion un avion d'entraînement afin de répondre au marché international des avions militaires de formation. Ce turbopropulseur biplace nommé TPX "Cobra" pourrait aussi viser les missions de surveillance et de contre-insurrection. 

Images: Grob Aircraft France


L'avion vole depuis 2019. C'est la première information. La révélation la semaine dernière (voir en fin de blog) par Grob Aircraft France, récente division du groupe allemand du même nom basé en Bavière, a donc pu paraître surprenante. Appelé TPX "Cobra", ce turbopropulseur biplace aurait débuté son développement chez la maison mère en Allemagne, dans le courant de la décennie 2010, afin de préparer la succession des Grob 120 (dont l'armée française utilise 18 exemplaires). 

Dans le détail, il est question ici d'un très élégant biplace en configuration "côte à côte" de 9m de long pour 11m d'envergure qui peut concourir au programme MENTOR2 de l'armée de l'Air et de l'Espace. Pour rappel, MENTOR suit la réforme FOMEDEC, qui avait vu l'arrivée des remarqués Pilatus PC-21 à Cognac, et comporte plusieurs phases dont les premières ont déjà été attribuées (la simulation par exemple). Il s'agit d'un programme structurant de l'armée de l'Air qui vise à moderniser et optimiser la formation, élémentaire cette fois, des futurs pilotes et navigateurs concernant trois axes: l’acquisition des bases, la voltige, et le vol en formation.

MENTOR2, qui concerne Cognac et Salon-de-Provence, devrait bientôt voir la passation d'un marché pour un peu plus d'une vingtaine d'appareils dédiés à la formation de tous les pilotes (et non seulement la chasse, comme c'est le cas à Cognac sur les Pilatus PC-21 de FOMEDEC. 


Architecture biplace maintenue

Formation pour tous les équipages d'aviateur donc, argument qu'utilise aujourd'hui Grob Aicraft pour justifier le maintien de son cockpit avec équipage côte à côte, rappelant que cette configuration facilite la relation entre l'instructeur et son élève, d'autant plus que comme je viens de l'écrire, mis à part les pilotes de chasses, les autres aviateurs évoluent dans ce type d'environnement "côte à côte", en A400M ou C-130 par exemple. 

Toutefois, il semble que dans l'armée de l'Air, ce type de cockpit -de plus en plus rare il est vrai- n'a pas la préférence des décideurs, qui demandent notamment des garanties de sécurité. L'avionneur compte apparemment profiter du large espace dont il dispose à bord de cet habitacle pour doter, dans le futur, l'avion de sièges éjectables Martin-Baker Mk10L. Nous attendrons donc d'en savoir plus sur ce point d'achoppement. 

TPX Cobra turn

Pour le reste, ce sera fuselage en composite (2,7 tonnes au total au décollage), moteur Pratt & Whitney Canada PT6A-25C de 750 ch (560 kW), hélice à sept pales MT-Propeller MTV-37... La maintenance est annoncée comme simplifiée, et plusieurs éléments dont le train d'atterrissage sont repris du Grob 120.

Côté performances, le TPX Cobra atteint les 462 km/h avec des facteurs de charge allant de +4,4 à -1,7g, pour une endurance de 6h (avec bidons), les équipages pouvant compter sur un affichage tête haute et deux écrans multifonctions pouvant s'interfacer avec tout type de formation (y compris civile, ce qui ouvrirait un autre marché). 


Made in France… ou presque 

Si le développement a débuté en Allemagne, Grob Aicraft France a bien "acheté" le programme à sa maison mère bavaroise, et la spin-off française voit son avenir proche de Cognac (sa base aérienne cœur de cible), avec un nouveau hangar de production de 2 500 m² construit sur l'aérodrome de Saint-Germain-de-Lusignan (17) avec le soutien des autorités locales. Il sera inauguré cette année.  

En cas de succès commercial, la production sera donc française, mais les composants étrangers. 



Un marché de plusieurs centaines d'appareils ? 

Sur MENTOR2, Grob Aircraft France devra néanmoins faire face à de sérieux concurrents comme l'autrichien Diamond Aircraft ou le suisse Pilatus, qui devraient présenter selon la presse des turbopropulseurs biplaces plus classiques (pilote et élève l'un derrière l'autre), alors que le choix de l'armée de l'Air sera rendu public dans les prochains mois, pour des débuts de livraisons espérés en 2026. 

Si rien ne dit que le Cobra s'imposera en France, sur ce marché absolument structurant où il ne part peut-être pas favori, d'autres débouchés sont imaginés à l'international, et pas seulement pour la mission de formation. Il y a en effet le marché de la surveillance, voire de l'attaque au sol dans des pays, notamment en Afrique ou en Amérique latine, qui ont d'une part un besoin, et d'autre part un budget contraint.  

Le TPX Cobra pourrait en effet, à la façon d'autres avions du même type dans le monde, recevoir toute une suite de systèmes d'armes ou de surveillance: capteurs, boules optroniques, radar, réservoirs de carburant externes… et quatre pylônes d'armes pour des bombes ou roquettes. Attention cependant, cela demanderait d'étendre les capacités de l'avion (charge utile, endurance), même si l'avionneur assure que 80 à 90% de l'appareil resterait identique. 

De quoi quadrupler le potentiel commercial de l'appareil. On se remémorera même qu'il fut un temps, au plus fort de l'opération Barkhane -et avant le "retour de la haute intensité"- où des personnalités influentes dans les armées françaises préconisaient que l'on se dote en France d'un tel appareil d'attaque à bas coût. Débat qui semble désuet aujourd'hui, mais chacun sa guerre. 


Couac dans la communication ?

Un mot enfin pour signaler que les sources de cet article proviennent de deux médias spécialisés:
  • Air&Cosmos le 19 juin (dossier dans le magazine papier & vidéo sur la chaîne Youtube de Xavier Tytelman, où était reçu le général 2S André Lanata, ancien CEMAA et désormais représentant de Grob Aircraft France)
  • et en anglais, Flight Global le 20 juin, qui annonce un "scoop". A tort donc, puisque les Français d'Air&Cosmos lâchaient l'info la veille. 

En rassemblant ces informations en fin de semaine dernière, je découvrais l'existence d'un compte à rebours sur le site officiel de l'avionneur (capture ci-dessous, effectuée le 19 juin par moi-même), laissant penser que l'existence de l'appareil aurait été rendue publique ce lundi 24. Entre temps, tout a disparu… A priori, cela se déroulera en grandes pompes ce 28 juin au Château de Versailles durant la cérémonie nocturne des 90 ans de l'armée de l'Air.

L'occasion de "relancer" la promotion de cet appareil, qui comme nous l'avons dit en introduction, fait l'objet d'un développement déjà ancien. Cinq ans après son premier vol, le projet s'apprête donc à vivre un jalon décisif. 


vendredi 21 juin 2024

#Eurosatory2024 - KNDS montre son Centurio armé d'un canon de 30mm

Le groupe franco-allemand KNDS entend s'imposer comme leader incontestable des robots militaires en Europe. Il dévoile pour l'occasion une image d'un 4x4 robotisé doté de l'impressionnant tourelleau ARX30.

Image: KNDS


On termine la semaine comme on l'avait commencé: avec un robot. L'occasion de préciser que nous n'évoquerons pas sur ce blog la grosse activité "chars" de la co-entreprise franco-allemande KNDS car d'autres le feront bien mieux que moi (comme Blablachars ICI et ICI). Peut-être également car je ne suis pas vraiment optimiste pour l'avenir de la composante chenillée française, que je ne vois pas revivre avant l'hypothétique réalisation du programme MGCS (Main Ground Combat System) vers 2045. Avant de rêver Leclerc "Evolution" donc (révélé à Eurosatory 2024), il faudra se contenter du XLR, dont on suppose -déjà- que le nombre sera moins important que prévu…

Mais revenons à nos robots, à qui, même si la doctrine d'emploi reste véritablement à affiner et préciser, outre le sempiternel "éloigner l'homme du risque", j'accorde un avenir un peu plus actif dans les toutes prochaines années. 

Sur le blog: Arquus dévoile son premier robot, le DRAILER


Nous avions en début de semaine présenté le DRAILER d'Arquus, mais les travaux -français- en matière de 4x4 autonome ou téléopéré ne s'arrêtent pas ici, puisque KNDS montre depuis quelques mois les performances en mobilité de son châssis "CENTURIUS", issu du programme de démonstrateur PHOBOS. Il vient s'ajouter à un catalogue de plus en plus fourni chez KNDS (Nerva, OPTIO, ULTRO...). 

Aussi, nous découvrons via un court communiqué diffusé ce 21 juin par le groupe industriel, et sobrement intitulé "KNDS, futur leader européen des robots militaires", le CENTURIUS équipé d'un canon téléopéré ARX-30, de 30mm, ce qui en ferait un bel outil d'appui feu pour les fantassins, y compris contre la menace des drones. On sait aussi que le CENTURIUS peut accueillir des calibres moins importants comme le 20mm (tel qu'exposé à Eurosatory 2024) ou le 12.7mm. Le tout environne une masse de deux tonnes.


Enfin, sachez que le communiqué de KNDS se termine par cette phrase : "Nous travaillons désormais sur un châssis de char de combat téléopéré afin de préparer le MGCS


jeudi 20 juin 2024

#Eurosatory2024 - Aerix Systems remporte le challenge start-up du GICAT


On les avait découverts sur ce blog début mars, et voilà qu'Aerix Systems, droniste incubé à Mérignac chez Bordeaux Technowest, se dinstingue déjà en remportant au grand salon de l'armement Eurosatory 2024 le Trophée du prix innovation du GICAT !

Ci-dessus: vue d'artiste du drone hypermanoeuvrable d'Aerix Systems


Si le drone est très à la mode sur les salons de l'armement, encore faut-il pouvoir se démarquer au milieu de la mêlée. Cela semble déjà chose faite pour la start-up Aerix Systems, qui mercredi 19 juin s'est vue remettre par le Président du GICAT (le groupement industriel de l'armement terrestre), Marc Darmon, et par le directeur de l’Agence de l'innovation de défense (AID), le Trophée du prix innovation du GICAT à Eurosatory. 

Ce concours réunissait les jeunes entreprises présentant des innovations duales dans la Défense et la Sécurité. Pour cette édition, Aerix Systems "a conquis le jury avec sa technologie disruptive de propulsion de drone omnidirectionnelle". 

L'innovation autour de la solution baptisée "AXS-M1" est la suivante: une nouvelle propulsion, inspirée d’un gyroscope, dite omnidirectionnelle, permettant de décupler les performances des drones avec des caractéristiques de vol spécifiques. Selon ses concepteurs, la plateforme omnidirectionnelle facilite le contrôle et l’intervention de part sa grande résistance aux intempéries tout en réalisant des mesures de contact de précision via sa stabilité et manœuvrabilité à 360°. La plateforme induit de nouveaux moyens d’observations et de mesures (coque de bateau, aile d’avion ou bâtiments) par l’utilisation d’une technologie passive et active insensible aux prises d’air et effets de bord.
Il est donc ainsi permis d’accroitre les méthodes d’intervention civile et/ou militaire par l’optimisation des déplacements en fonction des caractéristiques environnementales (par exemple, le mauvais temps qui limite aujourd'hui grandement le vol des drones), de terrains et de missions.

Le même jour, Aerix Systems annonçait la signature d’un MoU avec SBG Systemsfournisseur de solutions d’orientation, de stabilisation et de navigation permettant à l’AXS-M1 un haut niveau de précision et de fiabilité.


mercredi 19 juin 2024

#Eurosatory2024 - Retour en force des missiliers sur le segment terrestre


Le conflit ukrainien tel qu'il se déroule depuis deux ans, combinant des combats de "haute intensité" et l'empêchement du déploiement à plein potentiel de la puissance aérienne, a poussé les armées occidentales à revoir leurs priorités concernant les capacités terrestres de frappe en profondeur. Et sur ce plan, le portefeuille français semble en passe de largement s'étoffer.

Ci-dessus: LRU de l'armée de Terre à la manœuvre avec des HIMARS américains - © EMACOM


Si la mode est aux drones et munitions rodeuses, que nous ne citerons pas dans ce résumé, le retex ukrainien nous montre que les résultats stratégiques sont eux obtenus lors de frappes dans la profondeur du dispositif ennemi, sur les centres de commandement, de logistique, ou de concentration de troupes. Des résultats que nous nous étions, en Occident, habitués à obtenir grâce à la puissance aérienne ou maritime. Or, que se passe t-il quand celles-ci sont empêchées ou absentes ? 

La transition est toute trouvée puisque le missilier MBDA, qui s'impose selon moi comme l'un des exposants les plus en vue lors de cette édition du salon Eurosatory puisque présent sur les munitions rodeuses, les missiles anti-char, la défense anti aérienne, et la frappe en profondeur, a dévoilé une version terrestre de son missile de croisière naval (MdCN).

Le Land Cruise Missile (LCM) repose en effet sur le système MdCN qui équipe (combat proven) les frégates et les sous-marins d'attaque de la Marine nationale française. MBDA insiste sur le fait que l'ensemble du système est intégré et rodé, conserve l'ensemble des ses performances (dont sa portée impressionnante de 1000 km), et peut être embarqué sur une plateforme mobile afin de maximiser sa survivabilité. Le LCM offre également une capacité de frappes simultanées contre une cible unique depuis des plateformes différentes, "comme l’a démontré le tir d’entraînement réalisé par la Marine nationale en avril 2024, avec le soutien de la DGA, depuis une frégate et un sous-marin immergé."

Le LCM, dont le développement n'est pas terminé, devrait permettre de disposer d'une capacité de frappe en profondeur terrestre souveraine à court terme… en attendant la suite.



Deuxièmement, il y a le programme FLT-P : Frappe longue portée terrestre. Durant les combats en Ukraine de l'année 2022, l'arrivée des lanceurs HIMARS en Ukraine est apparue comme une révélation pour les Européens, qui les uns après les autres, ont depuis passé commande auprès des Américains. D'autres, comme l'Espagne, ont temporisé, se penchant sur le marché international. Et comme souvent, la France, elle, a penché pour la solution souveraine au détriment de l'achat sur étagère… c'est le programme FLT-P, inscrit dans la Loi de programmation militaire 2024-2030.

Il s'agira donc de remplacer dans l'armée de Terre ce qu'il reste de la déjà maigre capacité de frappe en profondeur constituée par les lance-roquettes unitaires "LRU", plateforme héritée des années 1980 mais modernisée depuis. 13 lanceurs sont attendus d'ici 2030, ce qui remplace l'actuelle flotte théorique (il en reste en réalité beaucoup moins), ce chiffre passant à 26 en 2035. Les spécifications demandées par la DGA tournent autour d'une portée doublée par rapport au LRU, donc 150 km contre 70 aujourd'hui, et d'une haute précision. 

Pour répondre à ce marché de 600 millions d'euros, le groupe MBDA s'est allié à Safran pour proposer "Thundart", une version terrestre propulsée de la bombe air-sol AASM pouvant être lancée par salve de 12 jusqu'à 150 km dans un environnement électromagnétique dégradé (y compris sans GPS).

Mais sur ce programme, qui avancera dès cette année 2024, la BITD française voit s'avancer d'autres candidats. 

Force de frappe hypersonique terrestre ? 

Face à MBDA & Safran, on connait depuis plusieurs mois l'autre tandem, plus inédit, composé d'ArianeGroup & Thales, qui pour ce programme FLT-P proposent à horizon 2030 une munition balistique pouvant atteindre une cible à 150km à une vitesse avoisinant Mach 3. Ariane hérite du développement de la munition, et Thales de la conception du système de commandement et de contrôle (C2) et du système de guidage. 

A ce stade, s'il est déjà curieux de voir Ariane, surtout connue dans le militaire pour les missiles stratégiques de la force de dissuasion nucléaire, venir tenter sa chance sur le segment conventionnel -ce qu'elle fait déjà en quelques sortes avec le programme de planeur hypersonique V-MAX - le plus intéressant vient ensuite.  

En effet, pour la seconde partie du programme, Ariane et Thales poussent les curseurs en imaginant cette fois une munition pouvant frapper à 1 000 km ! Comme le LCM de MBDA ? Pas tout à fait.  La munition balistique devrait tutoyer la haute atmosphère et atteindre sa cible à Mach 5. Ou autrement dit, à vitesse hypersonique. De telles performances feraient de cette capacité, même si conventionnelle, un argument stratégique car extrêmement difficile à intercepter. 

Pour ceux qui ont un peu de mémoire, cela rappellera peut-être une tribune volontairement polémique rédigée par l'expert des blindés (et en particulier du char Leclerc, avec un ouvrage de référence paru récemment) Marc Chassillan il y a de cela un peu plus d'un an. Dans celle-ci, il ne proposait ni plus ni moins que de supprimer la composante de cavalerie lourde de l'armée de Terre afin de la remplacer par une force de frappe hypersonique… Provocateur, mais en partie prémonitoire ?


Reste la question des porteurs mobiles. Le célèbre M142 HIMARS américain assure sa haute mobilité (le "HIM"de l'acronyme HIMARS) grâce un camion porteur d'origine autrichienne. S'agissant des projets français, nous n'avons vu que des maquettes ou visuels, parfois pour montrer un camion, parfois un blindé chenillé semblable à l'actuel LRU de l'armée de Terre (comme c'est le cas sur le stand MBDA à Eurosatory). A ce stade, aucun choix ne semble avoir été fait, mais des constructeurs comme KNDS et Arquus se sont d'ores et déjà portés candidats depuis plus d'un an.   


Il existe également la solution de la plateforme fixe, Boeing et Saab proposant par exemple un lanceur GLSDB installé dans un container DRY standard.


Enfin, et pour finir ce tour des industriels français, n'oublions pas la discrète Roxel, qui fournit les systèmes de propulsion d'un impressionnant catalogue des missiles (60% du marché en Europe). Elle, dont le chiffre d'affaires augmente avec la demande, et qui investit fortement ces derniers mois sur la R&T (x3), la modernisation de ses sites en France et en Angleterre, et le recrutement, aura nécessairement un rôle à jouer dans ce futur programme FLP-T.


mardi 18 juin 2024

Première campagne de vols pour le NH90 des forces spéciales

Airbus Helicopters annonce ce 18 juin que la campagne d'essais en vol du nouveau Standard 2 de l'hélicoptère de manoeuvre NH90 Caïman, plus connu sous le nom de standard "forces spéciales", vient de débuter. L'appareil, commandé à 18 exemplaires, doit entrer en service en 2025. 

Images: Airbus Helicopters


Cette communication tombe la même semaine que le salon de l'armement terrestre Eurosatory 2024 (les hélicoptéristes ont cette chance de pouvoir exposer au Bourget comme à Eurosatory): le standard FS de l'hélicoptère de manœuvre NH90 destiné aux forces spéciales de l'armée de Terre a commencé ses campagnes de vol. 

Programme dont on parle depuis longtemps déjà, et lancé en 2020, le Standard 2 du NH90 fournira un remplaçant aux Cougar et Caracal du 4ème régiment d'hélicoptères des forces spéciales à Pau. 18 appareils ont été commandés, dont la dernière tranche fin 2023, et les premiers appareils devraient arriver en régiment en 2025. 

Après la longue phase de définition des capacités (on a vu plusieurs schémas ou même maquettes sur les salons SOFINS par exemple), Airbus Helicopters a donc lancé la campagne d'essais en vol du prototype du NH90 FS. Il s'agit d'un standard spécifiquement développé pour l'aviation de l'armée de Terre française (ALAT) et le COS (Commandement des opérations spéciales), ce qui est décidemment la maladie dont souffre le programme NH90, puisqu'il existe en effet en service plus d'une vingtaine de versions de l'appareil européen. 


La configuration Standard 2 comprend l'intégration du système électro-optique Safran Euroflir 410, un nouveau générateur de cartes numériques, l'installation d'un troisième membre d'équipage et de nouvelles fenêtres arrière coulissantes agrandies pouvant accueillir des canons d'autoprotection.
Airbus précise que les tests valideront la conception de la nouvelle configuration. Le prototype du NH90 Standard 2 a également été équipé de dispositions mécaniques et électriques dédiées au système d'ouverture distribuée (DAS) et d'un affichage numérique de visée monté sur casque (HMSD-DD) de nouvelle génération en vue d'une future intégration ultérieure.

Les essais en vol se poursuivront jusqu'à la fin de l'année selon le calendrier convenu avec la Direction Générale de l'Armement.

Le constructeur précise que d’ici la fin de la décennie, l’ALAT exploitera 81 NH90 TTH. Depuis 2011, l'appareil n'a connu qu'une OPEX, Barkhane, et a effectué 50 000 heures de vol au total.


lundi 17 juin 2024

#Eurosatory2024 - Arquus dévoile son premier robot, le DRAILER


Eurosatory 2024 ouvrait ses portes ce matin. L'occasion pour l'industrie mondiale de l'armement terrestre et aéroterrestre de montrer sur le plus grand des salons leurs dernières nouveautés. Ici, nous choisissons de commencer avec Arquus et son premier robot armé, le "DRAILER". 

Images: Arquus


Le concept de remorque autonome destinée au véhicule 4x4 Scarabée était visible sur les maquettes depuis plusieurs années, mais alors qu'on sait désormais que le superbe blindé d'Arquus restera très probablement à l'état de démonstrateur, et donc non candidat au programme VBAE de l'armée de Terre (véhiucle blindé d'aide à l'engagement) que l'on attend pour 2030, revoilà au moins… la remorque !

Arquus, dont la fusion avec John Cockerill Defence devrait être effective dans les prochaines semaines (en réalité un rachat par le Belge à Volvo Group, maison mère d'Arquus), performe avant tout dans le secteur des engins de transport ou de logistique -comme le prouve le récent marché des camions citerne de l'armée remporté en France- mais dans le même temps, elle ne cesse de prouver qu'elle sait innover dans le domaine des missions de combat. Et en matière de combat futur, quoi de plus exploratoire que la robotique terrestre ?

Les drones terrestres (ou UGV: unmanned ground vehicules), chenillés ou à roues 4x4, 6x6, 8x8... sont à l'essai depuis plusieurs années, y compris sur le champ de bataille, qu'il soit syrien ou ukrainien, sans pour autant avoir vraiment convaincus jusqu'à maintenant. Comment faut-il les employer ? La doctrine ultra dominante semble bien être celle de l'éloignement de l'homme du risque, ou autrement dit, l'envoi de ces machines en avant des hommes, pour de la reconnaissance et du "dérisquage", comme va nous le montrer la vidéo promotionnelle ci-dessous. C'est également ce que l'on a pu voir sur le front ukrainien, où les UGV se font décimer depuis le ciel par les redoutés drones suicides "FPV".

En France, on avait vu Nexter (aujourd'hui KNDS) s'afficher avec le robot chenillé Themis de l'estonien Milrem, ou encore Shark Robotics proposer sa mule 4x4 Barracuda. Citons aussi Unac ou Safran qui développent des modèles à roues, et collaborent même ensemble.

Et voici donc Arquus :


DRAILER, que l'on découvre dès le début de la vidéo de présentation comme étant remorquée par un blindé 4x4, est avant tout un drone. 

En effet, pouvant effectuer les tâches de mule (emport d'équipements du fantassin visibles sur les images) et de plateforme d'appui feu grâce à son tourelleau téléopéré HORNET de calibre 12.7 (un produit phare de la maison, que l'on retrouve sur d'autre robots et véhicules sur le salon), DRAILER est un véhicule assez massif de 1,6 tonne qui est piloté à distance par un opérateur doté d'une console de commandes. La vidéo insiste bien sur le rôle du robot: prendre le risque à la place de l'homme, avec, fait marquant, c'est à la fin l'homme présent physiquement sur le front, et seulement lui, qui appuie sur le bouton au moment d'ouvrir le feu. 

S'agissant des missions, sur le papier, DRAILER peut tout faire ou presque: soutien à l'infanterie, déminage, guerre électronique, lutte anti-drone Armement et fonction de mule comprises, il peut emporter 700 kilos.

Le véhicule démontre sur les images une assez nette capacité de mobilité, ce qui le rend a priori un peu plus punchy que les nombreux UGV vus depuis une dizaine d'années. Sa motorisation est électrique, et même probablement hybride (je n'ai pas la confirmation à cette heure) comme bien des modèles d'UGV en Occident, ce qui lui permet d'atteindre les 20 km/h avec 200 km d'autonomie. Attaché à un véhicule, en mode remorque, il supporte une vitesse jusqu'à 90 km/h.
 

Il faudra voir attentivement où va ce programme, voir ce que la France ou un autre pays décidera d'en faire, car pour le moment, l'intégration de plateformes armées semble poser des problèmes juridiques ou éthiques. Des faux problèmes en fait... mais l'on sait combien de temps nous a fait perdre l'absence de choix doctrinal, puis politique, de l'usage d'abord, et de l'armement des drones aériens ensuite. 


vendredi 14 juin 2024

Eos Technologie: des drones et munitions rodeuses qui vont plus vite, et plus loin


EOS Technologie a profité avec d'autres dronistes français d'un "Démo Day" précédant le salon Eurosatory pour montrer ses fameuses munitions téléopérées. Et grande nouveautés, celles-ci volent en essaim.


Avec EOS Technologie les choses vont vite, très vite. La PME qui était quasi inconnue avant sa présélection pour le programme Larinae de l'Agence pour l'innovation de défense en 2022, fait le buzz cette année depuis la présentation de sa MTO (munition téléopérée) "Veloce 330" en avril dernier. D'autant plus que grâce à sa méthodologie de travail dont la force est l'innovation rapide, elle dispose déjà de plusieurs autres solutions de drones à son catalogue, toutes développées et testées en quelques mois: Stryx 425 et 500, Endurance 1200... puis Veloce 330, Istar 330...  


Et une semaine après être apparue aux côtés de Thales Group qui présentait de son programme d'écosystème Drone warfare, la start-up dont le siège est encore à Mérignac (lire plus bas), participait en Auvergne au "démo day" préparant le salon de l'armement terrestre Eurosatory qui lui se déroule à Paris la semaine prochaine.  

L'écosystème Drone Warfare de Thales (cliquer pour agrandir)


En vidéo (cliquer sur le lecteur si elle ne s'affiche pas), les solution ISTAR/VELOCE 330 :


Outre la démonstration publique -aux journalistes et professionnels- du Veloce 330, drone et/ou munition (autrement appelée "missile low cost") pouvant être doté par KNDS d'une charge explosive allant jusqu'à 6 kg, suffisant pour aller frapper un char à 100 km sans que l'ennemi n'ait le temps de mettre en place de contremesure, tant la… vélocité du drone est impressionnante (4 à 500km/h en vitesse de pointe), le démo day a permis de découvrir une nouveauté: le vol en essaim.  

En à peine quatre mois en effet, EOS et la toulousaine Cloudskeyes ont travaillé sur la présentation d'une solution d'essaim de munitions rodeuses. Pari réussi puisque ce 11 juin, 5 drones volaient ensemble, ce chiffre pouvant monter jusqu'à 10 aujourd'hui, avec rupture de la formation aérienne pour traiter au sol des cibles d'opportunité avec une précision métrique. La technologie est embryonnaire, mais déjà prometteuse. Elle sera affinée et enrichie afin notamment d'intégrer des éléments d'intelligence artificielle. Un partenariat qui en appelle d'autres, peut-être même avec un développeur de drone qui avait fait sensation lors du dernier salon du Bourget...
 


Cette MTO capable de voler en essaim se nomme SR 200, et se base sur l'architecture du Veloce 330 et de l'ISTAR 330, tout en étant bien plus petite, "200" et "330" donnant des indications sur l'envergure en centimètres de ces engins lançables sur catapulte ou à la main. La charge tout comme l'autonomie y seraient donc moins importantes, tout cela classant le drone dans la gamme correspondant au programme COLIBRI et non plus LARINAE. Si aboutissement commercial il y a, le but sera de produire vite, et massivement: des milliers d'exemplaires par an. 

EOS, qui a été fondée par d'anciens opérationnels, semble avoir totalement cerné les impératifs imposés par le contexte stratégique actuel. 


EOS va quitter Bordeaux 

A noter que parmi toutes ces nouvelles encourageantes, il y en a une mauvaise (à relativiser puisque ce blog compte bien continuer de suivre la success story de l'entreprise) : EOS Technologie quittera Mérignac dès le mois de septembre, afin de se renforcer à Grenoble, où elle est historiquement implantée. La PME juge qu'elle y trouvera de meilleures conditions de développement: réseau, infrastructures, et même emploi. 

La greffe bordelaise n'a pas prise. Son principal avantage était de rapprocher l'entreprise alors naissante des régiments de forces spéciales du sud-ouest. Mais l'histoire se poursuivra donc en Isère. 


mercredi 5 juin 2024

A Berlin, Airbus dévoile son drone "Wingman" qui précédera le SCAF


Airbus Defence & Space profite du salon aéronautique de Berlin cette semaine pour dévoiler son concept de drone ailier "Wingman", avec notamment une maquette grandeur nature. Ce projet, 100% allemand, n'est pas encore un programme, et semble de prime abord s'inscrire comme une réponse au successeur du drone de combat furtif "Neuron" imaginé pour accompagner le Rafale F5 en France à horizon 2035. 

Images - Airbus au salon ILA de Berlin. 


En matière d'aviation de combat, nous n'avions jamais rien vu d'aussi avancé chez Airbus depuis 2019 et la révélation que le groupe avait travaillé en soufflerie et chambre anéchoïque sur un design de drone furtif. Quelle surprise donc, cette semaine, de découvrir non seulement l'annonce, mais également la maquette grandeur nature d'un drone ailier ("loyal wingman") furtif de la taille d'un avion de combat Eurofighter. Quasiment 12 mètres de large, pour 15,5 mètres de long. 

Dans son communiqué précédant la présentation sur le salon berlinois de l'aéronautique, qui débutait ce mercredi 5 juin, Airbus Defence a révélé la première image du "Wingman", et surtout précisé plusieurs choses: 
  • Wingman est le fruit d'un exercice de design "made in Germany"
  • le concept est amené à évoluer, d'autant plus que le groupe le compare littéralement à un "show car" de l'industrie automobile. Une étrange communication probablement destinée à un public allemand qui a érigé la voiture en fierté nationale, mais qui ne fait pas oublier que les show-car sont plutôt génératrices de déception lorsqu'il s'agit de découvrir le produit final.
  • Wingman est la réponse à un intérêt de la Luftwaffe elle-même, qui entend disposer d'un drone ailier accompagnant le chasseur Eurofighter dès les années 2030. Et donc, avant le SCAF, attendu lui pour 2040 au plus tôt. 

Ce matin à Berlin, la maquette a ainsi été présentée au Chancelier Olaf Scholz, qui inaugurait le salon ILA 2024. Airbus a également profité de ce jour pour annoncer un partenariat avec le groupe allemand Helsing au sujet des briques d'intelligence artificielle qui équiperont le drone (photo ci-dessous). 



Un design qui s'inscrit dans les standards internationaux 

La bête est donc dévoilée, maquette 1:1 à l'appui, ce qui est en soi un événement doublé d'une surprise. On découvre non pas une aile volante façon "Neuron", mais un profil en delta plus effilé qui laisse penser que le drone approchera le domaine supersonique (aucune indication du constructeur à ce sujet). Il semble d'ailleurs, au vu des modèles dévoilés un peu partout dans le monde, excepté en France et en Russie (pour l'instant), que ce type de profil soit désormais celui qui est privilégié par les constructeurs et/ou les forces aériennes, avec un avantage certain en terme de vitesse par rapport à l'aile volante. La motorisation -unique- serait d'ailleurs la même que celle de l'Eurofighter.  

De plus, le design nous montre un haut degré apparent de furtivité, avec plans canard, unique entrée d'air centrale et absence d'empennage… même si cela dépend visiblement de l'architecture choisie, puisque une double dérive apparait sur une autre image ainsi qu'une maquette réduite, laissant croire à l'existence d'options de modularité.  

Concernant l'armement, si ce drone furtif aura nécessairement des emports en soute, on découvre aussi en image des plots extérieurs avec de l'armement air-sol.


Airbus évalue le prix du Wingman au tiers de celui d'un avion de chasse d'aujourd'hui (donc autour de 30 millions d'euros ?). Dans la norme occidentale observée sur les programmes similaires, et loin des fantasmes de drones consommables que l'on peut encore lire ici ou là. Cela permettre en théorie aux flottes de retrouver de la masse de manœuvre. 

Même si ce projet répond visiblement à un intérêt de l'armée de l'air allemande, c'est bien Airbus qui a financé le développement jusqu'ici, pour quelques dizaines de millions d'euros. Le constructeur semble espérer le lancement officiel d'un programme, même si absolument aucun engagement n'a été pris publiquement de la part de Berlin. Si ce n'est en ce jour du 5 juin de commander 20 nouveaux Eurofighter... 


Politique de parité avec la France… ou avec Dassault Aviation ? 

La révélation du Wingman par Airbus est-elle une véritable surprise ? Pas vraiment. On savait depuis quelques mois que l'Allemagne lorgnait sur les plans français visant à pouvoir disposer d'un drone ailier du Rafale durant la décennie 2030, soit ce que je nommerai l'ère "pré-SCAF", ce dernier n'arrivant qu'après 2040. 

Car en effet, en février 2022, le contexte stratégique a changé, et ce que l'on évoquait à longueur de colloques a fini par arriver: la Russie a déclenché une guerre de haute intensité. A Paris, l'Etat-Major de l'armée de l'Air et de l'Espace, comme le politique, ont alors fait un constat selon lequel le niveau de jeu affiché par les "compétiteurs" (ici la Russie, mais il y en a d'autres) venait d'être élevé à un rang supérieur. Des développements ont été lancés sur le potentiel de réalisation d'un drone ailier issu du très convaincant programme "Neuron" mené en collaboration européenne par Dassault Aviation durant toute la décennie 2010. La décision sera ainsi confirmée au salon du Bourget 2023 il y a tout juste un an: le Rafale au standard F5 aura un drone de combat furtif ailier à horizon 2035, ce qui contribuera à maintenir les capacités d'entrée en premier de l'armée de l'Air tout en préparant le SCAF des années 2040. 


Juin 2024: Airbus annonce donc en Allemagne un projet similaire en tout point, maquettes à l'appui. Il s'agit ici selon moi d'une pure politique de parité, non seulement avec Paris, mais aussi avec les autres industriels présents sur le marché international. Airbus montre qu'il aura son drone au catalogue, et que Dassault, son partenaire sur SCAF, n'aura pas cette primauté en Europe. Airbus grille en quelques sortes la politesse à Paris, mais aussi à Londres (BAE, programme GCAP), voire même à Stockholm (Saab), où je me serais davantage attendu à voir ce type de concept apparaître.  

Toutefois, il y a ici plusieurs problèmes, que nous allons résumer très brièvement: 
  • la Luftwaffe n'est pas l'armée de l'Air française. Elle n'en a ni la culture, ni le contrat opérationnel, largement structuré chez nous par les Forces Aériennes Stratégiques (nucléaires). 
  • l'Eurofighter est en retard sur les technologies de fusion de données et de combat collaboratif, du moins à ambitions équivalentes au Rafale F5. Mais c'est là qu'intervient le partenariat d'Airbus avec Helsing sur l'IA, dans le but de développer un environnement collaboratif entre le -seul- pilote de l'Eurofighter et son drone ailier. Attention à la charge cognitive ! C'est tout le défi. 
  • attention également tout de même avec cette notion de drone piloté depuis un autre appareil, ou même d'autonomie par l'IA. La société allemande risque d'être peu réceptive... 
  • enfin, si Airbus veut véritablement un programme, il faudra lutter contre un nouvel arrivant dans la Luftwaffe, lui aussi furtif et taillé pour le combat collaboratif. C'est bien sûr le F-35, dont la fâcheuse réputation est de ne laisser aucune miette dans les budgets des forces concernées.

lundi 3 juin 2024

Photonis (Exosens) entre en bourse, et pèse désormais un milliard


Exosens, mieux connue sous le nom de Photonis, s'apprête à entrer en bourse, quatre ans après le psychodrame qui avait failli finir en rachat américain. Cette opération va permettre au spécialiste français des capteurs de haute technologie pour la défense et le nucléaire d'être valorisé à plus d'un milliard d'euros. Un bon signal pour tout le secteur. 

Images - Photonis Defense / Exosens


C'est une longue histoire, pleine de rebondissements… qui finit bien ! Objet d'un long combat pour ou contre son rachat par l'américain Teledyne en 2020 (tollé général à l'époque, et une affaire qui remonte jusqu'à Brienne & Bercy), Photonis, renommée Exosens en 2023, entrera en bourse cette semaine à Paris. L'opération est d'ores et déjà un succès, le groupe passant d'une valeur d'environ 300 millions d'euros à plus d'un milliard. 


L'épisode Photonis, pépite en vente qui ne trouvait alors pas de repreneur au sein de la BITD française (Safran, Thalès…), avait mis en émoi une bonne partie du monde économique, politique, et plus généralement stratégique. Après véto des autorités (ministère des Armées), le groupe avait finalement atterri au sein de la holding HLD pour "seulement" 370 millions d'euros, quand l'offre américaine était alors de plus de 500 millions. 

L'opération est au final gagnante pour tout le monde puisque non seulement les affaires se portent extrêmement bien (doublement du chiffre d'affaires ces dernières années, et plusieurs acquisitions en Europe, au Canada et en Israël), mais surtout, le repreneur -qui restera actionnaire majoritaire- triple sa mise de départ, avec une valorisation qui s'envolera à plus d'un milliard d'euros dès cette semaine. 

Il s'agit aussi d'un excellent signal pour le secteur de l'armement, car même si Exosens, que l'on connait principalement ici pour son portefeuille défense, comprenant ces fameux instruments de vision nocturne, s'est largement diversifiée vers le civil (tout aussi stratégique, avec les énergies renouvelables, le nucléaire, la santé), l'entrée en bourse d'une entreprise de la BITD -success story ou pas- n'a pas toujours fait l'objet d'autant d'enthousiasme de la part des milieux financiers. D'autant plus quand on sait qu'elle pourrait être aujourd'hui américaine.